— Montre-moi cette offrande, exigea le Grand Glacier. Que je me forge un avis sur la question.

 Skuld déglutit et, attrapant son courage à deux mains, ainsi que le panier d’osier, elle fit quelques pas, passant devant le loup. N’osant s’approcher de trop près, elle le déposa par terre une fois arrivée à mi-chemin et fit aussitôt demi-tour pour se réfugier derrière son ami, qui aurait pourtant eu bien du mal à la protéger d’une si grande créature. Le groin de celle-ci remua tandis qu’elle s’approchait, méfiante. Une fois au niveau du panier, il déposa une patte avant à côté. Skuld vit en sortir un bras blanc comme celui d’un mort qui l’ouvrit. Le sanglier de glace approcha sa tête, renifla, puis renversa le contenu.

 Skuld vit alors les différents objets qu’elle avait transporté pendant tout ce temps : ce qui ressemblait à s’y méprendre à une galette, un petit pot rempli d’une matière sombre et, enfin, un petit miroir. Si le Grand Glacier observa d’abord ce dernier, il ricana avant de porter son attention sur le reste. Il renifla bruyamment et parut satisfait, peut-être même impressionné, à la grande surprise de Skuld. L’enfant ne voyait pas trop ce qu’il y avait d’intéressant dans te si banals cadeaux, d’autant qu’elle doutait de leur fraicheur.

 — Voilà qui est prestigieux, lança-t-il sans quitter les offrandes des yeux. On m’a offert grand nombre de vie pour combattre pour la Majorique, mais peut-être vais-je m’en abstenir, si vous pouvez m’en fournir d’autres.

 — D-D’autres ? s’étonna Skuld. M-mais...

 — Je préviendrai ce Chef de Clan qu’il me faudra d’autres sacrifices pour me joindre à lui, le temps que vous m’en apportiez plus. Mais que tes expéditeurs sachent que je suis comblé par ces dons.

 Sans plus attendre, il avala tout rond la galette et le pot. Il sembla s’en délecter tandis que Skuld le regardait, abasourdi, sans rien comprendre à ce qu’il se passait. Son compagnon loup, par contre, se dressa entre elle et le monstre de glace en grognant, comme s’il avait anticipé ce qui allait suivre.

 En effet, le Grand Glacier écarquilla soudain ses innombrables yeux et poussa une plainte malade avant de cracher au sol une matière noire et pleine d’un mélange de neige et de salive fumante. Cela ressemblait beaucoup avec ce qui s’était trouvé dans le pot du panier, qui était aussi là, intact, mais il y en avait bien plus que ce qu’il aurait pu contenir. D’ailleurs, le porc vomit de nouveau, de plus en plus, tout en couinant péniblement, trois pattes à terre. Il tremblotait, malade. Skuld regarda la scène avec effroi, ne sachant si elle devait se réjouir et s’effrayer.

 — Que m’avez-vous fait… Traitres… Ce-Ce n’était donc pas…

 Le Grand Glacier haletait toujours, mais il avait fini de régurgiter. Il fit un effort colossal pour se remettre sur pattes puis adressa un regard furieux à Skuld et son compagnon.

 — Tu m’as empoisonné ! Petite impertinente, comment oses-tu te mesurer à moi !

 Il frappa le sol de ses sabots et Skuld comprit qu’il allait les piétiner. Même malade, le Grand Glacier allait les transformer en purée de pomme de terre sans le moindre effort. Trop effrayée, elle croisa les bras devant ses yeux en hurlant. Mais comme aucune douleur ne venait, remplacée par des cris bestiaux, elle se risqua à observer la scène.

 Son compagnon était en train de se battre avec le Grand Glacier. Mais pour une raison qu’elle ignorait, le loup rivalisait désormais en taille avec son adversaire. Mieux, il le dépassait. Le monstre de glace paraissait très surpris mais se défendait avec hargne contre le loup géant qui enchainait coup de griffes et de crocs à un rythme difficile à suivre.

 L’affrontement de ces deux titans laissa Skuld figée sur place. Ce n’est que lorsque le sanglier parvint à repousser le loup dans sa direction qu’elle retrouva le contrôle de ses jambes, qu’elle prit à son cou. Les deux créatures semblaient à armes égales, avec cependant un léger avantage pour son compagnon de route. Ne cherchant plus à comprendre, Skuld eut son attention attirée par le miroir qui se trouvait dans le panier. Elle ignorait pourquoi, mais elle avait la sensation de devoir s’en emparer. Elle courut dans sa direction et vit le Glacier tenter de se jeter sur elle, empêché de justesse par le loup géant.

 Lorsqu’elle attrapa le miroir, celui-ci lui brûla les mains, mais elle ne le lâcha pas. Au lieu de son reflet, elle remarqua deux yeux qu’elle avait déjà vus auparavant la fixer avec satisfaction. Puis, avant qu’elle ne puisse réagir, elle vit deux serpents s’extirper de la glace comme deux Eydolons. Lorsqu’ils tombèrent au sol, ils se métamorphosèrent aussitôt en ces deux créatures ailées qui avaient apporté la désolation sur son village natal. Vausturn et Jura était arrivés.

 Skuld tomba sur ses fesses, le cœur battant la chamade. Elle regarda ces commanditaires se joindre à la bataille pour prêter mains fortes au loup pour vaincre le Grand Glacier. Impuissante, elle assista au combat.