Chapitre 10

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En sortant de la douche, je remarquai qu’elle n’avait absolument rien rangé. L’eau qui avait réussi à me détendre légèrement me paraissait bien loin.


Je partis toquer, ou plutôt frapper à la porte de Victoria.


— Elle range cette putain de bordel, Victoria !

— Tu as tué mes poissons, ils sont morts de faim et de chaleur, alors démerde-toi pour ranger. Après tout, ce sont tout de même tes affaires, hurla-t-elle à travers sa porte.


J'allais répliquer, mais mon téléphone sonna au même moment. J'avais reçu un message. Lorsque Victoria ouvrit la porte, le téléphone dans la main, le regard pantois, je compris qu’elle avait reçu la même chose.


Nous dûmes aller à des essayages pour nos tenues lorsque nous annoncions la nouvelle de notre mariage.


— Pourquoi devons-nous faire ça ?

— Pourquoi me poses-tu la question ? Lui répondis-je.

— Tu n'as pas tort. C'est comme demander à un singe s'il sait lire.


Sur ces mots, elle me claqua la porte au visage.


Je ne répondis pas, mon cerveau essayant d'assimiler tout ce qui venait de se passer. Pourquoi fallait-il une tenue pour annoncer nos fiançailles ? Ce n'était pas un événement. Je pensais mettre une tenue de tous les jours. Je suis toujours chic de toute façon. C'était complètement grotesque de dépenser de l'argent dans une tenue qui ne servirait qu'une seule fois. Encore pour le mariage, du moins ceux qui ont un mariage consenti, qu'ils s'offrent de jolies tenues, c'est normal. Mais pour annoncer des fiançailles ? Depuis que je connaissais Victoria, enfin depuis que je devais me marier avec elle, je n'avais jamais été aussi agacé en si peu de temps. Logiquement, l'agacement est ponctuel, mais maintenant, c'était mon quotidien.


J'aurais bien proposé à Victoria de monter en voiture avec moi, comme ça j'aurais pu la perdre dans un champ, mais ça m'étonnerait qu'elle soit assez naïve pour décider d'y aller ensemble. Tout comme je ne suis pas assez naïf pour monter avec elle. Elle pourrait me faire croire qu'elle m'avait oublié et me laisser planté à la boutique.


Je décidai donc de frapper un gros coup sur la porte en lui criant de ranger la maison avant de partir sinon elle risquait de le regretter.


Dans ma voiture, je respirai enfin. Ça faisait un bail que je ne m'étais pas retrouvé seul. À mon plus grand malheur. Peu importe que ce soit parce que Victoria est là ou une autre personne, j'aime avoir des petits moments de solitude pour remettre de l'ordre dans mes idées. Chose compliquée quand on est constamment entouré. Pire encore, lorsqu'on est entouré de Victoria.


Bien qu'elle ne soit pas avec moi, je ne pouvais m'empêcher de penser à elle. Je comprenais qu'elle soit furieuse que j'aie tué ses poissons. Mais je ne pensais pas qu'en oubliant de les nourrir deux petits jours, ils mourraient. Ni que les laisser au soleil était aussi néfaste pour eux. Je ne suis pas biologiste. Mais, je reconnais, bien que cela ne soit pas dans ma nature, que j'avais, peut-être, un peu, merdé. Elle avait l'air de tenir beaucoup à ses poissons. Mais de là à mettre toutes mes affaires sens dessus dessous et de jeter une nouvelle fois ma cafetière dans l'eau, c'était une réaction exagérée. Je vais probablement devoir souscrire à un abonnement, compte tenu du nombre de cafetières que j'achète chaque semaine avec elle. Je devrais peut-être essayer de me racheter ? Je passerais à l'animalerie après, il y aura sans doute un truc qui salit pas tout et qui ferait plaisir à Victoria. Et avec un peu de chance, ça la calmerait pendant quelque temps, ce qui me permettrait d'être tranquille.


Arrivés à la boutique, Victoria et moi fûmes accueillis par une styliste enthousiaste, prête à nous aider à trouver les tenues parfaites pour annoncer nos fiançailles. Pour que Victoria arrive en même temps que moi, c’est qu’elle n'avait pas dû nettoyer. Ce qui me fatiguait.


— Tu as raison. Je n'ai pas nettoyé, semblait-elle lire dans mes pensées.

—  J'avais pourtant été clair.

— Peut-être, mais tu n'avais aucun droit de te comporter comme un connard. Non seulement tu as tué mes poissons, mais à aucun moment tu t'es excusé.

— Je m'excuse, Miss Parfaite, maintenant tu pourras nettoyer ma baraque ?

— Quand tu présenteras des excuses sincères, j'y penserai peut-être.

— Tu n'es qu'une emmerdeuse.

— Et toi un crétin.


Nous nous fusillâmes du regard, attendant que l'autre craque le premier, mais nous fûmes interrompus lorsque la vendeuse arriva. La perspective de devoir choisir des vêtements spécifiques pour cet événement me semblait toujours aussi absurde, mais je me résignai à suivre le mouvement.


La styliste présenta différents ensembles, discutant des couleurs, des styles et des accessoires qui conviendraient le mieux à notre annonce. Victoria semblait être dans son élément, appréciant chaque moment de cette expérience. Pour ma part, je m'efforçai de rester neutre, choisissant des tenues qui me semblaient convenables sans vraiment m'investir dans le processus. Le shopping ne faisait déjà pas partie de mes passions, et dans ces circonstances, c'était d'autant plus pénible. Je ne niais pas le plaisir d'être impeccablement vêtu, selon mes goûts, avec des tenues parfaitement ajustées, d'où les sommes exorbitantes que j'investissais, étant donné que je n'optais que pour des vêtements de créateurs. Cependant, si j'en achetais une fois tous les six mois, c'était déjà un record.


Une fois les tenues sélectionnées et les détails finalisés, nous quittâmes la boutique chacun de notre côté. Je passai, comme à mon habitude désormais, chercher une nouvelle machine à café. En rentrant dans la boutique, je me dirigeai directement vers le rayon. En prenant la boîte, le vendeur de l'autre jour me regarda surpris.


— Il y a un souci avec celle que vous avez achetée l'autre jour ?

— Ma… fiancée ? Coloc ? Garce d'ennemie ? Comment suis-je censé l'appeler ? pensai-je. Je l'ai fait tombée, repris-je simplement. Mais c'est un excellent modèle.


Le vendeur acquiesça, un brin sceptique. En sortant du magasin, j'aperçus une animalerie juste en face. À croire qu'on avait décidé de me forcer à être gentil avec elle. Après une longue hésitation, je me dis qu'elle méritait au moins ça après tout ce que je lui avais fait.


Lorsque j'entrai dans le magasin, l'odeur des animaux me prit au cœur. Je détestais ces choses-là. Ils sentaient fort, mettaient des saletés partout, et n'étaient pas capables de s'occuper d'eux-mêmes. Ils étaient mieux à vivre en plein air qu'avec des humains. C'est donc agacé que je me dirigeai vers la vendeuse. Je ne savais pas vraiment ce que je devais choisir.


— Bonjour, puis-je vous aider ?

— Bonjour, euh ouais, ma… fiancée, ce mot ne sonnait vraiment pas bien dans ma bouche surtout pour décrire notre relation avec Victoria, a perdu ses poissons, vous auriez un truc pour lui remonter le moral ?

— Par "truc" vous parlez d'un animal ?

— Non non, d'une mon-golfière ? À votre avis, si je suis dans une animalerie, c'est pour quoi ?


Elle n'avait pas l'air d'apprécier ma remarque, mais je m'en moquai. J'étais là pour acheter quelque chose qui, espérons-le, apaiserait Victoria. La vendeuse, avec un sourire professionnel, bien que ses prunelles grises me traduisent tout ce qu'elle pensait de moi, me guida vers un petit rayon d'animaux qui semblaient adaptés à la vie en intérieur.


— Vous pourriez envisager un hamster, suggéra-t-elle. Ils sont mignons, faciles à entretenir et peuvent être une compagnie agréable.


Je jetai un regard désintéressé aux hamsters. Ils étaient petits, poilus, et je ne voyais vraiment pas comment ils pourraient remonter le moral de Victoria.


— Vous n'auriez pas autre chose ? Je ne vois pas ce qu'il y a d'amusant avec un truc qui tourne dans une roue toute la journée.


La vendeuse réfléchit un instant, puis s'approcha d'une autre section de l'animalerie. Elle revint avec une petite tortue, qu'elle plaça délicatement dans mes mains.


— Les tortues sont calmes, apaisantes et peu exigeantes. Elles peuvent vivre longtemps et sont faciles à entretenir. C'est peut-être une option plus adaptée si vous ne voulez pas quelque chose qui tourne dans une roue toute la journée, me suggéra-t-elle avec un sourire.


Je la regardai, presque incrédule, en écoutant attentivement sa suggestion.


— Une tortue ? Non, sérieusement, tu penses qu'une tortue va résoudre quelque chose ? C'est absurde, déclarai-je avec un haussement de sourcil. Laisse tomber, je vais me débrouiller.


Plus j'avançais dans le rayon et plus je ne comprenais pas ce que je faisais ici. Je serais mieux venu avec Victoria, je ne voyais rien qui pourrait changer quoique ce soit. Je ne connaissais même pas ses goûts. Contrarié par cette situation, je repartis sans rien.


Lorsque je rentrai, ce fut sans grande surprise que je constatai que rien n'avait été rangé. Je n'y prêtai pas plus attention et partis chercher Victoria dans sa chambre.


— Tu pourrais frapper, non ?

— C'est ma maison, non ?

— Que veux-tu ?

— Viens, on sort.

— Et si je n'ai pas envie ?

— Tu peux faire un effort pour une fois, Victoria ?

— Je ne te laisserai pas me tuer aussi facilement.

— Tu vis chez moi. Si je veux te tuer, crois-moi, tu le saurais.

— Alors où veux-tu que j'aille avec toi ?

— Tu ne peux pas te contenter de me suivre sans discuter ?

— Non.

— Tu es horripilante. J'essaie de te faire une surprise, bordel. Alors lève ton joli petit cul de cette chaise et suis-moi.

— Une surprise ?


Je la regardai, surpris qu'elle ne retienne que ça de ma phrase.


— Oui, une surprise.

— C'est quoi ?

— Si je te le dis, ce n'est plus une surprise. Non mais Victoria, tu as quel âge sérieusement ?

— Si c'est pour critiquer, tu peux t'abstenir.

— Tu viens ?

— Oui.


Elle attrapa son manteau et je la conduisis jusqu'à l'animalerie.


— Tu m'as amenée dans une animalerie ?

— J'ai tué tes poissons, bien que cela ne soit pas totalement ma faute.

— Tu es pitoyable en excuse.

— Je sais, soupirai-je en regardant partout sauf elle.

Ne la voyant pas bouger, je finis par la dévisager. Elle avait l'air mitigé. Est-ce que j'avais eu une mauvaise idée ? Pourquoi je me fatiguais à essayer d'être un minimum gentil ? Ça ne fonctionnait jamais. Je n'étais pas fait pour ça.


— Si tu n'as pas envie, on peut repartir, lançai-je gêné.

— Non, ce n'est pas ça, c'est très gentil comme intention.

— Alors, c'est quoi le souci ?

— Eh bien, je n'achète pas d'animaux en animalerie, je vais à la SPA.

— La SPA ? Pourquoi la SPA ? On n'est pas là pour adopter un chien abandonné. C'est juste pour remonter un peu le moral, répliquai-je, un peu perplexe.

Victoria semblait déterminée, même si son regard montrait une certaine hésitation.


— Je ne veux pas soutenir l'industrie des animaux de compagnie, répondit-elle calmement. Les refuges sont pleins d'animaux qui attendent d'être adoptés, qui ont besoin d'amour, et je pense que c'est une bonne cause.


Je levai un sourcil, étonné par sa réaction. Je ne m'attendais pas à ce que Victoria ait une cause aussi noble.


— Bon, si c'est ce que tu veux, on ira à la SPA. Mais il ne s'agit que d'un simple geste, compris ? Pas question d'adopter un chien ou un chat, dis-je en insistant sur le mot "pas".


Elle acquiesça, acceptant mes conditions. Nous nous dirigeâmes donc vers la SPA, où une variété d'animaux attendaient désespérément une nouvelle maison.


À l'intérieur, l'odeur caractéristique des animaux et le son des aboiements nous accueillirent. J'essayai de passer outre mon irritation envers cet environnement pour ne pas gâcher le sourire qui ornait le visage de Victoria. Contrairement à moi, elle était totalement à sa place ici.


Cette dernière se dirigea directement vers les enclos des chiens et des chats, jetant un regard attentionné à chaque pensionnaire. Je sentais que ça allait mal finir cette histoire.


— Regarde celui-ci, il a l'air si triste, commenta-t-elle en pointant du doigt un chien aux yeux doux.

— On n'est pas là pour adopter, rappelai-je, mais je ne pus m'empêcher de jeter un coup d'œil à l'animal. Il était difficile de rester insensible devant tant d'animaux dans le besoin.


Finalement, nous nous retrouvâmes devant les enclos des tortues. Victoria semblait surprise et ravie.


— Regarde celle-ci, elle est mignonne, déclara-t-elle en montrant une petite tortue solitaire.


Je jetai un coup d'œil et ne vis qu'une tortue normale, mais devant les yeux pétillants de Victoria, j'acquiesçai dans son sens.


— Elle est mignonne. Mais si tu lui donnes un nom stupide, je les appellerai pour maltraitance.


Victoria me regarda, un sourire en coin, avant de comprendre mon sous-entendu.


— Tu acceptes qu'on la prenne ?

— On n'est pas venus pour repartir les mains vides, non ?

— Eh bien, si tu as une suggestion pour son prénom, je suis toute ouïe.


Je réfléchis un instant.


— Appelons-la Pepito.


Victoria haussa un sourcil devant ma proposition.


— Pepito ? Et c'est moi qui donne des noms ridicules ?

— Elle est ronde, marron, et j'ai faim, elle me fait penser à un Pepito.


Elle éclata de rire devant mon argument, sa tête tombant en arrière. Rien n'était gracieux et pourtant, je la trouvai magnifique ainsi.


Je secouai la tête pour me remettre les idées en place. Non mais qu'est-ce que je racontais.


Pour aller payer les soins et un terrarium, nous repassâmes devant les chats. Victoria s'arrêta de nouveau sur ce petit chat, qui avait l'air vieux et dont le regard était triste.


— C'est Pearl. C'est une femelle, elle a dix ans. La SPA l'a trouvée dans une cave, ces propriétaires s'amusaient à la battre, à l'affamer et toutes choses inimaginables, surgit la voix d'une vendeuse.

— Mais c'est horrible, s'étonna Victoria. Depuis combien de temps est-elle ici ?

— Ça va faire un an.


Victoria me lança un regard qui voulait tout dire. Elle voulait l'adopter.


— Non.

— S'il te plaît, Thomas. Regarde-la, tu as vu le passé qu'elle a ? Personne ne voudra d'elle car ce n'est pas un chaton, mais elle mérite d'avoir une fin de vie heureuse.

— Et si elle meurt c'est toi que je vais devoir consoler. Sans parler de ma pauvre maison, elle n'est pas adaptée.

— Elle est propre et très sage, si c'est cela qui vous inquiète, intervint la vendeuse.


Devant le regard du chat, de Victoria et même de la vendeuse, je finis par craquer. Que pouvais-je faire de toute façon ? J'avais déjà du mal avec une seule femme mais alors avec deux, plus une femelle chat. Mission impossible. Je regardai Pepito dans mes mains désespérément. Heureusement que ce petit mec était là sinon je serais en infériorité numérique.


— Tu ramasses ses crottes et tu changes sa litière. Je te préviens, ce n'est même pas la peine de me demander.


Le sourire qui illuminait le visage de Victoria pourrait illuminer tout l'espace. On dirait une enfant à Noël. La vendeuse nous félicita avant de préparer tout ce qu'il fallait pour l'adoption de Pepito et de cette chatte.


D'une manière étrange, cette journée à la SPA apporta un peu de légèreté à notre relation tendue.

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