I. 5 - Un bon bain de pus

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Fargast s’attelait à réaliser un garrot autour du restant de bras du pauvre bleu. Pendant que les quatre autres, guidés par Gordar, tentaient de combattre la bestiole. Cette dernière était d’une vivacité surprenante pour sa taille. De plus, après avoir tenté de plonger sa lame dans le corps de la bête, Gordar se rendit bien compte de la résistance de sa peau. Sa première idée fut de l’emmener vers leur camp, pour qu’ils s’y mettent à tous sur elle. Cependant, il l’oublia vite ; le serpent risquait surtout de détruire la moitié de leur horde avant qu’ils ne daignent l’occire. L’un des bleus, dans le feu de l’action, fit preuve d’une remarquable logique, même sous pression. Il prit sa lance d’une main et la lança en direction d’un des yeux de la bête. Ce fut comme les abcès au bord de l’explosion qui éclatent tel un volcan à la moindre pression. L'œil immonde de la bête projeta une quantité d’un liquide blanc-verdâtre. Gordar pensa immédiatement à un mélange de pus et de venin, il hurla à sa compagnie de se mettre à couvert, de ne pas toucher d’un orteil ce liquide. Fargast empoigna le bleu et tenta de se protéger derrière un obstacle avec lui, mais trop tard, il fut emporté avec deux autres des bleus dans le tsunami de pyorrhée.

La bestiole hurla de douleur, elle s’aplatit sur le sol, s’entortilla, la gueule grande ouverte. Gordar passa outre le beuglement, lui déchirant les tympans, et plongea sa lame dans le palais du reptile, bien plus spongieux et facile à trancher que sa peau. La créature fut prise de plusieurs spasmes, projetant Gordar au loin d’un coup de queue… Par chance, il atterrit sur un morceau d’éboulement et non dans la piscine d’ichor.

La situation s’annonçait dramatique. Philae fit les comptes ; un bleu mort et quatre au seuil de la mort. L’un avait le bras arraché et avait perdu beaucoup de sang, en plus d’avoir baigné dans ce liquide empoisonné… les trois autres, dont Fargast, avaient également plongé dedans. Ils se plaignaient d’abord de maux de tête, puis commencèrent à cracher du sang et perdre connaissance.

Gordar se trouvait être un solide gaillard, le coup pris dans sa chute l’avait sonné, mais pas blessé. Philae s’assura qu’il n'ait aucun symptôme d’un quelconque traumatisme, mais le responsable des équipements s’en sortit avec une simple côte fêlée.

La lieutenante de la horde, hybride sous-terrienne, aux cheveux d’ivoires et iris dépourvus de mélanine, s’attelait à la création d’antidote. Elle avait prélevé un croc de cette bête absente de tout bestiaire pour en récolter le venin. Elle employa une technique qu’elle avait apprise auprès de certains des meilleurs alchimistes de l’Arbre Monde : elle dilua le poison en une dose excessivement faible puis se servit d’un cobaye. Ce dernier, c’était elle-même, Philae s’injecta le liquide obtenu puis préleva son sang au moment où elle se sentit fiévreuse. Le poison devait être sacrément virulent… En nage, elle sortit une de ses fioles contenant ses fameuses poudres dont elle seule avait le secret. Elle sentit un petit doigt lui tapoter l’épaule.

Hyliana dit “la muette”, son apprentie médecin, se tenait là, le visage paniqué, elle montrait l’un des bleus qui convulsait violemment. Philae n’avait pas eu le temps de tester son antidote, mais tant pis, elle prit un couteau stérilisé au feu, ouvrit délicatement une plaie sur le bras de l’homme qui ne sentit rien… et appliqua une pommade poudreuse à la couleur ocre. Une fois cela fait, elle laissa un instant avant de cautériser au métal brûlant la zone d’injection. Hyliana l’observa avec une curiosité sans faille. Philae sortit un morceau de parchemin, une plume et de l'encre, puis commença à noter ses observations.

Voilà un certain temps que Trynna se tenait en boule sous les gravats. Antorn, avec le reste de la horde, tentaient de repérer sa position, mais elle ne répondait aucunement aux appels. Avait-elle perdu connaissance ? Ou pire ?

Il était bien trop risqué de dégager les pierres sans savoir où elle se trouvait ; alors la horde cherchait, désespérément, un signe de vie. Rendan parlait déjà de ‘retrouver le cadavre, ce qui lui avait valu un bon péchon de la part de Jorrello.

Avec tout cela, le commandant n’avait même pas eu le temps de réprimander Aeriphos pour avoir ramené cette ‘horrible petite chose’ au campement. D’ailleurs, elle se tenait à côté du grand blond, tenant sa main comme une enfant. Elle ne disait toujours rien, respirait encore comme un poisson… puis, soudain, elle quitta la main d’Aeriphos pour approcher des gravats.

" Ne fais pas traîner ta chose ici ! "

Beugla Nalric, vite suivi par des grognements des hordiers stressés, bien d’accord avec le grincheux pour une fois. Mais personne ne daigna s’occuper de faire partir la petite créature. Aeriphos tenta de la suivre, mais elle disparut vite… sous les gravats. Elle venait de s’engouffrer dans un petit trou. Le grand blond fit une moue triste, elle venait de partir… c’est qu’il s’y était déjà attaché.

“ Ah ! Regardez Aerif’ il va chialer l’andouille !”

Se moqua le lieutenant Pat. Néanmoins, ses rires furent vite remplacés par une exclamation. Au milieu des gravats, de la ruine du bâtiment effondré, se tenait debout la petite qui parut tirer quelque chose avec ardeur. Ils reconnurent deux bras, puis bientôt une tête sortie, celle de Trynna, inconsciente. La horde entonna des cris, Antorn ordonna d’aller porter de l’aide à la petite.

“ C’est une drôle de petite chose !”

S’étonna Reynir en auscultant la petite fille à trois yeux, qui se contentait de le toiser, en respirant lourdement.

“ Trois yeux, comme le serpent, elle avait peut-être un lien avec ? Une malédiction ? Du sang en commun ?”

Aeriphos et Antorn se tenaient derrière. Le commandant n’avait pas encore donné sa décision finale… de plus elle avait tout de même sauvé la vie à sa caporale. Cependant, cette petite chose restait une enfant, et une horde ne serait clairement pas une vie pour un bambin.

“ Tu me permets ?”

Demanda Reynir en approchant ses mains de l'œil servant de nez. La petite chose loucha vers le doigt, parut respirer de plus en plus fort, mais le laissa faire. Il toucha le globe oculaire.

“ Je n’ai même pas l’impression qu’elle puisse survivre longtemps, elle respire vraiment mal… je crois que je vois le bout d’un nez là dessous, mais totalement obstrué par ce gro’n’oeil.”

Comme si elle avait compris, la petite se mit à geindre.

“ D’où tu viens, toi, dis-moi ?”

Demanda Aeriphos, attendri, lui ébouriffant sa masse de cheveux noirs. Puis Antorn se questionna :

“ Comment a-t-elle pu vivre seule ? Est-elle humaine ? Ne serait-ce pas une sorte de créature qui se métamorphose ? Pourquoi a-t-elle trois yeux comme le serpent ? Et surtout… surtout… pourquoi j’ai l’impression qu’elle me comprend quand je parle ?”

La petite fille se mit alors à rire, pas du genre que l’on a l’habitude d’entendre… mais avec une vraie voix d’enfant, avec une quasi-mélodie, comme celle d’un violoncelle.

Reynir tâtonnait de plus en plus franchement le, désormais baptisé, “Gro’n’Oeil” car la petite ne paraissait pas s’en plaindre. Puis après avoir tenté de légèrement le soulever pour voir en dessous s’il ne trouvait pas la trace de naseaux, le globe sauta comme un poux et atterrit sur ses genoux.

“ Ah bordel ! “

Hurla le maître des bêtes, vite rejoint par les hurlements d’Aeriphos et le visage scandalisé d’Antorn. Ils s'arrêtèrent vite cependant, quand, au lieu d’hurler, la petite riait de plus belle en les montrant du doigt… avec un visage tout à fait normal, un nez bien formé et légèrement retroussé. Elle ramassa l'œil et le rangea dans son long chandail troué.

Après un temps, les deux hordiers regardèrent Antorn. Ce dernier soupira.

“ Elle sera sous votre protection, votre responsabilité… trouvez lui de vrais vêtements.”

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