Kayak

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Lucas descend la rivière.

Son kayak glisse l'eau cristalline sur laquelle les arbres déposent les ombres de leurs branches en fleurs.

Lucas aime ressentir le léger clapotis sur la coque de polyéthylène. Il ne fait qu'un avec sa petite embarcation.

L'alarme annonçant la rupture du barrage résonne avec force dans toute la vallée pour prévenir la population du danger imminent. Lucas, n'entend pas la corne de brume.

Une heure plus tôt il a précautionneusement rangé ses prothèses auditives dans le cylindre étanche. Ces petits appareils onéreux font mauvais ménage avec l'eau et Lucas aime particulièrement ces petits moments de quiétude choisis. Courtes promenades hors du temps pendant lesquelles il s'isole dans sa bulle, complètement coupé du monde.

Les jours de semaine comme aujourd'hui, rares sont les promeneurs sur les bords de la rivière. Présence salvatrice qui aurait pu l'avertir, à grand tour de bras de ce qu'il ne pouvait entendre.

Le courant enfle et la rivière s'engorge comme un artère malade. Une vague se crée en amont et progresse en arrachant les souches fatiguées et les rochers sur les plages qui disparaissent sous les eaux.

La vallée gronde.

Le cours d'eau bouillonne de colère et Lucas le ressent. Il perçoit les vibrations sur la coque et un vrombissement inquiétant l'envahit. Sa poitrine tremble. Il ressent le danger mais il est déjà trop tard pour espérer rejoindre le bord à temps. Apeuré par ce qu'il pressent, il tourne la tête en direction du barrage. L'ouvrage de béton qui surplombe son paradis n'est plus et la seule chose qu'il aperçoit est une gigantesque vague d'eau brune qui se dirige sur lui. Le mur d'eau boueuse fond sur lui à la vitesse d'un prédateur en chasse bien décidé de ne pas lui laisser la moindre chance de repli. Une onde de roche et de bois le saisit et le submerge.

La bête est trop forte et trop en colère pour espérer engager une lutte. La main du torrent l'étreint et l'enfouit dans sa masse d'eaux troubles.

Lucas panique, se bat , bascule, parvient à reprendre son souffle, rebascule et bientôt perd ses repères. La bête en colère lui arrache sa pagaie et le malmène en tous sens aussi facilement que le vent joue avec une plume.

Le ciel et le fond ne se distinguent plus. Puis le bleu, celui du ciel réapparaît et Lucas parvient à emplir ses poumons, de justesse. Mais la rivière n'en a pas fini avec lui.

Petit fétu de vie qui espère encore une issue favorable.

L'instinct de survie est une force ancrée en l'homme. Intrinsèque. Impressionnante volonté de ne pas céder temps que tout n'est pas perdu. La rivière, elle, n'est pas impressionnée.

Lucas étouffe un cri quand une large bille de bois scie son kayak en deux et lui broie les jambes. Il souffre et étouffe ses pleures. Ce n'est plus qu'un pantin brisé qui dérive toujours plus vite. La rivière s'amuse.

L'embarcation endommagée coule et Lucas tend le cou pour retarder le moment un fragment de seconde. Il inspire profondément quand soudain, le kayak frotte le fond et lui permet de garder son visage à fleur d'eau. La rivière a décidé de jouer encore un peu. Sursis ou survie ?

Le ciel lui sourit une dernière fois. Bleu. Une roche le percute au niveau de la tempe et le sang envahit sa bouche. Sa vue se trouble. Rouge.

La profondeur s'accentue au même instant et Lucas s'enfonce dans l'eau trouble telle une marionnette qui n'a plus de ficelles.

Il est balayé comme un débris quelconque par le cour d'eau, ce cheval fou dont la fougue a trop longtemps été contenue.

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