10 - Programme de l'année

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La porte se ferma derrière Maggie et Léocadia sentit que sa sérénité avait quitté la pièce avec elle. Sur sa peau frissonnante, elle imagina une gouttelette de sueur dévaler la pente de son front, coulant sur sa joue comme une larme.

Face à elle, Sir psalmodiait comme s'il était seul dans la pièce :

« Léocadia, Léocadia, Léocadia. »

Et sa litanie frénétique commença à effrayer la fillette. « Pourvu qu'il ne soit pas en train de réciter une incantation ! » pensait-elle chaque fois qu'elle fermait les yeux dans un clignement. Il s'interrompit soudain, le regard perdu dans le vide et elle crut que son hypothèse s'était finalement réalisée.

« Léocadia est l'élue, dit-il finalement, les yeux clos. »

La fillette tremblait presque sur son siège.

« C'est ce que m'a dit Bell, hier, au moment où tu as franchi les portes du Manoir, reprit-il en rouvrant les yeux. Je l'ai cru, bien sûr. Comment aurais-je pu douter d'elle ? Elle a toujours été si fiable et honnête. Bien sûr, de nombreuses observations sur ta personne, ou des informations glanées la veille ont pu confirmer la thèse. Ce n'est pas un hasard si c'est toi, Léocadia, qui est l'élue. Il y a des signes qui ne trompent pas. »

Léocadia l'avait écouté discourir sans dire un mot mais, ni tenant plus, elle posa la question qui lui torturait les lèvres.

« Qu'est-ce que c'est être l'élue ? »

Sir la regarda comme si elle lui avait demandé de quelle couleur était le ciel ou si les dessins que l'on gribouillait à longueur de journée sur des feuilles à l'aide d'un stylo avaient une signification pour quiconque.

Il la regarda comme si elle était idiote.

« Mais c'est être toi, Léocadia ! dit-il, exaspéré. »

Cette réponse ne satisfit pas la fillette qui, avec sa soif de connaissance, n'était jamais rassasiée. Elle voulut demander des précisions mais Sir ne lui en laissa pas le temps.

« J'aimerais que tu ne m'interrompes pas de nouveau si c'est pour poser des questions aux réponses aussi évidentes. Tu es une enfant intelligente, je suis sûre que tu connais déjà la réponse. »

Là encore, Léocadia n'était pas d'accord avec lui. Qu'était-elle sensée comprendre ? Et surtout que signifiait ce mot qu'elle entendait sortir de la bouche de Sir comme l'eau dans un moulin ? L'élue. L'élue de quoi, l'élue de qui ?

Une demi-heure et des discours redondants sur l'évidence de sa supériorité plus tard, Sir laissa la fillette rejoindre ses camarades dans le jardin. Ils jouaient à l'arrière du manoir, sous une allée couverte par des rosiers grimpants. Cette scène couvrant les enfants s'amusant sur le sol englobés par la serre florale évoquait dans l'esprit de Léocadia une prison naturelle. Elle y pénétra néanmoins, écartant cette idée au plus loin.

Elle retrouva Maggie assise au centre de l'allée, occupée à dresser un plan des plus détaillé sur le sol dallé. Léocadia s'installa à côté d'elle et suivit quelques temps les mouvements de sa craie sur le sol. Des schémas en tout sens, Maggie repassait sans cesse sur les même traits sans s'arrêter et son amie n'arrivait pas à distinguer quoique ce soit en particulier.

« Qu'est-ce que tu dessines ? osa-t-elle enfin demander.

— Le visage qui est apparu dans mon rêve. »

Léocadia se recula de quelques pas et put enfin distinguer quelque chose. Une sorte d'harmonie qui, oui, avec un peu de concentration, pouvait s'apparenter à une personne. Elle plissa les yeux et l'impression disparut.

« C'est qui ?

— Aucune idée. J'ai rêvé qu'il me fixait dans mon sommeil. J'essaie de restituer ses traits pour ne pas les oublier, mais j'ai du mal. La voisine de ma grand-mère m'avait expliqué que tous les rêves avaient une signification et j'ai bien l'intention de découvrir qu'elle est celle de celui-ci. »

Sur ces explications, elle retourna à son laborieux dessin et se délaissa complètement de Léocadia qui se releva.

Elle observa autour d'elle et vit que Gédéon était à genoux, les mains collées les unes contre les autres et regardait le ciel. Sa position l'intriguait. Elle décida de s'approcher de lui.

« Qu'est-ce que tu fais ? »

Surpris par son apparition soudaine, il se releva d'un bond. Il bredouilla quelques syllabes sans signification. Son visage était tout rouge.

Léocadia était persuadée qu'il n'allait pas lui répondre et posa donc la question dans un coin de sa tête. Cependant, il ne fallait pas sous-estimer le jeune Petadennis, ce que Léocadia apprit à ne pas faire par la suite.

« Je priais pour que ce ne soit pas grave... finit-il par avouer d'une toute petite voix.

— Pour que quoi ne soit pas grave ? questionna-t-elle gentiment.

— Être l'Imagio de Maggie. »

Jusque là, la fillette ne s'était pas imaginé ce qui avait pu se jouer dans l'esprit de Gédéon depuis qu'il avait entendu son nom, pour la deuxième fois, être prononcé par Bell. Bien sûr, elle se doutait qu'il devait être un peu inquiet. Mais elle n'avait pas réfléchi à l'angoisse que son petit corps potelé pouvait contenir.

Elle s'en voulut. Elle n'avait pas pour habitude d'avoir de pensées auto-centrées ;  en général, elle passait même les trois-quarts de sa journée à se mettre dans la peau des autres – ou du moins, à tenter de le faire. Son arrivée au Manoir, sa découverte de la magie, tout cela avait chamboulé ses habitudes. Il était temps qu'elle se reprenne.

Très rapidement, Lady appela les enfants à se lever et à la suivre de nouveau dans les couloirs du Manoir. Trottinant avec peine derrière ses longues jambes chaussées d'escarpins crème, ils repassèrent par le Grand Hall, empruntèrent l'escalier, en descendirent un autre au bout du couloir, tournèrent deux fois à gauche, une fois à droite et, après une série d'autres pas, se trouvèrent dans une pièce.

Elle avait tout l'air d'une salle de classe. Des pupitres doubles au nombre de quatre alignés dans un quadrillage parfait, un tableau noir au mur et, dans un petit pot à côté, cinq craies de couleur différente. Sur les murs, s'étalaient de gigantesques affiches déroulées à l'effigie des différentes matières scolaires étudiées à cet âge : biologie, mathématiques, géographie du monde, grammaire, histoire, tout y était.

D'un vaste geste de l'épaule, Lady engloba la salle entière :

« C'est ici que vous passerez les prochaines années. Vos journées seront composées d'étude le matin et de travaux pratiques l'après-midi. Deux demi-journées de liberté non-fixe vous seront accordées par semaine ainsi que quelques couples de jours de vacances dans l'année. Vous aurez comme professeurs, Sir, Missy et moi-même. Le maître des doubles pourra assurer une surveillance en cas d'absence prolongée de notre part. »

À cet endroit de sa présentation, Léocadia ne put s'empêcher de l'interrompre.

« Qui est Le maître des doubles ? demanda-t-elle, sa curiosité parlant à sa place.

— Notre homme à tout-faire, lui répondit la femme. C'est lui qui vous a ouvert le portail hier. »

Léocadia hocha la tête, l'image du contrôleur de train se superposant dans son esprit, et Lady reprit son énumération. Mais l'attention de Léocadia s'était envolée. Qui était Le maître des doubles ? Quel véritable rôle jouait-il au Manoir ? Car elle se doutait qu'il ne pouvait pas être que « l'homme à tout faire ». Il y avait quelque chose d'étrange dessous.

En soupirant intérieurement, elle pensa qu'en réalité, absolument tout paraissait louche ici.

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