Le Retour d’Akil

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Le chemin vers N’Djolo n’était pas long. Mais le passé, lui, ne se laissait pas traverser aussi vite.
Pendant quatre jours, Akil marcha sans escorte, sans robe royale, sans bijoux. Vêtu simplement, comme lorsqu’il avait quitté le village. Il ne voulait pas revenir en roi. Il voulait revenir en fils.

À chaque pas, les souvenirs montaient — l’odeur du manioc au feu de bois, le cri d’un enfant au bord de la rivière, la lumière du soir tombant sur les cases. Il revoyait la poussière rouge qui collait aux pieds, les marchés où personne ne vous regardait, les silences lourds entre les repas.

Il avait changé. Mais les pierres, elles, n’avaient pas bougé.
Il arriva à l’aube.
Le village n’avait presque pas changé. Les cases étaient plus effondrées, les visages plus fatigués, mais la même torpeur flottait dans l’air. Personne ne le reconnut tout de suite. Un étranger qui entre au lever du jour, cela arrive parfois. Un passant. Un marchand perdu. Peut-être un fou.

Mais une vieille femme, assise près du feu, leva lentement les yeux.
Elle fronça les sourcils. S’approcha. Tremblante.
Puis, sa main contre sa bouche, elle murmura :
— C’est lui…


Le mot courut comme une flamme sur de l’herbe sèche.
C’est lui. Les gens sortirent de leurs cases. Les enfants restèrent derrière leurs mères. Les hommes se figèrent. Un silence dense, poisseux, se posa sur le village.
Puis son nom.


— Akil ?

C’était la voix de sa mère.
Elle traversait la place, le dos plus voûté, les bras maigres, les yeux brûlés par des années de veille et de douleur. Elle s’arrêta à deux pas de lui.
Elle ne pleura pas. Elle ne cria pas.


Elle demanda simplement :
— Pourquoi ?
Akil ne répondit pas tout de suite. Il regarda autour de lui, puis baissa les yeux.
— Je ne pouvais pas revenir sans comprendre pourquoi j’étais parti.
Elle hocha la tête. Un seul mouvement. Et s’écroula dans ses bras. Ce fut le seul cri du matin.

Le village entier se rassembla autour du feu. Les anciens prirent la parole. Certains étaient méfiants. D’autres, curieux. Certains l’accusaient d’avoir oublié les siens, d’avoir préféré le pouvoir à ses promesses. Un homme s’avança :
— Et elle, Akil ? Celle que tu devais épouser ? Celle que tu as laissée ici, sans un mot ?

Akil ne détourna pas le regard.

— Je ne l’ai jamais oubliée. Mais je n’ai jamais pu lui dire ce que je vivais. Il n’y avait pas de mots pour ça. La foule s’écarta. Et elle apparut.
Elle portait une robe simple. Ses cheveux étaient couverts d’un foulard noir. Elle n’avait pas vieilli, ou peut-être que si, mais c’était une vieillesse sans amertume. Juste un poids de vie.

Elle s’approcha.
— Tu m’avais dit : je reviendrai.
— Et je suis revenu, dit-il.
Elle resta droite. Fier. Mais les yeux brillants.
— Tu es devenu plus que ce que nous imaginions. Mais moi, j’ai dû apprendre à être ce que tu n’étais plus là pour voir.

Ils se regardèrent longtemps.

Puis elle dit :
— Tu as encore ta place ici. Mais ce n’est plus la même.
Akil passa plusieurs jours au village. Il travailla aux champs, mangea avec les anciens, dormit sur une natte au sol, comme autrefois. Petit à petit, les regards changèrent. On cessa de le nommer le disparu. On recommença à l’appeler fils de Koto.

Un matin, il réunit tout le village. Il parla debout, au centre de la place.
— Je suis venu seul. Mais je ne repartirai pas seul. Je veux fonder, ici, quelque chose de nouveau. Entre ce que j’étais et ce que je suis devenu. Un pont. Un royaume de mémoire.

Les anciens hochèrent la tête. Un royaume non pas de pierre, mais de réconciliation.
Quand la Reine Fille le rejoignit, accompagnée de leurs enfants, le village entier se tut. Elle ne parlait pas leur langue, mais elle s’inclina. Longuement. Sans artifice. Et ce fut le début.

À N’Djolo, on bâtit, non pas des palais, mais un centre de rencontre, une école, un lieu de parole. Le peuple du royaume invisible venait y échanger avec les villageois. La mémoire et le pouvoir, la terre et le rêve, se retrouvaient.

Akil n’était plus roi d’un seul lieu.
Il devenait le fondateur d’un royaume nouveau, né de la douleur, élevé par la paix, consacré par la mémoire.

Les semaines passèrent. Puis les saisons.

Ce qui avait d’abord été regardé avec méfiance devint peu à peu une habitude, puis une évidence.
Akil n’était pas revenu pour prendre. Il était revenu pour partager.
Il ne portait ni couronne, ni pagne d’apparat. Il n’ordonnait rien. Il proposait. Il construisait avec les mains. Il demandait conseil aux anciens, même à ceux qui l’avaient jadis ignoré. Et cela changea tout.

Un matin, il proposa de réparer l’ancien puits au nord du village, abandonné depuis des années.
Les plus vieux dirent : C’est inutile. Le sol est sec.
Mais il insista. Il creusa avec les plus jeunes. Il ramassa les pierres lui-même.
Quand l’eau remonta, claire et froide, les anciens s’approchèrent. L’un d’eux murmura :
— Ton père n’aurait jamais cru voir ça.
Akil sourit, sans répondre. Le silence suffisait.

Il remit aussi en place les conseils du soir. Des cercles de parole. Là où les hommes, les femmes et même les enfants pouvaient parler. De tout. De leurs fatigues. De leurs peurs. De leurs rêves.
Et il écoutait. Vraiment. Sans couper. Sans imposer.
Juste avec cette attention rare qu’ont ceux qui savent ce que signifie ne pas être entendu.

Un jour, une vieille femme s’approcha de lui après le cercle.

— Tu as ramené plus que ton nom, dit-elle. Tu as ramené notre parole.
Avec la Reine Fille, il fit venir des guérisseurs, des conteurs, des tisserands. Le village redevint un carrefour. Un lieu d’échange. Pas un royaume au sens des empires, mais une maison ouverte, où chacun retrouvait sa place. Même les oubliés.

Il n’y avait pas de palais, mais il y avait un arbre central, sous lequel chacun pouvait venir le voir. Il s’asseyait là chaque matin. Et les villageois disaient entre eux :

— On ne va plus voir le roi.
— On va parler avec Akil.
Et ce respect, il ne l’imposa pas. Il le mérita. Non par le pouvoir. Mais par le retour.

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