Widjigo (Estelle Faye)

4 minutes de lecture

Un révolutionnaire (dont on oublie vite le nom) se trouve malgré lui dépositaire du secret du noble qu’il est venu arrêter, le marquis Justinien de Salers. En l’espace d’une nuit, enfermé dans un phare au bout du Finistère, il devra écouter son histoire, macabre et tragique. Une histoire de faux-semblants, de trahisons, de vengeance et de mort.

La perspective de tomber sur une histoire de survie teintée de cannibalisme et de surnaturel, par une plume française à la réputation bien établie : voilà ce qui m’a poussé à acheter cette nouveauté quelques mois après sa sortie (en général, j’attends qu’ils sortent en poche). Je m’attendais à un genre de Terreur (D. Simmons) à la française. Malheureusement, pour moi, la magie n’a pas fonctionné. Je vous dis pourquoi.

Un récit caché dans un autre

La forme, tout d’abord, m’a rebutée dès les premières pages. J’ai trouvé la narration terriblement robotique. Un petit exemple sur une scène d’action p. 147 (c’est le moment où j’ai décroché sans espoir de retour) : « Machin se pourlécha. Les trucs battirent en retraite. Machin leur courut après. (…) Sa voix s’éraillait d’angoisse. En réponse Trucmuche ricana. Chose se tourna vers elle. » (Les machins, trucs et choses servent à ne pas dévoiler qui fait quoi à qui)

Je sais qu’il existe une règle disant que ce type de scènes doivent être servies par des phrases simples, mais là, cette succession de sujet-verbe-complément m’a empêché de m’immerger dans l’histoire. Le fait que la totalité de la narration soit au passé simple, en dépit des nombreux allers-retours dans le temps, m’a également perturbée, ainsi que la multiplication des points de vue pas très clairs (comment Machin sait-il ce que pensait Truc tout le long…?) L’autrice étant réputée auprès de nombreux chroniqueurs et lecteurs pour son style travaillé et sa maîtrise de la narration, j’en attendais peut-être beaucoup trop. Je ne sais pas.

On peut tromper mille personnes une fois…

Mais d’autres choses m’ont gênée dans ma lecture. L’intrigue en elle-même, que j’ai trouvé à la fois minimaliste et tarabiscotée, avec ses nombreux rebondissements prévisibles et en même temps incroyables, à coup de « Par l’enfer, c’était toi ! Tu n’étais donc pas mort ! » Je caricature, bien sûr, mais c’est un peu ce que j’ai ressenti dans les dernières pages. À la rigueur, ce procédé fonctionne une fois, mais pas deux ni trois. La fin du roman, avec sa suite de révélations qui s’enchainent, ne m’a pas convaincu du tout : elle m’a même perdu définitivement. Pour moi, elle soulève un problème de narration fondamental.

Ma confusion a peut-être également été provoquée par la construction en mode « poupées russes » (une histoire dans une histoire dans une histoire) du roman, qui se transforme en kaléidoscope chaotique à la fin : à quoi servent ces deux chapitres de flashbacks finaux ? Pourquoi sont-ils là ?

Entre « Terreur » et le « Pacte des loups »

Mais tout cela serait resté de simples détails de forme si le fond m’avait convaincu. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

J’ai pris ce livre en espérant tomber sur un roman « d’ambiance » : je m’attendais à une atmosphère horrifique, un roman de survie bien ancré dans son contexte historique tout en étant bien assaisonné de surnaturel solide à la « Terreur » de Simmons. Mais en dépit du nombre de cadavres et de récits plutôt sordides, je n’ai pas éprouvé de sentiment d’horreur (ou même d’émerveillement) une seule fois. Les descriptions, pourtant travaillées, m’ont paru plates et mornes. Elles ne m’ont rien fait ressentir. Jusqu’au trois-quarts de ce roman, je me suis ennuyée. J’ai même dû interrompre ma lecture à un moment pour le reprendre plus tard, une fois un autre roman fini.

J’ai également eu beaucoup de mal à m’attacher aux personnages et à éprouver de l’empathie ou de l’intérêt pour leur sort. Ils m’ont paru peu crédibles, stéréotypés (le pasteur, la traqueuse indienne badass, le noble frivole, la sorcière...) et plutôt superficiels. Je ne me suis attachée à aucun. Ils m’ont semblé être des figurants passant par là, pour aussitôt repartir. J’ai trouvé leurs motivations tirées par les cheveux et, surtout, impossibles à mettre en pratique (quelle chance ils ont eue que leur plan fonctionne, finalement !). Et que dire de leur naïveté et leur aveuglement ? Aux trois-quart du roman, après de nombreux morts et une atmosphère de suspicion généralisée en mode « il y a une créature parmi nous », l’un des personnages attaque un loup à mains nues et lui ouvre la jugulaire avec les dents. Ensuite, tout le monde repart, comme si ce fait d’armes extraordinaire était normal. Je ne peux pas en dire plus pour ne pas divulgâcher l’intrigue : les révélations finales constituent en effet le ressort principal du roman. De votre capacité à les trouver crédibles dépendront beaucoup de choses… pour moi, cela n’a pas fonctionné.

En conclusion

Le côté un peu minimaliste de la narration et l’habillage « Pacte des loups » de l’histoire permettront sûrement d’en faire un film spectaculaire à l’écran. J’ai bien aimé l’utilisation faite par l’auteur des mythes et ses descriptions poétiques de la Bretagne, qui m’ont semblé plus travaillées et imagées que celles de Terre-Neuve et de son folklore. On sent le travail de recherche et l’érudition en arrière-plan, mais j’attendais un peu plus de matière à me mettre sous la dent : finalement, on n’en saura pas plus sur le Widjigo qu’au début du bouquin. C’est peut-être un effet voulu, le Widjigo étant une créature née de « la faim et la solitude »…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0