Chapitre 4.3 - Le corbeau qui avait peur de la mort

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Le colosse secoua la tête avec violence, envoyant bouler le corbeau. Il prit son front entre ses mains, et ploya doucement vers le sol.

– Je cherche quelqu'un. Quelqu'un. Quelqu'un… Quelqu'un qui… m'aime… Je veux… Je…

Un râle éraillé le sortit de son désespoir. Il se redressa de toute sa taille ; un air froid, impassible, un air de statue, reprit sa place sur ses traits, posant un masque dur sur son visage si vivant deux secondes plus tôt.

Il avisa le corbeau, échoué sur la glace deux mètres plus loin, petite créature hirsute, recroquevillée sur elle-même. Un souffle douloureux gonflait ses plumes noires.

De sous ses paupières mi-closes, l'oiseau vit approcher Diogon, on plutôt ses sabots ferrés de glace ; il se roula en boule lorsque la grande main froide de la statue le saisit délicatement.

– Laisse-moi, croassa le charognard. Tu m'as blessé. Tu me fais mal. Va-t-en.

– Non. Où vis-tu ? Je vais te ramener chez toi.

– Je n'ai pas de chez-moi.

– Tout le monde en a un.

– Pas moi. Ma compagne est morte. Je n'ai plus de petits. Une chouette me les a pris.

Il y eut un silence.

– Même Matar est mort à présent…

L'oiseau se mit à sangloter, son grand bec creux agité de soubresauts. Ce bec qui avait crevé mille pupilles, déchiqueté mille coeurs, qui s'était rougi mille fois du sang noir de la mort. Et qui abdiquait désormais.

Le corbeau le savait bien. Personne n'échappe à la mort.

– Tu vas mourir toi aussi, Diogon. Les statues meurent, comme les autres, comme les épouvantails… Comme les hommes…

L'oiseau tremblait de froid, tremblait de douleur, perdu dans la paume glacée de la statue. Incapable de voler, le crâne sonné par le choc ; une aile souffrante, brisée peut-être.

– Je ne vais pas mourir, corbeau, dit doucement Diogon. C'est toi qui vas mourir.

Il ébaucha une caresse sur les plumes chaudes, longuement, délicatement.

– Car ce soir, c'est toi que j'ai tué.

Son torse de glace se souleva, une fois, deux fois ; doucement, régulièrement ; un souffle froid s'échappa de sa gueule de lion, effleurant le corbeau. Mais le colosse finit par se figer à nouveau. Sa respiration factice, celle d'une statue sans cœur, disparut comme elle était venue. Laissant retomber sa poitrine puissante. Il se baissa lentement, posa l'oiseau dans la neige.

Puis il s'éloigna.

Les yeux flous du corbeau le regardèrent partir ; la silhouette translucide réfractait le soleil à l'horizon, le baignant d'une lumière pourpre.

Le corbeau ferma les yeux.

Le corbeau mourut dans l'ombre, dans l'ombre et dans le froid. Comme les épouvantails qu'il aimait tant.

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