Les Thersitides

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Image de couverture de Les Thersitides

Aux premières lueurs, ils y repartiraient derechef, sans envie. Car bien vite avait fui l'engouement qu'accompagnent les choses nouvelles, chassées par l'automatisation des gestes et les temps rabâchés, pressurisés en phase. De telle sorte qu'ils pouvaient être appréhendés, planifiés par la force des heures et des dates. Seule une incertitude, un vide incompréhensible, semblait s'éloigner toujours plus, restant, par-là même, à distance de l'efficacité avec laquelle les hommes tentaient de simplifier les choses. Combien de fois fallait-il, de nouveau, arpenter ces remblais labourés ? Furieusement hersés par d'anciennes tentatives stériles et qui, à l'instar de ce jour-ci, glissaient généralement par temps de pluie ? Car c'était ainsi qu'ils la nommèrent, cette lavasse qui chutait de ce lourd baldaquin et il fallait bien donner un nom commun à ces mollards fielleux qui s'attaquaient, avec une légère acidité et sans distinctions aucune, aux abris comme au moral des guerriers. C'était-là le vocable le moins exact, le plus vague possible, mais chacun se contentait de "pluie" et n'en voulait savoir rien de plus à son sujet. Pas davantage de ce ciel de lit, duquel venait cette bile implacable, sous lequel dormaient, réconciliés, à la fois anciens camarades et ennemis vaincus, aux crânes et aux jambes nus, dépouillés, du kevlar protecteur. Celui-ci devant être recyclé, seule la boue les couvrait, voilant ainsi aux regards leur raideur pathétique. Et nul ne s'étonna plus de voir, dans la nuit, des talus sortis de terre, nouveaux obstacles à franchir le lendemain, harassant par-là même, les forces, chaque jour un peu plus, de ceux qui se tenaient encore debout comme par une habitude provisoire.

Avec méthode, ils s'organisèrent en équipe, en bataillon et en escouade, suivant à la lettre les notifications et les attributions données par le commandement. Ordres qui s'affichaient sur leurs communicateurs à la suite des discours par lesquels, ils devaient se héler avant la bataille afin de s'exciter les uns les autres de sorte à faire naître, et à maintenir, l'ardeur qui allait presser la détente de leurs armes. Et ils s'armèrent, soit d'un lance-plasma soit d'égides énergétiques, selon qu'ils furent placés en première ligne ou en soutien. En formation dragon, ils attendaient auprès des écrans défensifs que, sur leurs visières hyalines, le décompte decrescendo, de 3 à 1, eût abouti à un "partez". Signal d'un assaut prévisible, le premier d'une longue série qui allait se perpétuer le temps de deux rythmes circadiens ; ils continuaient à compter les jours comme ils le firent chez eux. Car ils avaient au cœur un grand manque de leur monde et que ce rite les rassurait, bien qu'il fût obsolète loin de la Terre.

Les mesures défensives furent désactivées. Alors commença la lente et pénible ascension et ce fut Nix, terrien qui grandit sous le soleil de Californie, habile en parole, qui expira le premier. Trébuchant à cause du terrain accidenté, il sortit de la formation, découvrant son épaule et sa gorge. Ainsi Drazox, le plus beau des Galiléens, y lança la mort de son canon magnétique à l'endroit de la clavicule et le terrien s'effondra, sans plus de force, dans la vase, éclaboussant son armure de son propre sang. Suivi de Nekross et de Tasty, tous deux nés d'une même cuve. Le premier périt en voulant tirer le corps de Nix, quant au second, il fut anéanti alors qu'il éloignait, de l'hécatombe, la dépouille de son frère aîné, auquel il voulait éviter l'horrible putréfaction des chairs. Et tous trois furent traînés loin du combat afin de pouvoir redistribuer leurs armes et purifier leurs corps pendant que tonnaient encore, sous un sempiternel déluge, les haros et les coups meurtriers. Tombèrent à leur tour, Alpha, Viper et Kirito. Ils n'avaient pas le même langage et ils se divisaient à ce sujet, claquant du verbe de la dissension. Maintenant, qu'ils roulaient sur la pente raide de leur destruction commune, ils s'écoutaient dévaler la butte, sans d'autre parole que le retentissement de leurs armes sur eux.

Le bataillon s'arrêta, s'enracinant dans le terrain vicieux ; les directives venaient de changer et ils devaient tenir position afin de protéger, de leurs larges écus, la récupération des dépouilles sur lesquelles reposait un limon suspect. Alors la troisième ligne prit les pelles, qui se balançaient à ses ceintures. Celles qui battaient sur les cuisses pendant la courte course que les soldats durent exécuter afin de rejoindre, à l'aide de leurs radars, les points rouges. Échos fréquentiels, d'anciens alliés tombés au combat et d'ennemis vaincus. Et en creusant ils en récupérèrent un, puis deux et jusqu'à cinq, les poussant, une fois dégagés, dans le sens du dévers avec l'espoir qu'aucun talus ne vint les retenir avant qu'ils n'eussent atteint le pied du coteau. Mais, alors qu'ils dénudaient le sixième de son manteau vaseux, ils sentirent derrière eux la seconde ligne, suivie de la première, qui reculaient hâtivement. Toutes les deux ne pouvaient plus contenir la fureur des autres, des adversaires et la troisième abandonna la récupération car à découvert — à cause du repli du bataillon — elle perdit Hukanna, Crystos aux yeux marron, Ark et Zoltex, les frères de cuve Shelby, Fynix, Rysh et le grand Beerus 2m, géant parmi les hommes. Il les dépassait tous, c'est pour cela qu'il fut réformé et qu'il dut se porter volontaire pour rejoindre ses frères. À présent, il gisait avec eux d'une même masse pendant que les vivants allèrent se protéger derrière les écrans défensifs réactivés afin d'éviter l'anéantissement et attendre, rompus, le deuxième assaut.

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