Enzo

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C’était une belle journée de juin, l’une de celles où le soleil caresse la peau d’une lumière dorée et où l’air chaud, mais doux, sent à la fois la pierre et le parfum discret des fleurs des balcons. Les terrasses étaient animées, un mélange de rires, de tintements de verres, de murmures qui se perdaient dans le brouhaha de la ville. Des pas pressés résonnaient sur les pavés, mais moi, j’avançais sans but précis, absorbée par mes pensées.

Puis, au détour d’une rue, je l’ai vu.

D’abord, juste une silhouette, venant en sens inverse. Tête légèrement baissée, mains dans les poches. Rien d’exceptionnel… jusqu’à ce qu’il relève les yeux.

Mon souffle s’est coupé.

Plus rien n’existait autour. Les bruits, la lumière, les passants… tout s’est effacé comme si quelqu’un avait abaissé un rideau invisible. Il ne restait plus que : Enzo.

Son visage avait changé, bien sûr. Les traits plus affirmés, le regard plus profond. Mais c’était toujours cette même bouille que je connaissais par cœur. Un mélange d’innocence d’autrefois et de maturité nouvelle. Et cette impression étrange que le temps, malgré tout, n’avait rien effacé.

Un éclat a traversé ma mémoire.

Nous, enfants, courant dans les ruelles après l’école, nos rires se mêlant à l’air de fin d’après-midi. Lui, deux ans de moins, toujours collé à mes pas, me suivant comme mon ombre. Il avait cette manière de s’accrocher à moi, non pas par besoin, mais comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Un vrai pot de colle, et je l’aimais comme ça. Nous inventions des mondes, ramassions des pierres comme des trésors, inventions des codes secrets. Je me souviens de ses yeux brillants quand je lui confiais un secret, comme s’il recevait un cadeau précieux.

Et puis le jour où il a dû partir. J’avais quinze ans, lui treize. Une dernière étreinte maladroite, un au revoir murmurer, la promesse de s’écrire… mais les lettres ne sont jamais venues. Le silence avait pris la place des mots, et peu à peu, j’avais cru que nos chemins ne se croiseraient plus jamais.

Jusqu’à aujourd’hui.

En 2022.

Il a esquissé un sourire. Lent, presque timide, mais chargé d’une chaleur que je reconnaîtrais entre mille. Et puis, il a murmuré :

— Angie ?

Ce surnom… il m’a frappée en plein cœur. Personne ne m’appelait ainsi depuis lui. Sa voix avait changé : plus grave, légèrement rauque, mais toujours enveloppée de cette douceur familière.

En quelques pas, il était devant moi. Je devais lever les yeux pour croiser son regard : il avait grandi, tellement grandi. Puis, sans attendre, il m’a prise dans ses bras.

Et là…

Son parfum. Un mélange subtil, chaud, presque rassurant, comme une empreinte que ma mémoire n’avait jamais oubliée. Ses bras étaient fermes autour de moi, protecteurs, et son corps dégageait cette chaleur qui donne envie de s’y perdre.

Mes yeux se sont embués aussitôt. Mon cœur cognait si fort que j’avais l’impression qu’il allait se briser. À cet instant précis, une certitude s’est imposée : il m’avait atrocement manqué. Pas un manque vague, non. Un vide, là, dans la poitrine, que je n’avais jamais su nommer jusqu’à le retrouver.

Je l’ai serré de toutes mes forces, au point d’en avoir mal aux bras. Et il m’a serrée tout autant. Ses épaules se sont mises à tressaillir. J’ai compris alors qu’il pleurait. Et moi aussi.

Deux idiots, debout au milieu d’une rue, enlacés comme si nous étions seuls au monde, les joues mouillées, le cœur trop plein. Et c’était beau. D’une beauté brute, simple, presque douloureuse.

Quand il s’est légèrement détaché, j’ai vu les traces humides sur ses joues, ses yeux brillants, mais il souriait, toujours. Ensuite il a posé un baiser sur mon front, avec cette délicatesse qui m’a transpercée, avant de me reprendre dans ses bras comme s’il avait peur de me perdre à nouveau.

Je crois que c’est à cet instant que j’ai commencé à tomber amoureuse. D’abord doucement, comme une lueur fragile… puis, au fil de nos retrouvailles, d’une intensité presque violente.

Bien plus tard, il m’a confié qu’il avait toujours été amoureux de moi. Et moi, j’ai su que ce jour-là n’était pas seulement une rencontre. C’était la suite de notre histoire. Celle qui, peut-être, n’avait jamais vraiment commencé… et qui pourtant n’avait jamais cessé d’exister.

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