Amants maudits

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- Tudieu ! L'enfoiré m'a cramé les pruneaux !

Le chevalier tapota énergiquement son entrejambe pour étouffer les flammes qui couraient le long de sa jambe gauche.
Un rugissement rauque ébranla le monde jusqu'en ses fondements.

- Fais chier ! hurla un autre, carapaçonné dans une armure de plates complète rouge. Ce château sorti de nulle part tombe à pic, on va pouvoir riposter ! Garland ! Avec moi sur le chemin de ronde ! Hector, dans la cour avec Ivan, Sven, Malory et Rodric ! Les autres allez vous poster sur les tours de flanquement, là-haut ! Avec moi !

  Le groupe s'éparpilla, chacun prenant place sur sa position. Un des guerriers resté dans la cour retira son heaume orné d'ailes dorées, et inspira une grande goulée d'air frais.

  Debout, près d'une des innombrables fenêtres du donjon principal, une jeune femme aux cheveux blancs comme le manteau neigeux qui couvrait le monde le regardait. Il était beau, avec ses cheveux auburn taillés à hauteur de nuque, son menton fin et glabre et ses grands yeux jaunes. Le chevalier, dos à l'entrée qui se découpait dans le mur d'enceinte, bomba le torse et cria :

- Mes amis ! Bientôt, Bharash viendra répandre son feu sur nous, mais Dieu est avec nous ! Armons nous de courage et de foi et tuons ce rejeton de l'Enfer !

- Son excellence a parlé, qu'il en soit ainsi ! lança un de ses camarades d'un ton moqueur en faisant une courbette.

- Ivan ! J'étais sérieux là ! répliqua le beau brun.

  Un hurlement qui retentit comme un coup de tonnerre mit fin aux bavardages des chevaliers. Un battements d'ailes si puissant qu'il semblait être le vent lui-même emplit l'air. Une ombre colossale s'étala sur la cour centrale, et une forme monstrueuse déchira l'épais voile des nuages. La jeune femme à la fenêtre la regarda descendre lentement du ciel, tel le Jugement dernier. Implacable.

  Le dragon était aussi noir et brillant que de l'obsidienne polie. Majestueux. D'une beauté mortelle. Ses yeux jaunes emprunts d'un mépris brûlant posés sur ses adversaires, il se posa avec la légèreté d'un félin sur le sol glacé.

  Une lumière vive s'alluma sur le chemin de ronde, dans son angle mort. Un des chevaliers, mains tendues en avant, façonnait un immense pieu de glace magique qu'il projeta sur Bharash. Les écailles du dragon rougirent, comme du métal chauffé à blanc, et une vague de chaleur frappa le château tout entier, contraignant la belle à la chevelure immaculée à reculer. Elle se détourna des bruits de bataille qui émergeaient en contrebas et allaient crescendo, quittant sa chambre pour rejoindre les escaliers. Un léger sourire se dessina sur son visage et tira ses yeux d'un bleu pâle. Une détonation fit trembler la demeure. Un cri de rage d'homme, suivi d'un hurlement de douleur suraigu qui n'avait plus rien d'humain, retentit. La jeune femme descendait les degrés un à un, avec grâce, vêtue d'une longue robe à traîne qui semblait tissé dans la neige et le cristal les plus fins. Lorsqu'elle arriva sur le parapet surplombant l'escalier double menant au grand hall d'entrée, il n'y avait plus que le silence au dehors. Un des chevaliers était entré dans le château, debout dans le hall, face à elle, le sang de ses camarades maculant sa belle armure. C'était le jeune guerrier aux cheveux d'un brun tirant vers le roux qu'elle avait remarqué plus tôt. Le dernier vivant de son escouade.

  Fasciné par le charme irréel de la femme qui l'observait, il s'immobilisa, son épée encore en main. Il la regarda descendre les marches avec une prestance telle qu'elle paraissait ne pas les toucher. Elle le rejoignit et se tint à un souffle de lui. Un souffle aussi froid que l'hiver. Plus petite que lui, son visage était fin, sa peau d'albâtre, ses yeux d'une douceur indicible, ses lèvres étourdissantes.

  Elle se mit sur la pointe de pieds et déposa un doux baiser sur la bouche du chevalier. Les yeux de ce dernier s'ouvrirent grands. Sa peau pâlit pour devenir aussi blanche que celle de la jeune femme. Des cristaux de glace se formèrent sur son visage, ses cheveux se figèrent, durcirent terriblement, et le preux défenseur de la veuve et de l'orphelin devint une statue de glace.

  La dame du château contempla son œuvre un instant. Satisfaite, elle se rendit à l'extérieur. Un vent glacial soufflait sur les pavés de pierre. Le dragon, pas même égratigné, un cadavre piégé entre les griffes de sa patte droite, la dévisagea. On pouvait lire de la contrariété dans son regard ambré.

- Enfin, Avram, tu sais que c'est le seul moyen, dit la belle d'une voix douce.

Elle fit un pas vers le dragon qui recula vivement. De la peur brillait dans ses yeux. Ceux de la jeune femme, eux, se remplirent de tristesse.

- Je sais mon amour. Si j'approche trop, je fondrai comme neige au soleil. Mais nous y sommes presque. Amène moi encore un chevalier aux yeux jaunes et nous pourrons enfin nous parler à nouveau. Nous toucher. Nous aimer. Va !

  Le dragon posa des yeux brûlant d'amour et de passion sur la reine des glaces, déploya ses puissantes ailes, et s'éleva pour disparaître dans l'éther.

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