Chapitre 29

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La stupeur à l’état pur se lut dans le regard de Sergeï et de Chantal lorsqu’Amélie se présenta devant eux, le chaton blotti dans les bras. Chantal brisa le silence et tenta de prendre la parole, mais les mots s’emmêlèrent, arrachant un rire à son mari.

« Je crois que ce qu’essaie de dire ta mère, c’est : c’est quoi ça ?

— Un chat, répondit Amélie en haussant légèrement les épaules.

— Oui, merci… » répondit nerveusement Chantal qui avait retrouvé son élocution. « Mais qu’est-ce que ce chat fait ici ? Tu n’as jamais aimé les animaux ! »

C’est eux qui m’aiment pas… se retint de contrer la jeune femme, au lieu de quoi, elle répondit aussi calmement que possible : « Celui-là, je l’aime bien. »

Ses parents se dévisagèrent, perplexes.

« Et il m’aime bien aussi, lui… » ajouta Amélie d’une petite voix qu’elle eut du mal à reconnaître comme étant la sienne.

Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit comme une enfant impuissante qui demande la permission d’avoir quelque chose à ses parents. Une enfant seule, qui espère pouvoir garder un chat trouvé dans la rue. Elle baissa les yeux, troublée par ses propres émotions.

« Sa mère s’est fait écraser par une voiture… » dit-elle d’une voix tremblante, se remémorant le regard implorant du félin.

Les pieds d’une chaise raclèrent. Sergeï s’avança jusqu’à elle, puis caressa la petite tête du chaton, celui-ci se laissa faire, présentant même son cou.

« Il n’a pas l’air sauvage. » remarqua Sergeï. « Et il a l’air en bonne santé, même s’il est particulièrement maigre… »

Elle était prête à les soumettre à un charme pour leur faire accepter ce chat, mais elle préférait éviter de recourir à la magie sur eux. Malgré l’imperfection de leur relation et leur distance, Amélie ne leur vouait aucune animosité : ils l’avaient adoptée en dépit de son aura et ils ne l’avaient jamais maltraitée.

Pleine d’espoir, Amélie releva son regard vers celui de son père adoptif. Ce fut à son tout d’être saisie de stupeur.

« Toi, en revanche, tu as très mauvaise mine, ma fille… » lui dit Sergeï, le visage inquiet.

Ma fille ? Jamais aucun petit nom de quelque forme que ce soit n’avait jamais été utilisé dans ce foyer à son égard. Même si elle les appelait ‘’ papa ’’ et ‘’ maman ‘’ à leur demande, eux s’étaient toujours contentés de l’appeler par son prénom. Amélie se ressaisit, se souvenant que son opération avait lieu le surlendemain. Il est toujours dans sa crise existentielle, tout redeviendra comme avant quand il sortira du bloc, songea-t-elle. Cette pensée lui donna néanmoins une idée pour obtenir leur accord.

« Je suis inquiète pour mercredi… » lâcha-t-elle dans un murmure.

Elle vit le regard de son père se troubler, ses yeux devinrent légèrement plus brillants, tandis que sa mâchoire se crispa.

« Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer ! répondit-il avec douceur. Quant au chaton… ma foi, si tu t’en occupes, il n’y a pas de souci pour moi. »

Il se tourna vers son épouse, celle-ci haussa les épaules de dépit. Sans attendre davantage, au risque de voir Chantal opposer des arguments contre cette décision, Amélie arbora son plus grand sourire pour les remercier et fila à l’étage pour y déposer le félin.

Le repas se déroula dans un climat étrange, entre tension et émotions à fleur de peau pour ses parents. Amélie regretta presque sa petite manipulation en évoquant l’opération à venir. Elle soupira de soulagement lorsqu’elle regagna sa chambre, se délesta aussitôt des bracelets et se mit à faire les cent pas dans sa chambre.

Il faut absolument que l’on trouve un autre moyen pour camoufler mon aura… Je refuse de limiter ma puissance pour une histoire d’aura ! Et hors de question de me couvrir de pierres de la tête aux pieds comme une hippy écervelée !

La réflexion agaça ses esprits, mais elles n’insistèrent pas ; elle connaissait trop bien la jeune nécromancienne pour essayer de la raisonner.

« N’existe-t-il pas une pierre que je puisse porter en un seul exemplaire et qui puisse contenir mon aura ? demanda Amélie d’une voix dépitée.

Le diamant, répondit calmement Denise. Mais ton aura y serait emprisonnée et si tu venais à perdre la pierre, tu perdrais l’énergie détenue à l’intérieur. »

Amélie s’arrêta de marcher un instant et expira bruyamment, frustrée. Son regard se porta dans la salle de bain où elle vit que la litière avait été utilisée par son petit invité. Au moins, il est propre… Elle remarqua également qu’il avait fini sa petite boîte de pâtée ; elle en ouvrit une autre afin qu’il puisse de nouveau manger s’il avait faim au cours de la nuit. Elle ignora avec superbe les petits commentaires de ses esprits qui s’émerveillaient de la découvrir si attentionnée.

Découragée, Amélie se laissa tomber sur son lit. Elle jeta un œil à son portable. Malgré les évènements de cette fin de journée, la vision de Mutu déchaîné dans cette chambre plongée dans l’obscurité l’intriguait toujours ; avec la perte de son corbeau, le téléphone était désormais son seul moyen de communication. Or ce fichu démon n’avait pas eu l’obligeance de répondre à un seul de ses messages. Répondrait-il si elle l’appelait ? Elle hésita avant de s’emparer de son téléphone avec détermination.

JE suis son maître, c’est lui qui devrait trembler et hésiter en pensant à moi ! se targua-t-elle.

Répondeur.

Elle raccrocha sans laisser de message, plus frustrée que jamais.

Sans le moindre entrain, elle alluma son téléviseur, elle avait besoin de se vider la tête et de penser à autre chose. Sans surprise, toutes les chaînes proposaient le même contenu insipide et débilitant. Elle passa les premières quinze minutes à zapper, passant d’un programme à un autre. Elle s’apprêtait à changer une nouvelle fois de chaîne, quand sa mère retint son geste.

« Ça ! » insista cette dernière.

La jeune femme fronça les sourcils. Il s’agissait d’une émission sur des recouvrements de tatouages, en l’occurrence un homme avait transformé le portrait de son ancienne petite-amie en visage démoniaque.

« Tu veux vraiment regarder ça ? demanda Amélie, dubitative.

Non, cela n’a aucun intérêt… Non, je me demande si un tatouage ne serait pas la solution pour contenir ton aura sans nous affecter, sans te couvrir de pierres ou sans risquer de la perdre ! »

Amélie se redressa aussitôt dans son lit, éteignit la télé.

« Tu crois que ça peut marcher ?

Ça vaut le coup d’essayer, non ? »

Emballée par cette idée, elle se jeta hors du lit pour se remettre face à son miroir, elle remarqua alors son placard entrouvert. Elle fit coulisser la porte pour l’ouvrir complètement et découvrit le chaton endormi sur ses pulls. Denise et Hélène ne purent contenir un « Oh » mièvre.

« C’est donc ici que tu te cachais depuis tout à l’heure… » Le contraste entre son poil clair et le pull noir sur lequel il était couché sauta soudainement aux yeux d’Amélie qui s’agaça. « Arg ! Il va me mettre des poils partout ! »

Avec des gestes hésitants, craignant toujours qu’il change d’avis et décide de la griffer ou de la mordre, elle le prit entre ses mains et le posa sur le lit. Le mal était néanmoins déjà fait, une auréole de poils blancs ornait désormais son pull. Peu affecté par son crime, le chaton s’étira avant de se remettre en boule pour s’endormir. Elle l’observa un instant, perdue entre son envie de le mettre hors de sa chambre, mettant un terme à cette mascarade… et son envie de glisser ses doigts dans son pelage. Elle secoua la tête et refit face à son miroir — qu’elle avait réparé d’un geste négligé —, prête à relever ce nouveau défi.

Après presque trois heures de tentatives infructueuses, Amélie s’avoua vaincue pour la journée. Intérioriser son aura lui semblait un jeu d’enfant à côté de cette idée de l’encrer dans sa chair, mais cela n’était que partie remise. Même si ces différents essais avaient échoué, elle était convaincue que cette idée était réalisable.

Ne voulant pas risquer de l’écraser pendant la nuit, elle déposa le chaton au sol, lui délaissant même son pull noir « Foutu pour foutu ! » pensa-t-elle. Elle se doucha rapidement et se mit au lit, épuisée et résignée à devoir de nouveau affronter les regrets et les morts de Denise et Hélène.


Comme chaque jour en semaine, le réveil sonna à sept heures. Amélie tâtonna pour l’éteindre, émergeant difficilement d’un rêve aussi étrange qu’agréable. Ses yeux s’écarquillèrent soudain.

Un rêve. Elle avait rêvé.

Elle paniqua, ses exercices de la veille avaient-il fini par expulser ses alliées ?

Maman ? Denise ?

Ses esprits lui répondirent d’une voix vaseuse, comme si elles aussi s’éveillaient après une nuit de sommeil.

« Comment…? »

Elle sentit alors quelque chose bouger contre son ventre, quelque chose de doux et chaud. Elle leva la couette et croisa le regard doré du félin.

« C’est toi qui… ? »

Pour toute réponse, le chaton se mit à ronronner tout en étirant ses pattes.

Le cœur d’Amélie s’accéléra, tandis que d’une voix tremblante d’émotions, elle céda :

« Morphée, je t’accepte comme familier. »

Morphée se redressa aussitôt et vint se blottir dans le cou de sa maîtresse, ronronnant de tout soûl, satisfait d’avoir réussi à gagner le cœur de celle qu’il avait choisie.

La main tremblante, Amélie se mit à caresser son nouveau compagnon. Parmi tous les humains et sorciers existants, il l’avait choisie, elle. Elle dont l’âme était souillée. Elle qui était brisée. Elle dont personne ne supportait le regard et encore moins la proximité. Un sanglot s’échappa de sa gorge. Elle laissa les émotions la submerger et se mit à pleurer, serrant le chaton contre elle. Pour la première fois de sa vie, un être vivant était prêt à l’aimer sans retenue et sans condition.

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