3 - La Porte de Babel

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Léocadia laissa valser son regard et son esprit dans la pièce. Un grand lustre pendait au plafond, illuminant le hall.

Combien faut-il de bougies pour l'allumer entièrement ?

Deux grands portraits d'hommes à l'air austère couvraient chacun un mur.

Sont-ils morts ?

Un gigantesque escalier surplombait les enfants.

Si on s'allonge en haut et qu'on se laisse rouler sur les marches, combien de temps faudra-t-il pour arriver en bas ?

Ses vagabondages furent interrompus par la grosse voix qui retentissait à nouveau, son écho inondant le hall.

« Je vous aurais prévenus ! »

Et la porte, tout comme la grille l'avait fait avant, se referma d'elle-même avec grand bruit.

« Missy ! gronda une élégante voix qui descendait les escaliers. Veux-tu arrêter cela tout de suite ? Tu vas les effrayer.

— Oui, maman.»

La voix qui avait répondu était celle d'une adolescente d'une quinzaine d'année qui sortit littéralement de la porte, son corps se décollant du bois dans lequel elle était fondue. Fascinée, Léocadia la suivit des yeux, son esprit tourbillonnant jusqu'à lui donner mal à la tête.

L'élégante, tout en grondant sa fille, avait descendu les escaliers et se tenait désormais devant les sept enfants, les toisant de sa hauteur. Perchée sur des talons aiguilles de dix centimètres, elle portait un tailleur taillé sur mesure pour sa taille fine. Un carré de cheveux gris encadrait un visage aux pommettes parfaites et aux yeux vifs. Léocadia n'aurait su lui donner d'âge tant elle était subjuguée par sa beauté aux traits symétriques.

La femme sourit et les observa chacun leur tour. Puis, elle prit la parole :

« Bienvenue au Manoir ! Je me présente : Lady, propriétaire de cet endroit avec Sir, mon mari, et notre fille Missy, ici présente. »

Elle avait prononcé cette dernière phrase d'un ton monocorde, comme si elle récitait un texte appris par cœur et cela n'échappa pas à Léocadia.

Puis, se détournant, Lady leur lança par-dessus l'épaule :

« Allons, dépêchons ! La nuit est courte et nous avons plein de choses à faire. J'espère que vous êtes bien reposés car ce n'est pas aujourd'hui que vous dormirez !»

Sur ces mots, elle s'échappa par un couloir latéral, suivie de Missy qui leur jeta un regard dédaigneux. Les sept enfants la suivirent. Au bout du corridor, elle ouvrit une porte, passa la tête à travers l'embrasure pour vérifier que tout était au point, hocha la tête puis se tourna vers ses pensionnaires nerveux et effrayés.

« Entrez, un par un, s'il vous plaît, leur demanda-t-elle.»

Elle eut beau les fixer un à un dans les yeux en souriant doucement pour les encourager, aucun ne fit un pas en avant. Missy, qui souleva le coin de sa bouche en une grimace saisit le petit à lunettes par l'épaule et le poussa dans l'embrasure de la porte. Un grand Schlass se fit entendre. Grassouillet hurla de terreur et voulu faire demi-tour en courant mais Missy l'attrapa lui aussi et, sans un regard pour sa mère qui fronçait les sourcils, elle le balança lui aussi à travers la porte. Le même Schlass se fit entendre mais plus aucun enfant ne poussa de cri. Tous fixaient Missy avec un air terrorisé. Elle attrapa Boule-de-cheveux mais celle-ci se débattit et lui mordit l'avant-bras. Missy poussa un cri de douleur mais ne se laissa pas battre par une fillette. Elle la saisit par le col et la jeta dans la porte en ricanant de satisfaction.

Voyant que c'était son tour, et ne voulant pas être brutalisée par une adolescente, Léocadia s'avança et franchit la porte d'elle-même. Elle n'entendit pas le Schlass mais le sentit. Son souffle se coupa un instant et une lumière blanche et aveuglante envahit son champs de vision. Elle porta une main à ses yeux pour se protéger mais l'éclat disparut soudainement.

Elle se trouvait dans un petit salon aux murs couverts de papier peint à motif fleuri. Boule-de-cheveux avait déjà envahit un fauteuil et testait son rembourrage en rebondissant dessus. Grassouillet se tenait, chancelant, à une étagère de la bibliothèque et le porteur de binocles était étendu au sol, la respiration saccadée.

Un autre Schlass se fit entendre et Léocadia s'écarta de la porte à temps pour ne pas être percutée par Sombre-et-blonde qui la franchissait. À sa suite, quelques cris étouffés se firent entendre de l'autre côté de la porte : c'étaient les jumeaux qui se débattaient pour ne pas être séparés. Missy et Lady finirent enfin par les séparer et la fille, puis le garçon, franchirent la porte, chacun leur tour mais, à peine la porte franchit, ils joignirent à nouveau leurs mains.

Léocadia fixa la porte, attendant que Lady et sa fille fassent aussi leur entrée, mais aucune des deux ne passa la porte. Après quelques minutes qu'ils passèrent silencieux, Lady fit son entrée par une porte dérobée. Missy n'était pas derrière elle.

« Je vous demande d'excuser ma fille pour cette méthode légèrement brutale mais il était nécessaire que vous passiez tous par cette porte. »

Sous les regards interloqués des sept, elle s'expliqua :

« Ce passage est appelé la Porte de Babel. Tout personne passant par la porte en oublie toutes les langues qu'il connaît pour ne parler qu'une seule et unique : la langue de Babel. Je ne doute pas que vous parliez tous anglais auparavant, mais si vous aviez un accent il n'en est plus rien désormais !»

Boule-de-cheveux éclata :

« Mais c'est n'importe quoi !»

Elle fut coupée dans son élan : son accent français avait disparu ! Elle fixa Lady avec les yeux écarquillés. Face à cet exploit, chacun voulu tester et tout le monde se mit à parler, plus ou moins fort, avec plus ou moins de joie. Bientôt le petit salon résonna de caquètements étonnés et Lady du claquer des mains pour réclamer le silence.

« Bien. Maintenant que nous avons fait ça, il reste encore le plus important à régler.»

Sans en ajouter plus pour satisfaire la curiosité des enfants, en particulier celle de Léocadia qui n'était pas rassasiée, elle traversa le petit salon pour franchir la porte. Aucun Schlass, pas de lumière blanche. Rien. C'était à ni rien comprendre.

Remarquant qu'aucun ne la suivait, Lady consentit à leur expliquer :

« La porte de Babel ne fonctionne que dans un sens. C'est une porte comme une autre, sinon. »

Rassurés, les enfants la franchirent en piaillant, oubliant presque toutes leurs appréhensions précédentes.

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