Chapitre 7

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  Cafés et biscuits. J’essaie de ne pas en prendre trop, mais j’ai faim et je crois que je louche un peu dessus. Dominique sourit et pousse l’assiette vers moi. J’en reprends un.

— En fait, Matt… Dominique, voilà le topo. On ne sait pas exactement ce qu’il faut faire pour sauver le monde, mais on sait que vous avez fait des recherches très utiles et que vous êtes le plus à même de nous sortir de là.

Long silence. Dominique me dévisage, il prend tout son temps. Ou bien… il s’attendait à ce que je dise autre chose.

— C’est tout ? dit-il. Vous vous fichez de moi ?

Clément lève les mains pour le calmer.

— Non, ce n’est pas exactement ça. Je vais vous expliquer. Nous savons tout de vous.

Parle pour toi.

— Nous savons que vous avez étudié la physique et mécanique quantiques pendant des années, que vous avez élaboré des outils extraordinaires dont personne n’a jamais reconnu l’utilité, et nous savons aussi que vous vivez ici seul, que vous adorez les pistaches et que vous avez des poules dans votre jardin.

Non, ça non plus, je savais pas. Évidemment, Dominique ne savait pas qu’il savait, il est perplexe.

— Mais peu importe, poursuit Clément. La fin du monde approche, comme vous devez le pressentir. Notre ami ici présent…

Clément se retourne et désigne le pauvre Matthias qui fait toujours semblant de tousser dans mon gilet. Un rire nerveux me secoue silencieusement, que j’étouffe avant qu’il ne se développe.

— Notre ami a étudié tout autant que vous toutes ces sciences qui me sont, je vous l’avoue, complètement étrangères. Il saurait utiliser vos appareils. Si vous le lui permettez.

Dominique a l’air moins optimiste que tout à l’heure, mais il hausse les épaules et nous fait signe de le suivre. Il prend les escaliers. En haut se trouve, tout au fond du couloir, une pièce dans un désordre si indescriptible, que même moi… même moi ! j’ai envie de la ranger.

Matthias dépasse Dominique et se dirige tout droit vers le fond de la pièce. On dirait qu’il est chez lui. Il soulève des objets, des plans d’une certaine manière. Les repose aussi parfaitement, à un autre endroit.

— Non, ne touchez pas…

Dominique se tait, réalisant qu’il sait exactement ce qu’il fait, qu’il ne met pas plus de bazar ici que celui qui existait déjà, ou bien que le bazar qu’il met lui est tout à fait familier. Matthias a laissé mon gilet sur un tabouret, il nous tourne le dos. Clément dit à Dominique de le laisser « travailler ».

— Je vais vous expliquer quelque chose, dit encore Clément. Je vais vous raconter ce qu’est l’univers.

Complètement désintéressée par cette conversation que je connais un peu trop bien, je reste auprès de Matthias. C’est la première fois que je suis vraiment seule avec lui. Une telle occasion… je ne l’aurai sans doute plus avant que le néant nous agrippe et nous tire à lui, inéluctablement.

— J’ai des questions.

— Je me doute.

— Ne commencez pas à vous la jouer.

Matthias se redresse, me regarde bizarrement. Il se détourne, s’intéressant à l’énorme cylindre qu’il a trouvé sous une bâche, allongé sur une table et couvert de boutons.

— Qu’est-ce qu’il a, Clément, pour que vous l’observiez comme vous le faites depuis le début ?

— Clément ?

Il baisse les yeux et caresse le cylindre.

— Ce n’est pas vraiment Clément que je vois. C’est Julien.

Julien ? Non, aucune chance que le physique de Clément puisse être associé au nom de Julien. Il n’a pas une tête de Julien. Mais si c’est son clone…

— Qu’est-ce qu’il a, Julien ?

— Ce n’est pas vraiment tes affaires.

J’ouvre la bouche en grand, outrée. Pas mes affaires ! Il plaisante, j’espère !

— Je vous préviens, je ne vais pas vous laisser vous en sortir aussi facilement. Je n’ai aucune confiance en vous. Votre Julien, c’est un Clément. J’ai le droit de savoir. Ils sont liés, vous savez. Si l’un d’eux sait faire des crêpes, il y a de grandes chances que les autres aussi.

Matthias me regarde de travers.

— Des crispes, corrigé-je. Julien sait faire des crispes, non ?

— Je n’en sais rien. Je ne l’ai pas connu très longtemps. Il est venu me voir avec… Nadia.

Ça ne m’étonne pas de ma mère. Elle aime bien les prénoms en -a. Ses clones aussi, sans doute.

— Ma planète était en train de disparaître comme celle-ci, poursuit Matthias. Julien m’a dit qu’il fallait que je parte, pour trouver une solution dans un monde d’en dessous. Il faut savoir que le temps s’écoule de plus en plus lentement lorsque l’on descend.

— Vous voulez dire que vous vieillissez moins vite ici que dans votre monde ?

— Non, pas du tout. Mais vu d’ici, le temps qui s’écoule dans la planète à l’intérieur de laquelle notre univers existe est beaucoup plus long. En gros, la fin du monde, là-haut, a encore lieu. Si j’y étais resté aussi longtemps que j’ai voyagé à vos côtés, je n’aurais pas eu le temps de trouver une solution.

Intéressant. Mais j’ai l’impression qu’en m’expliquant tout cela, il omet volontairement de mentionner quelque chose.

— « La planète à l’intérieur de laquelle notre univers existe », murmuré-je. C’est une cellule. Pour voyager dans un monde d’en dessous, il faut choisir un corps. Et une cellule de ce corps. Qui avez-vous choisi ?

Matthias reporte son attention sur le cylindre qui doit bien faire deux mètres de long.

— Dites… c’était Julien ?

Il m’ignore. Il fixe son appareil, se penche dessus, tapote l’écran avec son ongle. Il se paye ma tête. Il me dit qu’en se faisant envoyer par nos doubles dans le corps de Julien, il a gagné un temps précieux. Mais il ne sait toujours pas ce qu’il doit faire, et il reste pourtant une solution : envoyer quelqu’un d’autre, dans le corps de Clément cette fois-ci, pour gagner encore plus de temps. Parce que c’est l’Omniscient, n’est-ce pas ? C’est pour ça qu’ils ont choisi Julien. Je me refuse à laisser faire une chose pareille. Comment Nadia a-t-elle pu ?

— Qu’est-ce que vous comptez faire, Matthias ? Hein ? Avec ces appareils, qu’allez-vous donc faire pour empêcher la fin du monde ? Ils ne servent à rien, vos appareils ! À rien d’autre qu’à envoyer des types dans des cellules microscopiques pour avoir l’impression d’arrêter le temps !

Je lui attrape les épaules et je le secoue. Sa tête est baissée sur le côté, son regard fuit.

— Personne ne va s’introduire dans le corps de Clément, vous m’entendez ? Ni vous, ni personne ! Si vous n’êtes pas capable d’arrêter la fin du monde, alors il faut le dire ! Ça ne sert à rien de donner de l’espoir, si vous êtes… complètement inutile !

Je le lâche brusquement, hors de moi. Il reste immobile comme une statue.

Arrêter le temps… si c’est cela qu’il fallait, j’y étais parvenue, à la fenêtre de l’appartement de Clément, observant l’agitation de cette rue qui ne connaissait pas encore son malheur. Il suffit de s’immobiliser, d’arrêter de vivre pour quelques instants, et il faut réfléchir. La pensée humaine est si rapide que pour moi, elle arrête le temps. Si Matthias avait fait cela, un peu, au lieu de bricoler des contrefaçons d’outils qui ne lui appartiennent plus, on n’en serait pas là.

Je vais le faire, moi, s’il le faut. Je vais réfléchir… pour sauver nos univers.

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