Chapitre 8

9 minutes de lecture

Nous sortîmes en silence, un silence qui n'augurait rien de bon. Tous les regards convergèrent vers nous alors que nous traversions le bâtiment jusqu'au parking. J'anticipais un déchaînement une fois à l'abri des regards, mais rien ne se produisit. Deux scénarios se profilèrent : soit il atteignit un point de non-retour et n'essaya plus de me changer, soit, ce qui était plus probable, il attendit d'être certain que rien ne viendrait entraver son élan.

Le deuxième scénario se confirma. À peine franchîmes-nous la porte de la maison où j'avais vécu mes seize premières années avant que mon père ne décidât que j'étais assez grand pour avoir un appartement avec une gouvernante, que je m'effondrai au sol sous la violence du coup de mon père. Rien ne changea, comme à chaque visite. On aurait presque trouvé cela rassurant, que rien ne changeât.

— Encore une fois, tu fais honte à la famille. Qu'ai-je bien pu faire pour mériter une telle erreur de la nature ? cracha-t-il, m'infligeant à la fois des coups physiques et moraux.

Petit, je me souvenais que ses mots me blessaient bien plus que les coups eux-mêmes. La douleur des blessures physiques était temporaire, mais celle mentale persistait. La déception que je lisais à chaque fois me poussait à m'améliorer. Pendant des années, j'avais tenté d'être le fils parfait, mais quoi que je fisse, il me haïssait toujours. Quand j'eus seize ans et qu'il me mit dehors malgré mes efforts, je décidai de laisser tomber, de vivre à ma manière. Je connaissais les répercussions que cela aurait, tout comme aujourd'hui.

— Je ne comprends pas comment une telle merde comme toi peux devenir le futur dirigeant de mon entreprise, cracha-t-il en me donnant un coup de pied dans l'abdomen. Tu as de la chance que j'aie promis à ta mère de ne pas te renier.

J'endurai ses coups, physiques et moraux, en silence. Plus c'était rapide, mieux c'était, et plus vite je pourrais partir. Je ne pouvais rien y changer de toute façon. J'aurais aimé que cela me blessât, que cela me brisât le cœur comme quand j'étais enfant, mais cela ne me fit plus rien. La seule chose que je ressentis désormais, c'était de l'agacement. De l'agacement parce qu'il se croyait meilleur que moi alors que non. De l'agacement parce que j'avais mis beaucoup trop de temps à perdre mon temps pour lui faire plaisir. De l'agacement parce que je préférais être partout ailleurs qu'ici, à perdre mon temps.

Il me donna encore quelques coups avant de finalement recevoir un appel qui le fit me congédier de chez lui. Je ne savais pas si je devais me réjouir d'être enfin tranquille ou être déçu de constater qu'un coup de fil était plus important que son propre fils. Je préférai la première option, ainsi je ne fus déçu de rien. Il ne fallait rien attendre de mon père. Il n'était père que par le titre, pas par les actes.

J'appelai un taxi, ma voiture étant restée au bureau, mais je ne savais pas où aller. Je n'avais aucune envie de rentrer chez moi et de voir Victoria. Je donnai finalement l'adresse de Maya au chauffeur. C'était sans doute la meilleure solution. Je pouvais changer d'air et j'étais sûr qu'après une bonne nuit de plaisir, je serais prêt à affronter tout.

Le trajet passa rapidement. J'étais perdu dans mes pensées qui alternaient entre Victoria et notre mariage, mon père, l'entreprise et mon futur.

Devant la porte de Maya, j'hésitai à frapper pour la première fois depuis que nous étions ensemble. Un débat s'imposa en moi. Certes, je ne la voyais que comme un plan cul, même si elle était en théorie ma petite amie, mais je savais qu'une fois qu'elle serait au courant pour Victoria, j'aurais droit à une scène, et je n'en avais clairement pas envie. Alors devais-je tout lui dire maintenant ou bien j'attendais qu'elle le découvrit aux informations ? L'officialisation de mon mariage, ça me faisait toujours bizarre d'y penser, n'était prévue que dans une semaine maintenant. Le temps avait filé, je réalisai.

Je finis par frapper à la porte. Maya l'apprendrait à la télévision, pas besoin de le lui dire deux fois.

— Thomas ? Que fais-tu là ? s'étonna-t-elle de me voir. On devait se voir ? Et qu'est-ce qui est arrivé à ton visage ?

— Je réponds à quoi en premier ? lui demandai-je, agacé par toutes ses questions.

— Ton visage.

— J'ai pris un coup.

— Je suppose que je n'aurai aucune explication plus approfondie ? soupira-t-elle.

— Exactement. Tu comptes me faire dormir sur ton paillasson ?

— Non, désolée. Entre. Tu veux une bière ?

— C'est comme demander à un aveugle s'il veut voir.

J'entendis son rire, bien que je ne comprisse pas ce qu'il y avait de drôle dans ma réponse, et je m'assis sur son canapé. Vu le nombre de fois où j'étais venu chez elle, je me permis de faire comme chez moi. J'inspectai tout de même les lieux en attendant qu'elle revînt. Son appartement n'avait pas changé, tout était très coloré et des dessins de bâtiments ornaient les murs. Elle était architecte, c'était sans doute pour ça.

— Tient, me lança-t-elle en me donnant la bière. Alors, pourquoi étais-tu là ?

— Je voulais te voir.

— C'est vrai ?

Je ne pus m'empêcher de penser, "oui, mais pas comme tu le penses, c'est ton corps que je voulais voir."

Une lueur s'alluma dans son regard. J’aurais pu lui demander en mariage, elle aurait eu la même réaction. Une partie de moi ne put s'empêcher d'avoir pitié d'elle. Pourquoi croyait-elle autant que je l'aimais ? Je ne faisais pourtant rien qui lui donnât cette impression. Je venais la voir seulement pour assouvir mes besoins quand je n'avais personne d'autre sous la main. Bon, je le reconnais, elle est sympa et c'est un excellent coup, mais elle n'aura jamais plus que la place d'une pote à mes yeux. Une amie, si vraiment je suis de bonne humeur, car malgré tout, quand je suis défoncé ou bourré, il m'arrive de me confier un peu à elle. Par exemple, elle est au courant pour mon père. Je lui avais dit un soir après une de nos éternelles disputes. J'avais été dans un bar, le barman ne voulait pas que je conduise, les taxis ne circulaient plus, je l'avais appelée. Elle commençait à s'agacer, m'insultant d'irresponsable, et pour la faire taire car elle aggravait mon mal de tête, je lui avais dit pour mon père. L'effet escompté, j'ai eu ce que je voulais, elle s'est tu sous le choc, puis j'ai eu plus, sans doute par pitié, elle m'a offert son corps pour me consoler. Une chose est sûre, je n'avais plus mal à la tête après.

— Bien sûr, finis-je par lui répondre.

— C'est moi ou mon corps que tu viens voir ?

— Sûrement un peu des deux.

Elle esquissa un sourire en coin, comme si elle n'était pas surprise par ma réponse.

— Thomas, tu es vraiment direct.

— Pourquoi tourner autour du pot ? On sait tous les deux ce qu'il en est entre nous.

Elle s'approcha et s'assit à côté de moi, posant sa bière sur la table basse.

— Tu ne te lasses jamais de cette routine ?

Je haussai les épaules, prenant une gorgée de ma bière.

— C'est simple, ça ne me prend pas la tête. On se détend, on profite, et chacun repart de son côté après. Aucun engagement, aucune complication.

Maya me regarda d'un air pensif, comme si elle essayait de comprendre quelque chose au-delà de nos interactions physiques.

— Tu es comme une énigme que j'essaie de résoudre, poursuivit-elle. Je sais qu'il y a plus en toi que ce que tu veux bien laisser paraître. Si seulement tu me laissais entrer un peu plus dans ta vie. On est en couple depuis un an, tu ne crois pas qu'on devrait passer à la vitesse supérieure ?

Je détournai le regard, évitant de m'engager dans une conversation plus profonde. Les pensées de Victoria, de mon père et de l'entreprise tournaient dans ma tête, et je n'avais pas envie de m'attarder sur des sujets plus personnels.

— Maya, je t'apprécie beaucoup, tu le sais, non ? Mais j'ai pas mal de choses à gérer en ce moment. On peut en parler une prochaine fois ?

Elle hocha la tête, semblant accepter le changement de sujet, bien qu'une lueur de déception orna ses yeux verts. Je lui sortais la même excuse à chaque fois, pourquoi s'étonnait-elle encore ? Comment pouvait-on être aussi naïve ? Je devais bien l'admettre, au moins mon mariage avec Victoria me permettrait d'être tranquille avec elle pendant un an. Depuis deux mois, elle engageait ce genre de conversation de plus en plus souvent, faisant descendre ma libido en flèche. Au moins, quand elle apprendrait que je suis marié, pour un an du moins, et après sa petite crise, elle me laisserait la mettre dans mon lit tranquillement.

Elle baissa la tête, et je m'approchai d'elle pour la réconforter un minimum. Je n'étais pas un connard malgré tout. Ou peut-être un peu.

Quand elle releva la tête, je remarquai que son regard avait changé, à mon plus grand plaisir. Elle aussi avait autant envie que moi de passer une bonne soirée. Pour le moment, rien ne nous empêcherait de profiter l'un de l'autre.

Je lui lançai un sourire entendu, et elle se mit sur mes genoux. Je glissai ma tête dans son cou et commençai à lui mordiller, tandis qu'elle ondulait des hanches. Le plaisir monta en flèche jusqu'à ce que mon téléphone sonnât. Je grognai dans le cou de Maya, ce qui devait la chatouiller, puisqu'elle rit. Au bout du troisième appel, mon agacement eut raison de moi, et je poussai doucement Maya pour voir qui m'empêchait de m'envoyer en l'air.

Lorsque le nom de Victoria apparut, comme à son habitude, mon agacement redoubla, sauf qu'à cet instant, je dirais même qu'il tripla.

— J'espère pour toi que tu es morte et que ce sont les flics qui m'appellent pour me dire que je suis débarrassé de toi, répondis-je au bout du quatrième appel.

— On n'a pas fini notre dispute. Je ne sais pas où tu es, mais reviens immédiatement, je veux récupérer mes poissons.

— Tu m'empêches sérieusement de baiser pour tes putains de poissons ?

— Rentre, Thomas.

— Cours toujours.

J'éteignis complètement mon téléphone pour être tranquille et me jetai violemment sur Maya. J'attrapai ses lèvres que je torturai presque, mais cela n'avait pas l'air de la déranger, puisqu'elle glissa ses mains sous mon tee-shirt. Elle finit tout de même par me pousser doucement. Je stoppai tout mouvement et la regardai, cherchant dans son regard une quelconque information.

— Est-ce que tout va bien ? me demanda-t-elle.

— Euh, oui, pourquoi ? répondis-je complètement perdu.

— Cet appel... Tu as vraiment l'air énervé.

— Ne t'inquiète pas.

J'allais recommencer à l'embrasser, mais elle tourna la tête. Je posai ma tête sur son épaule en lui demandant ce qu'il y avait. Pourquoi fallait-il qu'elle s'inquiète pour mes états d'âme ? Je voulais juste m'envoyer en l'air, moi.

— Tu es sûr que ça va ? insista-t-elle.

— Oui, Maya, je te l'assure. J'étais énervé parce qu'elle nous a interrompu.

— Elle ?

Et merde, la boulette. Maya n'étant absolument pas jalouse, ne va pas du tout me faire une crise. Si seulement l'ironie pouvait se transformer en réalité. Je me redressai, prêt à subir ses foudres.

— C'est un boulet que mon père m'a mis sur le dos. Je dois travailler en collaboration avec elle. Tu connais mon père, quand il s'agit de me pourrir la vie, il a toujours de nouvelles idées.

Je fus surpris de sa réaction. Elle acquiesça et ne me demanda rien de plus. Elle se leva, et se dirigea vers sa chambre. J'attendais à ce qu'elle me dise de partir, mais à la place, elle enleva son haut et me sourit.

— Tu comptes venir ou je dois me débrouiller seule pour la suite ?

Il ne me fallut pas un mot de plus pour la rejoindre. Plus rien ne nous empêcherait de passer une bonne soirée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mylia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0