Les glaces auraient le pouvoir inquiétant de réfléchir les fantômes, esprits et autres entités étranges. De l’horrible vieille d’Insidious au fantôme vengeur de Candyman qu’on invoque devant un miroir, en passant par le mauvais génie qui conseille la méchante reine de Blanche-Neige, ce trope est un grand classique cinématographique. On en voit une illustration dans The Haunting of Bly Manor, où la baby-sitter américaine, hantée par le spectre de son ancien petit ami, est obligée de recouvrir les miroirs de tous les endroits où elle passe. Ici, le fantôme, qui apparaît tel qu’il était au moment de la mort, comme un négatif resté imprimé dans la rétine de la personne hantée. Ces apparitions spectrales sont le contraire absolu du vampire, qui, lui, n’est qu’un corps sans âme. Donc, qui ne se reflète pas, au contraire des âmes errantes en recherche d’incarnation.

D’où vient ce pouvoir particulier qu’on prête au miroir, et pourquoi est-il si efficace ?

Pour le philosophe Jacques Derrida, le miroir possède le pouvoir de réfléchir le monde, qu’il renvoie en négatif… un peu comme la photographie, qui fut l’objet de superstitions jusqu’à très récemment ! Or, ce négatif, c’est le monde invisible, celui des morts. Pour cette raison, les superstitions liées au miroir sont nombreuses dans toutes les cultures. En Asie orientale, il est déconseillé de placer un miroir face à son lit, car il pourrait absorber le double spirituel du dormeur qui se détache pour vagabonder pendant le sommeil. Au Japon, le miroir, l’un des trois trésors impériaux, symbolise la présence des dieux. On en place à Hong-kong devant les fenêtres la nuit pour effrayer les démons. Dans la culture juive, on voile les miroirs d’une habitation à chaque décès pour éviter que l’âme du défunt reste dans le foyer. Idem en Afrique centrale : si on ne couvre ou ne retourne pas le miroir dans une maison où se trouve un cadavre, on court le risque de croiser le regard du mort dans la glace et d’être happé dans l’autre monde. Les rétroviseurs des corbillards doivent être occultés pour cette même raison. Dans la sorcellerie du kong du Nord-Gabon, du Congo et du Cameroun, pour fabriquer des zombies (des gens empoisonnés, socialement morts, qui travaillent gratuitement au profit de l’envoûteur), il faut que l’image de la personne destinée à ce sort funeste apparaisse dans un miroir. Dans ces systèmes de représentation, le miroir est plus qu’une réflexion : c’est une fenêtre vers l’autre monde, un monde qui est le contraire du nôtre. Un monde où les morts marchent, où les valeurs sont inversées. Dans le folklore européen, le miroir est d’ailleurs le complice du diable, vecteur de vanité, mais aussi de folie.

Méfiez-vous des miroirs...