Chapitre 10 - Parque deuxième

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Petit résumé (parce qu'avec les études folles que je me traîne, je n'ai quasiment plus le temps d'écrire, et que donc ça me prendra dorénavant un max de temps pour poster un nouveau chapitre...)

La tribu de la jungle n'est plus. Elle a été brûlée vive, condamnée par les statues (qu'ils considéraient comme des dieux terrestres) pour le mal que ces hommes ont fait à Diogon et l'irrespect qu'ils témoignaient aux autres animaux en général. Le chien a auparavant été attrapé et égorgé par Elissi, sous les yeux de Diogon.

Les statues continuent donc leur périple, suivies de près par leur petit frère bipède.

- Parque deuxième -

Le temps courait, le temps filait, filait sous les yeux de l'araignée, comme une onde frémissante plus translucide que le ciel.

Paisiblement entrelacée à sa toile, à la verticale au dessus des montagnes, Ère observait naître, grandir et mourir les êtres minuscules qui vivaient loin sous elle, loin autour d'elle. Ignorants de cette Parque gigantesque, à la carapace d'argent, qui les surveillait de ses huit yeux aussi étincelants que des miroirs.

Ère était une grande dormeuse, comme sa sœur aînée ; mais récemment, à peine quelques millions d'années auparavant, elle en avait eu assez de rêver, assez d'ignorer ce monde luxuriant qui déroulait ses jungles et ses déserts à ses pieds ; alors elle s'était réveillée, dans un grondement de fin du monde, et s'était mise à contempler, silencieusement, cette Terre qu'elle ne connaîtrait jamais.

La pauvre Eon devait bien s'ennuyer, dans ses étendues que personne ne traversait jamais ; mais Ère, elle, avait la chance d'avoir des humains sur son territoire. Ils étaient bien plus drôles que les animaux. Elle les voyait se faire la guerre, se faire boulotter par des bêtes, puis boulotter les bêtes, puis s'incliner devant des statues, puis recommencer une année faite de chasses, de disputes et de voyages à travers les steppes, vers les autres clans qui peuplaient ce monde.

Et puis les humains, il y avait un truc bien avec eux : plus bêtes que les animaux, ils essayaient parfois de traverser sa toile.

Ère se considérait comme une sorte d'horloge ; une horloge invisible, immense et souveraine, qui régnait avec justice sur son petit empire de quelques millions d'années. Une horloge qui décomptait les vies, les morts ; qui ordonnait les fluctuations de ce temps coulant à travers sa toile.

Et parfois, ce long fleuve tranquille, au courant presque imperceptible, emportait des humains dans la force de ses flots. Le plus souvent, c'étaient des clans entiers ; des tribus qui, dans un péché impardonnable, avaient trop vite découvert le feu. Ou bien qui s'étaient trop vite lancées dans l'agriculture. Ces derniers temps, il s'agissait plutôt de roues et de jarres. Question d'époque. La Parque était chaque fois surprise de tout ce que l'esprit humain pouvait créer d'inutile. À croire qu'avec leurs inventions, ils cherchaient à aller plus vite que le temps lui-même.

Mais on n'échappe pas au temps, l'horloge le sait bien. Ère le savait bien.

Et les hommes perdus, les hommes qui s'étaient perdus dans leur propre temps, ils arrivaient un beau jour au pied de la toile titanesque, comme poussés par un instinct mortel, et ils tentaient de traverser les liens tissés ; de rejoindre ce futur qui leur paraissait si proche. Mais ils se prenaient tous dans son piège d'argent et de lune. Sans exception. Alors, trop immense pour s'y déplacer, l'araignée attendait. Elle attendait simplement que la mort les rattrape.

Mordus par les fils glutineux, coincés dans sa barrière millénaire, les mortels succombaient invariablement, les uns après les autres. En l'espace d'un bref instant aux yeux de la Parque – quelques jours à leur échelle d'insectes.

Oui, cette toile était un cadran aux aiguilles invisibles. Une horloge meurtrière dont Ère était le balancier. Une horloge qui attirait irrésistiblement les pauvres éphémères terrestres, qui les piégeait et qui finissait par les noyer.

Seules passaient les statues, régulièrement ; ces petits êtres qui pouvaient descendre le cours du temps.

En parlant de statues…

Ère se pencha un peu, les crochets de ses pattes solidement plantés dans sa broderie gluante. Toute la toile se courba sous son poids de géante, comme un drap tendu traversant le ciel.

L'habituelle procession de sculptures commençait à traverser sa toile, avec précaution et délicatesse. L'araignée sentait vibrer les fils sensibles sous son abdomen poilu. Elle aimait bien les chatouillis que cela provoquait.

Plus petite que sa sœur Eon, un peu plus proche du sol également, sa vue était suffisamment perçante pour dénombrer les créatures et en établir une image – presque – précise.

– Qu'est-ce que nous avons, cette fois ? marmonna la Parque dans son langage de vent et de ciel.

Sous la puissance de ces bourrasques qu'elles ne pouvaient comprendre, les minuscules bestioles levèrent la tête vers l'araignée. Celle-ci les imagina jeter un œil vers son corps colossal, renflé et miroitant, ce corps qui en chutant sur la Terre les aurait toutes réduites à néant ; vers les éclats de soleil qui dansaient dans sa toile et projetaient des échos lumineux sur sa cuirasse nacrée.

Ère était belle, et elle le savait ; mais comme toutes les Parques, c'était une beauté mortelle et aussi ancienne que le temps lui-même.

Les statues reprirent leur traversée. L'araignée dénombra une hydre, une grosse bête pareille à un ours, un oiseau aux plumes enflammées ; puis venaient une gigantesque tortue, une licorne aux écailles d'émeraude, quelques quadrupèdes poilus aux oreilles pointues, un taureau aux cornes en forme de lyre, des reptiles cracheurs de feu, un grand coq au cou de serpent et un cerf qui portait un arbre en guise de ramure. Ère n'était pas une très grande connaisseuse d'art, mais elle apprécia l'idée du sculpteur qui avait créé son cervidé aussi octopode qu'elle-même – une preuve de goût incontestable.

Les créatures s'éloignèrent finalement, laissant un petit retardataire bipède se dépatouiller à son tour avec la toile de la Parque.

Quelques instants plus tard, tous avaient disparu dans les terres brillantes de leur futur.

En guise de conclusion, et avant de retrouver son ami le silence, Ère fit jouer ses pattes sur ses cordes scintillantes, improvisant une petite mélodie qui dut tuer, sur la Terre, plusieurs oiseaux à l'ouïe trop sensible.

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