Je cueillerai la vie et je te l’offrirai (Florence Wells)

4 minutes de lecture

L’Alchimiste, 300 pages, 2022.

Résumé : Autour d’Anna, mère en détresse qui subit un jour le coup de trop, s’entrecroise le destin de quatre femmes. Alex, la fliquette énergique qui veille son frère dans le coma, Léa, l’interne un peu trop jolie pour les maraudes, Marie la travailleuse sociale, et surtout Martha, la clodo intello qui empile de la poésie dans sa vieille wago.

Voilà typiquement le genre de roman que je fuis comme la peste : de la litté « sociale », avec un ancrage solide dans le réel, celui des travailleurs sociaux, des flics, des soignants, des SDF, des femmes battues et des dealers de cité... L’immersion dans le quotidien gris-bitume d’une ville anonyme, tout ça sans la moindre goutte de surnaturel ou de mystère. Autant dire que je redoutais cette lecture ! Mais finalement, elle m’a surpris. Pourquoi ?

Plus que le fond de l’histoire, pour une fois, c’est la forme de ce roman qui m’a accroché.

La narration, à partir d’un seul personnage, s’ouvre en étoile sur le quotidien de personnages qui se croisent, sur un espace et un temps donné. Loin de s’arrêter à Anna qui sert un peu de détonateur à cette histoire (ce sera également avec elle qu’on fermera le livre), le roman nous fait emboiter le pas de la personne qu’elle vient juste de croiser : la travailleuse sociale, qui finit sa journée par une maraude (ce qui nous permet ensuite de suivre les pas d’une SDF, puis d’une interne, ce qui nous ramène à Alex qui se trouve à l’hôpital, etc.). Cette construction originale, qui m’a rappelé celle de La pierre et le sabre d’Eiji Yoshikawa, a la mérite de nous plonger dans le maillage serré et les réseaux d’interrelations de toute une société. En nous faisant sauter naturellement d’un personnage à un autre, elle rend la lecture vraiment agréable et intéressante. On s’attache à ces gens, on a envie de savoir ce qui leur arrive, pourquoi ça leur arrive et comment ça va se terminer. Il y a également un sentiment d’immédiateté dans l’écriture qui rend ce roman très dynamique, presque « explosif ». On est dans l’ici et maintenant, et les choses s’enchainent à toute vitesse, comme dans un grand huit qui s’emballe. Le final, pourtant assez prévisible, nous fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre, avec sa résolution douce-amère, qui marque à la fois la fin d’une possibilité et l’ouverture d’une autre. Il m’a fait penser à celui de La Route, de Cormac MacCarthy. Enfin bref, pour se plonger dans ce livre, autant être bien accroché... c’est un peu ce que je craignais, et pourtant, ça s’est bien passé. Il y a une espèce de douceur, de gouaille un peu conte, avec ses personnages légèrement stéréotypés (le grand méchant dealer — qui est vraiment ignoble —, les bénévoles « anges gardiens », les soignants surbookés et souvent maladroits, la flic qui s’en laisse pas compter, la SDF au grand-cœur...), qui fait passer les choses et nous empêche de sombrer dans le désespoir. Le titre, que je trouvais un peu cruche au début (il a même été cité dans les pires titres de l’année dans la rubrique littéraire du Figaro, à côté de « Zizi Cabane » de Bérengère Cournut et de prestigieux auteurs galligrasseuil, excusez du peu !), trouve sa justification dans le poème qui est récité par l’un des personnages tout à la fin. À bien y réfléchir, je n’aurais pas trouvé mieux !

Il faut dire que ce roman est vraiment porté par son écriture. Le sujet en lui-même n’est pas vraiment folichon, ni même original. C’est la façon dont il est traité « formellement » qui l’est. L’écriture est très efficace et entrainante : il ne m’a fallu que quatre heures, avec beaucoup d’interruptions, pour le lire d’une traite. J’avais déjà remarqué cela dans d’autres écrits de l’autrice, que je suis sur les plateformes d’écriture (elle a gagné les Wattys en 2021 dans la catégorie SF avec Hydrogène et le concours des Murmures Littéraires 2022 en littérature générale avec ce roman, édité depuis chez l’Alchimiste). Même si Florence Wells, de son propre aveu, n’écrit que depuis peu, on sent déjà une voix très personnelle, un « style » qui se démarque. À suivre, donc, car nul doute que ce premier roman sera suivi par de nombreux autres !

Pour finir, deux références de romans traitant de sujets similaires par des autrices qui ont commencé elles aussi sur des plateformes d’écriture (parce qu’on ne met pas assez en avant ce type d’auteur) :

- La rue qui nous sépare de Célia Samba, publié chez Hachette romans (elle aussi a gagné un concours, celui de « Nos Futurs », le prix du premier roman engagé de Hachette), qui raconte l’histoire d’amour entre une étudiante bourgeoise et un jeune SDF de son âge à qui elle a offert une crêpe ;

- Retrouvailles inattendues d’Ambre (en cours, publié sur l’Atelier des Auteurs sous le pseudo de Komakai), qui raconte les retrouvailles de deux amis dont l’un est devenu SDF (il y a aussi une histoire d’amour à la clé)

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