Attention, saut devant !
Bonjour, toi.
Tu t’interroges sans doute sur la raison de ma présence, là, à l’extrémité de ce toit, à flirter dangereusement avec le vide.
Mais au fond, tu connais déjà la réponse, n’est-ce pas ?
Ce que tu veux vraiment comprendre, c’est comment j’en suis venu à envisager une décision aussi radicale.
Et pour être honnête… je l’ignore moi-même.
Peut-être est-ce lié à mon travail ?
Un emploi qui engloutit la totalité de mon temps, de mon énergie… de mon existence.
Un cycle perpétuel, implacable, une routine qui confine à l’absurde.
Chaque imprévu devient un cataclysme potentiel.
Je pourrais tout abandonner.
Mais il est déjà trop tard.
J’y ai consacré trop d’années.
Et je ne saurais me reconstruire ailleurs.
Ce sentiment d’érosion ne vient pas uniquement de là.
Est-ce l’attitude méprisante de mes supérieurs ?
Le regard vide, indifférent, de mon employeur ?
Je l’ignore… mais je ne pense pas que cela soit la cause première.
Ma famille, peut-être ?
Ces attentes démesurées, souvent irréalistes.
Cette pression constante, comme un poids insidieux sur mes épaules.
J’ai parfois la sensation d’être englouti dans les profondeurs d’un océan, sans jamais manquer d’air, mais écrasé par une pression toujours plus forte.
Je continue de descendre…
Mais jamais je ne touche le fond.
Et pourtant, ce n’est pas à eux que je songe, ici.
Peut-être est-ce mon amante ?
Cette femme que je croyais lumineuse, bienveillante, entière.
Et qui, un jour, sans prévenir, a lacéré ce qu’il me restait de cœur.
Je me suis posé tant de questions…
Ai-je été trop distant ?
Pas à la hauteur ?
Ai-je commis l’erreur de me montrer vulnérable, trop humain ?
Aurais-je dû masquer mes failles ?
Mais ce n’est pas pour elle que je suis là.
Mes amis, alors ?
Ceux qui promettaient fidélité et soutien inconditionnel.
Ceux qui affirmaient vouloir le meilleur pour moi.
Et pourtant… me voici seul.
À cent mètres du sol.
Et aucun d’eux n’est là pour me retenir.
Les promesses ne valent que ce que valent ceux qui les prononcent.
Et pourtant, ce n’est pas pour eux que je m’apprête à sauter.
Peut-être est-ce la société ?
Un monde où l’on monnaye les sentiments, les combats, les convictions.
Où chaque lutte devient un produit, chaque douleur un argument publicitaire.
Les révoltes s’affichent, se vendent, puis s’effacent, remplacées par la prochaine tendance.
L’indignation est une marchandise.
L’amour, une opération marketing.
La spiritualité, un mot-clé.
Mais même cela ne suffit pas à expliquer ma décision.
Peut-être, alors, est-ce l’accumulation.
La somme de tout ce que je viens d’évoquer.
Travail, amour, famille, amitié, société…
Tous ces fragments de mal-être qui, individuellement, semblent anodins, mais qui, ensemble, deviennent un poison lent.
Et pourtant… je ne crois pas que ce soit là l’origine véritable de mon choix.
Et toi, dis-moi…
Tu crois savoir, n’est-ce pas ?
Tu penses pouvoir deviner…
Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
...
Adieu.