Dans le noir
Périgueux, 4 ans plus tard. Loreleï, 14 ans, Sarah, 15 ans. Vivian, 17 ans.
Sarah.
Vivian est un con.
Voilà, c’est dit. Il est mignon, okay. Grand. Musclé. Mais putain, ce qu’il est con. Il lit pas. Genre, jamais. Il joue au foot. Section rugby au lycée. Pas besoin d’en dire plus.
J’espère qu’elle va vite le larguer. C’est quoi ? Genre son troisième copain ? Ça n’a jamais duré longtemps.
Quand on sort en bande, il dit parfois un truc, et Loreleï et moi, on se capte. Pas la peine de se parler. On se comprend toujours. Et lui, là, il débarque avec son grand pif et ses grandes mains.
Loreleï me raconte les trucs qu’ils font. Que son corps a explosé avec lui. Genre vraiment. Fondu. Coulé. Du coup, je sais pas trop ce qui s’est passé. Juste que c’était chaud.
Ça fait envie. J’ai encore jamais eu de copain. Je suis mignonne pourtant. Loreleï me parle tout le temps de ma peau « piquée de soleil ». Elle fait des bisous sur toutes mes taches de rousseur. Enfin… pas toutes. Elle adore mes cheveux roux. Je les déteste. Elle trouve que mes seins sont plus jolis que les siens. C’est le seul truc qui intéresse les mecs ! Mes gros nichons. Super. Pas envie de me faire tripoter par un connard.
On sort moins souvent toutes les deux. Il est toujours là, en incruste. Heureusement, il est pas invité aux soirées pyjama ! Hahaha, j’aimerais voir la gueule des parents de Loreleï s’il voulait venir. C’est notre truc à nous. Pâtisseries. Enfin, « Lichouseries » : son père est breton. J’aime bien ce mot. Quand elle embrasse mes éphélides (mes taches de rousseur, Loreleï forever intello), elle dit que c’est ses lichouseries. Qu’elle est lichouse de moi. Pourquoi j’aurais besoin d’un mec ? Pourqu'il se moque des roux et fourre ses grosses pattes dans mon soutif ?
Bref… Il a au moins un avantage, ce grand con de Vivian. Il donne des idées à Loreleï. Perso, j’y aurais jamais pensé. J’avais jamais mis ma main entre mes cuisses, avant. Ça a choqué Loreleï. C’est une experte du sexe en mode perso, elle, c’est pas possible. Elle se souvient même pas quand elle a commencé à se caresser. Genre, elle a des souvenirs « troubles et érotiques » du CP. À 7 ans ? Mais elle faisait quoi ? Elle s’en souvient pas trop. Juste que c’était chaud. Moi, je risque pas d’oublier.
Elle me racontait. Que c’était différent avec les doigts de Vivian. Qu’elle a pas eu d’orgasme avec lui, mais que c’était mieux que toute seule. Elle a bien vu que je comprenais rien. Lancement de la mission de sauvetage de ma vie sexuelle solitaire : elle m’a expliqué quoi faire. Moi, j’avais encore mes éphélides brulantes de ses baisers. J’ai demandé : « Tu peux me montrer ? » Elle a éteint la lumière. Elle m’a montrée.
Putain. Touchée, coulée.
*****
Périgueux, novembre 1991.
Je vous avais dit qu’il était con. Tant pis pour lui. Tant mieux pour moi.
Dans la cour du lycée, il faisait le mariole avec ses potes. Sauf qu’on a tout entendu.
Guignol 1 : Et alors, tu la baises ta petite intello ?
Connard à grand pif : Pas encore. Mais le dossier avance.
Guignol 2 : Elle te gave pas trop avec des citations en latin ?
Guignol 1 : C’est clair ! Elle est mignonne, mais c’est mieux quand elle se tait !
Connard à grand pif : T’inquiète, elle sait quand ouvrir la bouche…
Là, j’ai regardé Loreleï. Elle est passée du rouge au blanc. Sérieux ! Ce connard vient de balancer qu’elle le suce, comme ça ! En plus, c’est pas vrai. Mais ça… Le débat est mort. La rumeur est lancée.
Là, elle a fait un truc ridicule. J’ai eu un peu honte pour elle. Elle s’est approchée. C’est qui qu’est devenu blanc en la voyant ? Elle lui a balancé un coup de pied dans le tibia. Avec ses petits pieds. Ridicule, je vous dis. Elle s’est rattrapée :
« Regarde ma bouche. Dernière fois qu’elle s’ouvre pour toi : ne m’approche plus. Jamais. »
Il lui a attrapé le bras. Et gnagnagna, c’est pas ce que tu crois. Je lui ai filé un coup de pied moi aussi. J’avais des docks coquées. Bam !
On est parties. Royales.
Ce jour-là, elle a pleuré de rage. Le week-end, elle a pleuré sur mes éphélides. J’ai embrassé ses épaules. On a éteint la lumière. Maintenant, je souris dans le noir. Et j’ai envie de dire : merci, connard !

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