Chapitre 18

6 minutes de lecture

Béatrice adopte une position de combat, dépourvue de ses armes usuelles. Face à elle, une femme à l’aspect démoniaque s’incline. La chevelure brune aux reflets cuivrés effleure le sol, précédée par des cornes épaisses se rapprochant de celles d’un bélier. Elles magnifient le visage austère de la créature.

Celle-ci se redresse, son mouvement accompagné par des ailes pointues à la membrane d’un marron tirant sur le noir. Un sourire paisible illumine son regard sombre, accentué par un trait de khôl gras. Une robe transparente révèle un corps charnu souligné par des vergetures.

« Bienvenue à Dùuzal, Protectrice. Je me dénomme Dagmar, Succube de Lucia. Je te servirai de Gardienne à chacune de tes visites. »

Dagmar ? Béatrice se rappelle des propos de Boucles de Sang. Néanmoins méfiante, elle garde ses distances avec son interlocutrice.

« Le Singe n’est pas allé de mains mortes, si je peux me permettre… »

Béatrice réprime son réflexe d’effleurer sa gorge, où une douleur fantomatique l’enserre. Sans s’attarder dessus, elle jette un rapide coup d’œil à la télévision. Le film semble figé, ou bien ralenti au maximum.

Si je tarde à rentrer… Elle n’ose terminer sa pensée, s’imaginant le pire.

« Comment j’y retourne ? » demande-t-elle en indiquant l’écran du menton.

Dagmar siffle à la vue des saeat.

« Boucles de Sang a vraiment défiguré le Singe ! Leur bagarre date d’une éternité pour nous et quoi, quelques années pour vous ?

— Comment j’y retourne ? répète Béatrice.

— Votre génération est d’une impatiente... »

Une moue brise la sévérité des traits de Dagmar.

« Boucles de Sang a profité que tu sois inconsciente pour t’inviter. Il m’a chargé de te guider pour récupérer le khépesh consacré.

— Qu’est-ce qui m’assure que tu dis la vérité ? Où est Boucles de Sang ?

— Il gère S’kyark, qui supporte plutôt mal votre alliance. Boucles de Sang est terrifiant, avoue-t-elle dans un léger frisson. Il contrôle le monde des rêves et des souvenirs, ce qui inclus tout ce qui nous terrorise. Alors, si je te la mets à l’envers ou n’accomplis pas mon rôle, ne me cherche plus : je serai piégée dans mes pires cauchemars. »

Dagmar frotte ses bras, tout en empruntant un chemin à l’opposé des ruines et de l’arbre.

« J’aurai préféré te remettre ton arme dès ton arrivée, mais Boucles de Sang l’a protégée dans un de tes souvenirs. À cause des lois de Dùuzal, je ne peux pas m’y promener comme bon me semble. »

Béatrice fronce des sourcils, percevant à l’avance des ennuis.

« Pourquoi ?

— Le Sablier a tenté de la voler. Je pense qu’iel a voulu emmerder et se jouer de la Faucheuse, Boucles de Sang penche pour une autre option. »

Dagmar se tourne à demi vers Béatrice, en continuant de marcher.

« Il soupçonne le Sablier d’enfreindre les règles qui régissent son rôle et d’interférer dans l’avenir d’Ahmès. Sans preuve, Boucles de Sang préfère ne pas déranger Nuséria.

— Si nous y allons à l’aveugle, je ne rentrerai jamais à temps. »

Dagmar les arrête, ses ailes s’agitant autour d’elle.

« Commençons par le commencement, Protectrice. Le temps s’écoule différemment entre nos mondes. Le temps qu’on trouve le khépesh et que je te renvoie à Zéro Absolu, il se sera écoulé une poignée de minutes. Pas plus. »

Les yeux de Béatrice se posent sur le succube. Dagmar risquerait-elle de lui mentir ? Dans quel intérêt ? Boucles de Sang lui a assuré l’intégrité des siens. S’il leur arrive quoi que ce soit avant qu’elle n’acquière son arme, alors leur accord deviendra caduc. De plus, Aedan lui a assuré la fiabilité du souverain de Dùuzal.

« Si tu te joues de moi, je te ferai payer un prix plus lourd que Boucles de Sang.

— Je n’en doute pas. »

Un chariot tiré par un cheval à la robe marron apparaît à leur gauche. Le bruit des sabots mêlé à celles des roues augmente au fur à mesure que le paysan s’approche d’elles. Dagmar lui signe de s’arrêter.

« Montons, nous irons plus vite ainsi. »

Béatrice la suit, s’installant à côté d’une botte de foin. Comment j’en suis arrivée là ? Épuisée et frustrée, elle gère de plus en plus mal la tournure des évènements. Ses pères et Aedan ont besoin d’elle face aux Changés et au Singe.

« Maintenant, reprend Dagmar, revenons sur un point qui te détendra. Comme Boucles de Sang te l’a expliqué, passé, présent et futur ne recèlent pas de secret pour lui. Cela s’applique pour une poignée de dùuzaliens, dont j’en fais partie. Contrairement au Sablier, je respecte les règles du Jeu. Je ne te révélerai donc jamais la voie à prendre pour assurer ta victoire. Par contre, je t’y guiderai de mon mieux et, à l’occasion, partagerai quelques infos. Comme le fait que tes pères ne mourront pas aujourd’hui. Pour le Chien, cela reste incertain.

— Boucles de Sang… qu’est-il exactement ?

— Un Maudit, plus exactement le Maudit. Je ne t’en dirais pas plus, élude-t-elle, mal à l’aise. Boucles de Sang te l’expliquera si l’envie lui prend. »

Quelques minutes passent avant que Dagmar ne demande à leur conducteur de s’arrêter. Béatrice descend, dubitative. Seul un champ et le chemin qu’ils empruntaient s’étend à perte de vue. Avant qu’elle ne questionne sa guide imposée, une porte métallique se manifeste dans un grincement horripilant.

« Je sens d’avance que je vais m’éclater… »

Sans que Dagmar ne lui explique, elle franchit la porte aux gonds rouillés. De l’autre côté, sa cellule l’accueille une fois de trop. Béatrice ne retient pas son mouvement de recul, enclenchant un rire moqueur chez son accompagnatrice.

« Peur d’une bannette, Protectrice ?

— Plus des lamies, je déteste ces saloperies. »

Dagmar acquiesce et commence à fouiller l’un des lits.

« Nous revivons tes souvenirs, ne t’étonne donc pas en voyant ces serpents ou ton doppelgänger. Aucun d’eux ne réagira à notre présence. Nous sommes juste des spectatrices. »

Béatrice rejoint le succube dans ses recherches. Après avoir vérifié les endroits suffisamment grands pour y dissimuler une épée courbée, elle tente de sortir de la cellule. Le mécanisme de la porte refuse de s’ouvrir.

« C’est quoi ce bordel ? »

Une sonnerie retentit alors. Dans le couloir mal éclairé, les détenues avancent en deux files indiennes parallèle. Parmi elle, Esméralda clopine, le visage ecchymosé et son haut déchiré. Le doppelgänger de Béatrice la suit comme une ombre, les poings en sang et les os presqu’à nus. Une gardienne ouvre leur cellule. Regina, l’une de leur codétenue, refuse de rentrer.

« Tu préfères rejoindre les pondeuses ? Avance !

— Je veux partir ! Je veux rentrer chez moi ! »

La geôlière attrape sa matraque et la lève dans les airs.

« Avance ! »

Le double passé de Béatrice s’interpose, recevant le coup à la place de Régina. Les dents serrées, elle ordonne à son amie d’obéir. Celle-ci refuse encore, faisant volte-face pour s’enfuir. Deux autres matrones l’interceptent et la plaquent au sol.

« La dernière fois que je l’ai vue, des serpents jaillissaient de tous ses orifices. »

Dagmar observe Béatrice, interloquée.

« Fantastique… Je n’ai rien trouvé de mon côté, passons au souvenir suivant. »

Comme si ces mots l’avaient invoqué, une arche couverte de lierre se manifeste à la place des anciens lits de Béatrice et Esméralda. Avec un soulagement manifeste, Protectrice et Gardienne s’aventurent de l’autre côté. Une chambre nuptiale les accueille. Au dehors, le soleil brille de mille feux et des oiseaux chantent.

Dieu, faites que ce cauchemar se termine maintenant.

« Trouvons le khépesh avant qu’on ne devienne trop intimes, s’empresse Béatrice.

— Que tu le veuilles ou non, nous sommes liées dans ce monde. Tu sais, en tant que ta Gardienne et tout le schmilblick. »

Béatrice lève les yeux au ciel et commence à fouiller dans une armoire. Elle entend son doppelgänger entrer avant de la voir. Celle-ci roule ses épaules et prend une profonde inspiration avant de s’avancer. Les yeux rougis s’attardent sur la robe de mariée qui encombre un mannequin en fer. Des perles ornent les longues manches transparentes et le long voile, accroché au rebord d’un miroir à pied. La dentelle forme des motifs floraux sur le tissu secondaire.

« Elle est magnifique, croasse le doppelgänger de Béatrice. Tu es magnifique, Giulia.

— Tu n’utilises mon prénom que dans les situations les plus graves, dolce metà.

— T’es mariée ? s’exclame Dagmar. »

Non, se retient de lui répondre Béatrice. Elle reprend ses recherches, le cœur serré.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Komakai ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0