Mon bilan des Imaginales 2022

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C’était ma première participation à un festival littéraire. La foule, le bruit, tout ça, ce n’est pas trop mon truc d’habitude ! Mais après deux années de pandémie ayant provoqué l’annulation de la plupart des évènements de ce type, je tenais vraiment à y aller, d’autant plus que j’avais la chance de faire partie des 50 sélectionnés pour les rencontres auteurs-éditeurs organisées en marge du festival (les fameux « speed-editing »). Arrivée jeudi en début d’après-midi et reparti samedi midi, je n’y ai participé qu’un jour entier et deux demi-journées. C’est donc un regard très incomplet, mais personnel, que je vous présente ici, d’autant plus que j’ai assisté à aucun colloque, ouverture/fermeture officielle ou remise de prix. C’est l’expérience d’un participant lambda, comme le sont la majorité des festivaliers, même s’il y a un côté « grande famille qui se retrouve » à cet évènement !

Les tables-rondes :

Les tables rondes avaient lieu dans des chapiteaux vintage (les « magic ») absolument magnifiques, posés çà et là dans le parc. Pour moi, c’est vraiment le point fort des Imaginales en terme d’architecture (le reste est constitué de tentes pour les exposants indépendants et d’un grand barnum, la Bulle du livre, où se trouve la librairie centrale et les auteurs invités). J’attendais ces mini-conférences avec beaucoup d’espoir, et je m’étais concocté tout un petit programme que, malheureusement, je n’ai pas pu tenir (en partie à cause des speed-editing, qui m’ont pris toute l’aprèm du vendredi jusqu’à tard le soir). Voici ce que j’en ai retenu :

- « La SF ne parle pas du futur. Elle parle de nous ! » avec Rivers Solomon, Floriane Soulas, Pierre Bordage, J-L. Marcastel. Modération : ? (modérateur changé au dernier moment)

La discussion a débuté par une petite diatribe aux accents anti-vax de la part de Pierre Bordage, dont j’ai trouvé la vision du futur très soixante-huitarde : le progrès doit tendre vers la libération au niveau individuel, la religion, forcément oppressive, doit forcément disparaître, etc. Pour Floriane Soulas, l’être humain aura le choix entre deux voix : le transhumanisme et l’intelligence artificielle. Elle a reparlé de cette vision de l’avenir dans une autre TR, mais j’ai malheureusement oublié de lui demander pourquoi elle opposait les deux. Le problème des chimères a également été évoqué, notamment, à travers l’exemple actuel des embryons de caille-poulet fabriqués par des labos chinois. J-L Marcastel a apparemment écrit un livre sur des hommes chimères possédant des gènes de tigre dans « Yoko » : encore un livre qui me fait de l’œil !

C’était ma première TR et elle m’a un peu déçue. Je m’attendais à des discussions générales sur la SF de la part d’auteurs qui en écrivaient, et en fait, c’était limité à ce qui se passait dans leurs bouquins. J’ai trouvé que le modérateur n’était pas à la hauteur et qu’il posait des questions un peu à côté de la plaque, notamment en opposant une fois de plus protagonistes féminins et masculins en SF en termes de supériorité et d’infériorité (ce qui a, d’ailleurs, provoqué quelques réactions outrées de ma voisine de table : « mais il en est où, lui ? »). On n’a pas beaucoup entendu Rivers Solomon non plus, sans doute à cause de la barrière de la langue.

- « Je est un autre. Pourquoi adopter un pseudonyme ? » avec Silène Edgar, Paul Beorn, Alexiane de Lys, Johan Heliot. Modération : Solène Dubois

Encore un sujet qui m’interpellait. J’ai découvert à cette occasion Silène Edgar, qui m’a tenue éveillée malgré la chaleur écrasante de cette fin d’après-midi avec son humour imparable. Elle nous a raconté avoir choisi le nom d’Edgar pour « faire chier son éditrice » qui lui imposait un nom de famille, en choisissant « le plus tarte possible ». Plus sérieusement, elle nous a avoué que ce nom n’était pas lié à un célèbre auteur de fantastique, mais à un personnage Disney qui déteste les chats… elle confie avoir publié sous 4 pseudos différents. Il existe une tradition qui veut qu’on change d’alias quand on change de genre littéraire, comme Boris Vian qui change de nom pour publier des nouvelles cochonnes (ou Anne Rice pour les Infortunes de la Belle au bois dormant). Le pseudo est un costume de personnage public, quelque chose qui protège, et qui permet d’opérer une séparation entre la personnalité publique et privée, notamment dans le monde professionnel (beaucoup d’auteurs sont enseignants). Il est également lié à la représentation de l’écrivain en France. Pour Paul Beorn, il est comme un costume de scène. La persona Paul Beorn existait depuis longtemps : « Je suis un auteur de romans dans ma tête depuis que j’ai cinq ans ». Pour lui, sa persona d’auteur est sa « véritable personnalité ». Johan Heliot, qui a fait ses premières armes dans les fanzines (qui tenaient un peu le rôle des plateformes d’écriture sur le net aujourd’hui), n’a pris un pseudo que lors de son premier contrat. Il nous raconte avoir inventé un personnage d’auteur américain pour son western vampirique (« Gloom silver ») coécrit avec un collègue. Il a également publié une réécriture de la Belle et la Bête sous un autre nom, qui a fait un flop justement parce que l’auteur était inconnu au bataillon. On a un peu moins entendu Alexiane de Lys, dont la saga sur les sirènes de Bretagne chez Michel Laffont a attiré mon attention.

- « Quand le fantastique contemporain retrouve une nouvelle jeunesse » avec Myrtille Bastard, Charlotte Bousquet, Morgane Caussarieu, Rod Marty. Modération : Clément Pélissier

Morgane Caussarieu a présenté sa vision du monstre comme métaphore des problèmes psychologiques et sociaux, comme dans Buffy contre les vampires avec le « monstre de la semaine ». Pour elle, le monstre est bestial, sauvage. Charlotte Bousquet partage cette vision horrifique du monstre, depuis la collection Pocket horreur, qu’elle dévorait. Myrtille Bastard, l’auteur de « Loba », elle, a au contraire conçu le Lobison (le loup-garou argentin) comme une représentation « chamanique » de la nature, une opposition aux humains, qui sont les véritables monstres. Là-dessus, elle rejoint Karine Rennberg, l’autrice de « Meute », que j’ai entendue lors d’une autre TR.

Tous se sont accordés à dire que le fantastique doit, pour fonctionner, s’appuyer sur le réel, accessible uniquement par un travail de recherche profond. Pour Morgane Caussarieu, le young adult est moins solide de ce côté-là, car les éléments fantastiques ne sont souvent qu’un décor, les recherches folkloriques ou historiques moins poussées, et repose avant tout sur l’action. Elle avoue avoir du mal avec l’urban fantasy car, dans ce genre, les créatures sont balancées dans l’histoire de manière assez superficielle. Cet avis, que je partage également, m’a rappelé un billet de blog de l’autrice Léa Silhol, qui y opérait une distinction entre son urban fantasy et le sens que ce terme a pris aujourd’hui (et comme je ne trouve plus l’article, je vous met le lien vers un vieil article de blog de monde-fantasy qui aborde un peu ce débat). Pour moi, pendant longtemps, Musiques de la Frontière a été mon unique exemple de ce genre, jusqu’à ce que je découvre tout ce qui a fleuri en YA dans la dernière décennie (et que j’ai trouvé radicalement différent en termes de profondeur). J’ai compris grâce à l’explication de Morgane Caussarieu que l’explication vient du public auquel ces différents romans s’adressent. La conversation s’est dirigée vers l’explication des différents genres par Catherine Dufour. À partir « du chat parle », la fantasy dira « et c’est normal », la SF cherchera à donner une explication plausible, et le fantastique, lui, dira « et tu as peur ». Cette conversation très intéressante fut troublée par l’intervention de scolaires cherchant à se faire remarquer : Charlotte Bousquet nous en a débarrassé en disant « on boit du sang d’enfant, ici ». La suite de la discussion a dérivé naturellement sur les enfants monstres, comme on en trouve dans les romans de Morgane Caussarieu. J’ai appris à cette occasion que la collection Chatons hantés des éditions du Chat Noir avait pour vocation de proposer une sorte de « Chair de Poule » qui se finit bien, et que la collection « Faune » donnait une voix aux autres espèces. J’ai l’impression que la fantasy animalière ou écologique s’installe comme une vraie tendance de fond, et je m’en réjouis.

- « Les créatures surnaturelles sont de sortie ! » avec Maëlle Desard, Karine Rennberg, Victor Dixen et Marie Valente. Modération : Jérome Vincent (ActuSF)

Cette TR répondait un peu à celle sur le fantastique contemporain à laquelle j’avais assisté précédemment, mais avec des auteurs différents. Deux d’entre eux, Victor Dixen et Marie Valente, ont écrit une saga vampirique YA qui se situe dans un cadre France du 17° (même si, pour Dixen, la chronologie est étendue jusqu’à nos jours), qui repose sur des bases historiques et folkloriques solides. Karine Rennberg a écrit une histoire de loups-garous insérés dans notre société contemporaine, mais « biologiquement plausible », et Maëlle Desard, une urban fantasy qui se moque de notre société actuelle, dans laquelle les fantômes sont informaticiens et les vampires anglais plus sauvages que les autres (une constante, apparemment !).

Dixen a rappelé la force du mythe littéraire du vampire, ce qui explique sa pérennité. Il dit avoir choisi le 17°, car c’est à cette époque, qui paradoxalement représentait l’avènement de la raison, que l’Europe a vu fleurir une véritable épidémie de vampirisme, comme une sorte de contre-réaction. Il a également rappelé l’importance des recherches, qui permettent, en donnant une base très crédible au roman, de donner ce qu’il appelle un « pack de vraisemblance ». Plus on garde d’éléments véridiques, plus le roman semblera véridique. L’auteur, lui, interviendra dans les « trous » de l’histoire. J’ai trouvé son intervention très intéressante, tant sur le fond (Dixen connaît bien ses sources) que sur la méthode littéraire. Ce qui, au fond, ne m’a pas étonné de la part d’un auteur à succès comme Dixen. J’ai vu qu’il intervenait samedi soir lors d’une TR sur les vampires avec Morgane Caussarieu à laquelle, malheureusement, je ne pouvais pas assister, et sur la vraisemblance historique avec Fabien Cerruti. Dommage !

- « Les nouvelles tendances de l’imaginaire » avec Estelle Faye, David Bry, Floriane Soulas et Georgia Caldera. Modération : Céline Blaché (PLIB)

Pour moi, c’était de loin la conférence dont le contenu s’est révélé le plus intéressant, car elle parlait du milieu de l’imaginaire littéraire en général, et pas exclusivement des bouquins des auteurs. J’ai vraiment apprécié l’intervention de Floriane Soulas (elle est parfaite, cette nana), qui racontait que son roman Les oubliés de l’Amas était la SF qu’en tant que femme, elle avait eu envie de lire. Elle a rappelé que les éditeurs lui ont fait confiance pour un projet de space opera parce qu’elle avait déjà eu deux publications à succès dans des genres plus « admis » pour les autrices : le YA et la fantasy. Estelle Faye a confirmé que c’était plus facile pour une autrice d’être distribuée en YA, et a raconté que la centrale d’achat de la Fnac ne voulait pas acheter Widjigo et que Gilles Dumay (Albin Michel Imaginaire), qui essaie d’installer des femmes en SFFF adulte, a dû se battre pour ce livre. Pour elle, il s’agit d’un « système global », et non, véritablement, de choix individuels de la part des éditeurs. Elle a souligné l’importance de la représentation des minorités, quelles qu’elles soient, en littérature de l’Imaginaire. David Bry et Floriane Soulas sont revenus sur la controverse twitter qui a frappé l’anthologie Imaginales de cette année (Afrofuturismes), puis la discussion s’est dirigée vers la surproduction et l’exhortation à produire toujours plus, plus vite (Georgia Caldera a dit devoir écrire deux livres par an pour vivre...). La modération était assurée par une jurée du PLIB, ce qui a permis à Estelle Faye et à David Bry de rappeler l’importance de ce prix pas comme les autres pour faire exister les livres dans la durée, et de donner de la visibilité aux petites maisons qui sont aussi garantes de l’Imaginaire, puisque le PLIB dépasse cela sans souci de force de frappe. Pour Estelle Faye, le YA est plus intéressant que la SFFF adulte, car les ME qui en éditent, et parmi elles, surtout les petites, font des choix audacieux, en fonctionnant sur le coup de cœur, là où les grosses ME publiant de l’adulte chercheront des choses plus formatées, plus « sages ». C’est en YA, nous dit-elle, qu’on trouve des personnages qui « pètent toutes les cases ».

Les rencontres auteurs et les achats :

Il n’y a pas à dire : rien de mieux qu’un auteur pour vendre son propre livre !

Naïvement, j’avais prévu de ne faire que deux achats : La captive de Dunkelstadt de Magali Lefebvre (Noir d’Absinthe), sur lequel je lorgne depuis un bout de temps, et Nouvelles du front, l’anthologie dirigée par Silène Edgar chez Livr’S (qui m’a donné un livre gratuit au passage). Mais en passant devant le stand du 1115, j’ai succombé aux chants de sirènes d’Arnauld Pontier et Thomas Fouchauld, et je leur ai pris trois livres (ils m’en ont offert un en plus : j’ai pris Silène Edgar, que je venais d’entendre en Table Ronde). Puis, j’ai succombé à la fameuse anthologie de fantasy animalière qui a gagné le prix de la nouvelle cette année : Féro(ce)ités chez Sillex. J’ai mis deux jours à récupérer mon bouquin, car il a fallu attendre que tous les auteurs me le signent ! Ce que je ne regrette pas, vu la créativité et le nombre des dédicaces… ensuite, je me suis arrêtée chez Fabien Cerruti, dont j’ai lu la saga, et je lui ai pris un exemplaire des Secrets du Premier Coffre. Je n’avais emmené qu’un seul bouquin à dédicacer, les Noces de la Renarde de Floriane Soulas, car je comptais le lire pendant le festoche…

Je voulais également voir l’historien Pierre-François Souyri qui vient de sortir un livre très bien sur la culture érotique japonaise d’un point de vue historique, mais il n’était jamais présent sur la table centrale… je pense que le fait qu’il ait été invité par le côté maçonnique du festival a joué.

J’ai pu discuter avec Morgane Caussarieu (Dans les Veines, Vertèbres), dont je suis le travail avec attention, et qui à mes yeux de lectrice d’horreur est l’une des jeunes autrices les plus prometteuses de ces dernières années, mais aussi avec Manon Ségur (Le Cloître des Vanités), Magali Lefebvre, Fabien Cerruti, Floriane Soulas (qui était vraiment l’âme des Ima cette année!)… et j’ai découvert six auteurs que je ne lisais pas, mais dont le travail a attiré mon attention grâce au festival : Silène Edgar, Mat D, Morgane Stankeviewcz (Noir d’Absinthe), Sizel (Plume Blanche), Arnauld Pontier et Thomas Fouchauld. Sur le stand de Crin de Chimère, j’ai adopté un adorable Cthulluh, qui me faisait de l’œil depuis l’an dernier. Dans la Bulle des Livres, j’ai également repéré deux livres que je n’ai pas encore achetés, mais que je vais lire dans un futur plus ou moins proche : La princesse au visage de nuit de David Bry et Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor. Enfin, j’ai découvert trois maisons d’édition qui me paraissent intéressantes : Goater, l’Homme Sans Nom, et Livr’S.

Les rencontres auteurs-éditeurs :

Pour les heureux inscrits, c’était le point fort du festival, ce qui déplaçait, pour nous, son apex sur le vendredi (et non le samedi). Ce calendrier m’a permis de profiter du festival avant la ruée du week-end, ce dont je me félicite !

Je ne vais pas revenir en détail sur ces rencontres, car, comme tout évènement initiatique (c’était justement le thème « maçonnique » de l’année…), son déroulement et ses acteurs doivent rester nébuleux. Il y avait un petit côté rituel dans ce speed-editing, avec le lieu officiellement « secret », les conseils cryptiques des anciens étant passés par là (les coachs Maëlle Desard et Mat D, qui ont tout fait pour détendre des participants tétanisés), la gestion du groupe par des « senpai » dûment accrédités (merci à Floriane Soulas au passage) et même une petite ambiance Fort Boyard avec le temps limité (et le stress qui va avec), et les fameux « gardiens du Graal » que sont les éditeurs qui, souvent, affichent le masque impassible des maîtres du temps.

Les rencontres :

Je suis venue seule du fin fond de mes montagnes, et je m’attendais à passer beaucoup de temps à me morfondre et à m’ennuyer parmi ces gens qui se connaissent tous. Que nenni ! J’ai même regretté de ne pas avoir plus de temps seule pour décompresser. Hormis les auteurs et les éditeurs, et des gens croisés pendant les TR (dont une dame qui a pris les références du numéro de Gandahar auquel j’ai participé), j’ai retrouvé des membres du célèbre forum d’écriture Jeunes Écrivains qui participaient (ou non) au speed-editing et une blogueuse avec qui j’échange souvent sur les réseaux : Zoé Lucaccini. J’ai discuté avec énormément de monde, et, pour reprendre les mots de Zoé, explosé mon quota de socialisation pour l’année à venir ! Certaines de ces rencontres vont peut-être s’inscrire dans un temps plus long. Je l’espère, en tout cas ! Sinon, à l’année prochaine :)

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