Un silence ancestral planait sur la vallée sacrée du clan Lux Aeterna.

Dans cet écrin de brume et de pierre, le vent semblait hésiter à souffler, comme s’il redoutait de troubler les pensées des sages immortels qui, depuis des générations, y méditaient à l’unisson. Leurs temples d’un blanc pâle se dressaient comme les fragments d’une étoile oubliée, perdus entre les racines des montagnes et les nuages.

Les Lux Aeterna, respectés pour leur maîtrise du silence intérieur, vivaient à l’écart du tumulte des autres lignées démoniaques. Leur apparence humaine, transmise à travers les siècles, dissimulait leur nature démoniaque profonde.

C’était le jour du Rappel aux Origines.

Sur l’esplanade principale, une centaine de silhouettes aux cheveux d’ébène et aux robes sobres étaient agenouillées en cercle, formant un mandala vivant. Hommes, femmes, anciens et jeunes disciples, tous partageaient un point commun : l’absence d’émotion dans leur regard, comme si leur âme flottait entre les mots du silence.

Tous… sauf une.

Azraël.

Treize ans, une apparence humaine comme les autres, mais des cheveux argentés et des yeux violets. Il semblait être une erreur dans le motif du clan, une anomalie esthétique, presque une provocation involontaire.

Il était né ici, dans le sanctuaire des sages démoniaques.

Et pourtant, il ne s’y était jamais vraiment senti à sa place.

— Inspire. Oublie le monde. Ne sois qu’un avec ta Source, répétait l’ancien instructeur Altheon, une voix posée comme une vague sur un lac calme.

Autour de lui, les disciples entraient peu à peu en transe. Des filaments vaporeux, invisibles aux non-initiés, dansaient autour de leurs corps.

C’était leur mana démoniaque. Qu’un être soit démoniaque, draconique, elfique ou autre, c'est un flux mystique propre à chaque race.
Les Lux Aeterna, bien que démoniaques en essence, possédaient une apparence humaine et une Source aussi calme qu’un lac de sagesse.

Tous les êtres de l’univers naissaient avec une Source latente, mais elle ne prenait toute sa mesure qu’au moment de l’Éveil. Ce jour-là seulement, leur Destin commençait à s’écrire.

Mais Azraël…

Sa Source n’émettait rien. Pas même une vibration.

Il ferma les yeux, imita les gestes, retint sa respiration.

Il n’y avait que le vide.

Il n’y avait pas de signe. Pas de lumière. Pas de vision.

Seulement ce silence familier, presque pesant.

— Encore incapable de méditer, Azraël ?, lança une voix narquoise.

C’était Kael, un disciple plus âgé, connu pour sa Source de feu pourpre, la fierté de sa lignée. Il s’approcha, un sourire hautain aux lèvres.

— Tu devrais te faire une raison. Si à ton âge, ta Source ne donne aucun signe, c’est qu’elle ne s’éveillera jamais. T’as peut-être une Source, mais elle est morte.

Des rires étouffés fusèrent. Azraël baissa les yeux.

Il ne répondit pas.

Mais en lui… un froid étrange se répandait. Pas de la peur. Pas de la honte.

Non. Quelque chose de plus ancien. Plus profond.

— Assez. La voix d’Altheon fusa, sèche comme un coup de vent. Kael se tut aussitôt, mais son regard restait provocateur.

L’ancien s’approcha d’Azraël, le fixa un long moment. Il ne dit rien.

Mais ses yeux… semblaient lire au-delà.

Azraël sentit une pression dans sa poitrine.

Comme si une main invisible cherchait à effleurer son âme.

Il rentra chez lui ce soir-là, seul comme toujours. Sa chambre n’était qu’une pièce nue, une étagère, un lit de pierre, une lanterne bleue.

Il s’allongea, fixant le plafond sans vraiment le voir.

Et, pour la première fois depuis longtemps, il murmura à voix basse :

“Pourquoi moi ?”

Personne ne répondit.

Et le silence, encore une fois, fut sa seule compagnie.

Mais dehors, sous le ciel du domaine Lux Aeterna, une pluie fine commença à tomber.

Et au fond de lui, cette question sans réponse tournait en boucle.