J'ai fait un drôle de rêve, j'étais redevenu un gamin de dix ans. J'étais encore à l'école primaire dans ces temps-là...

Oui, oui, c'était le bon temps,c'était au temps du Franc, il n'y avait pas de délinquance, on achetait des bonbons, on jouait au foot, à la guerre, on embêtait les filles...qui nous le rendaient bien. Mais les filles et les garçons, chaque fois qu'on se rencontrait, c'était... oh je me souviens de Rosa et ses taches de rousseur, de Marie et de son petit sourire craquant, de Magalie et de ses blagues salaces, d'Isabelle et de ses mains baladeuses. Je me souviens surtout de leurs baisers au gout de pêche, de cerise et de Chewingums à la chlorophylle...et plus tard au gout de Camels, Marlboro et Kronenbourg !

C'était le paradis !

Puis, je me suis réveillé de mon rêve, je me suis levé, les yeux pleins de sommeil, j'avais une sale gueule, vraiment une sale gueule de vieux fatigué qui ne croit plus en rien.

Je me suis vite habillé, vite débarbouillé et je suis descendu à l'étage. Il restait du café, il était encore tiède. dans un coin, il y avait un petit mot !

"Passe une bonne journée mon amour, si tu as le temps, fais une machine, j'ai trié le linge...fais-moi un bon truc à manger, puis surtout, écris-moi une belle histoire."

Ah , oui, elle était sympa ma femme, elle m'avait laissé dormir, elle comprenait que j'étais fatigué en ce moment !

Alors, je me suis installé, je me suis servi un café, bon, mais presque froid, sans sucre, je n'y avais plus droit. Je le bus, à toutes petites gorgées, je pensais à ce que ma femme ...

" Écris-moi une jolie histoire !"

Ah oui, parlons-en ! Je me croyais grand écrivain, romancier à la Jules Verne ! j'attendais le texte qui me propulserait vers le prix Renaudot, le prix Inter... Un texte qui m'arracherait à ma petite condition minable de petit fonctionnaire en Burn-Out, dépression et tutti quanti, qui attendait la retraite.

Pauvre pomme, à la retraite, tu vas toucher des clopinettes, fallait travailler dans ta vie, fallait travailler à l'école. Le texte que tu as envoyé au dernier concours d'écriture, tu l'as vu ?

C'était un torchon ! Des fautes d'orthographe à toutes les phrases, des fautes de syntaxe, les accords de verbes parlent en des accords des verbes...

Ils vont te répondre par correction, par charité chrétienne... Mais tu le sais, ton texte que tes potes disent aimer, pour te faire plaisir, il ne vaut que nib ! Mais non, tu n'es pas trop dur avec toi, tu ne vaux rien, tu ne vaux rien. Bien entendu, tu as fabriqué deux beaux enfants, qui viendront dimanche t'offrir ton cadeau de fête des Pères. Ils tardent un peu à faire de toi un papi gâteux, mais ils te les feront tes petits enfants...

Ta femme, tu dis que tu en as marre, mais, tu en as besoin, elle supporte tes jérémiades de looseur perpétuelles, tes ronflements la nuit, ton linge sale et ton sale caractère...

Allez, je débarrasse la table, je passe un coup d'éponge, je pose mon bol dans le lave-vaisselle. Tiens, il faudra que je revisse le pied du lave-vaisselle, il penche ! ça fait vibrer le plan de travail, il faudra que je me rase aussi, je ressemble à un tueur en série...

Voilà, en trainant les pieds, j'ai allumé l'ordinateur, je lis les copains, je like l'histoire d'une jeune fille, je regarde les mails, j'ai déjà quatre pages d'ouvertes... allez, je regarde enfin ma boite mail, ils ne m'ont pas répondu. Pourtant j'y croyais à mon histoire !

Je commence à... Je fais quoi, j'écris un autre texte, un de plus, je continue mon histoire du siècle.... Celle de ce petit paysan varois, qui part chercher son frère, de l'autre côté de la planète, en route, il rencontre l'amour... Elle est banale ton Histoire !

Ah, ça sonne à la porte , je me lève, je cherche mes pantoufles... qui c'est qui m'emmerde !

• Oui, oui, voilà , j'arrive, j'arrive, je viens, un instant !
  
• Bonjour monsieur !
  

Je me pince, je rêve, un enfant, pas n’importe quel enfant, un enfant de dix ans... Moi enfant !

• Bonjour, Monsieur, Je peux rentrer sur votre terrain pour chercher le ballon !
  
• Bonjour, je te connais ?
  
• Ben oui, vous me connaissez, vous êtes moi, je suis vous ! vous avez mal vieilli, je pensais que je serais plus beau plus tard...
  
• Tu es venu pour m'insulter, pour me demander des comptes ?
  
• Non, non, ne le prenez pas mal, j'ai toujours été maladroit, je peux te tutoyer au fait, puisque tu es moi... Tu te rappelles, enfant quand tu t'ennuyais que tu t'inventais une vie de rêve, des voyages dans tous les coins de la terre, des femmes de rêve dans tous les pays, l'argent facile, le pouvoir, le succès, tu es devenu quoi, tu t'ennuies encore, je peux voir ce que tu écris....
  
• Non, non , tu es gentil, mais tu sais que nous avons été de grands rêveurs, toi et moi, tu te souviens, je voulais devenir Bob Morane, Renaud, Che Guevara, Platini, Maradonna, Tabarly, Kersauson !
  
• Pour Tabarly, c'était raté, à dix mètres du port j'avais déjà le mal de mer ! Pour le Che aussi, on n’était pas de gros aventuriers, non plus, la tête dans l'Atlas, dans les livres, ça oui... Alors, dis-moi, tu écris, tu es célèbre, tu es édité ?
  
• Eh oh ! pas si vite ! Non, non, j'écris, non pas encore édité ! Mais, que fais-je là ? Je me justifie auprès d'un enfant de dix ans ?
  
• Tu sais, tu peux tout me dire. Je suis un enfant mais je suis toi. Je suis fier de toi, de moi, de l'adulte que tu es devenu. Tu es fidèle à ce que tu étais quand j'étais moi. Enfin, tu me comprends, je sais, nous avons toujours eu du mal à nous faire comprendre toi et moi, la tête tourne trop vite pour les mains et la langue. Parfois les pieds non plus ne fonctionnaient pas, j'étais devant les cages, le ballon était cadré, le goal était battu et je ratais le ballon du siècle... C'est nous ça ! Dis-moi , juste un truc et je te laisse tranquille dans ta vie de rêve !
  
• Oui, pose là ta question !
  
• Tu es heureux, tu t'ennuies ?
  
• Une question on a dit !
  
• Tu t'ennuies ?
  
• Oui, des fois ça m'arrive, alors j'écris, je cherche toujours à être un autre que moi
  
• Bon, je suis rassuré, tu es bien moi... À oui, ai confiance en toi un peu, elle est bien ton histoire, je l'ai lue, elle est bien, j'y crois, tu tiens le bon bout avec elle, mais seulement, comme d'habitude, nous avons peur de réussir, alors ce serait plus facile de tout lâcher... tu as vu ce qu'elle a écris ta femme ! "Ecris moi une belle histoire", alors fonce...Merde, nous ne sommes pas des looseurs perpétuels...
  

Alors que je m'approchais pour le prendre, pour me prendre dans les, nos bras...Pfff, il s'était enfui... j'espère qu'il va revenir cette nuit !

Remonté à bloc, je repensais à tout ce qu'il m'avait dit ! pris d'un doute subit, je regardais les plaquettes de médicaments, avais je trop pris de... non, il n'y avait aucune surdose médicamenteuse, oui, j'avais surement rêve éveillé, j'en étais coutumier !

Je bus un grand verre d'eau, je m'installais devant mon ordinateur et...

" Jean-Thomas et Maureen, dans un chariot, partaient à la conquête de l'Amérique... allaient- ils enfin rencontrer des Sioux ou des Comanches hostiles, comment s'en sortiras-ils..."

Sans me poser plus de questions, j'écrivais, j'écrivais, j'écrivais

• Coucou, c'est moi, alors tu me l'as écrite cette jolie histoire, je peux la lire ?
  
• Je n’ai rien fait pour ce soir, je n'ai pas eu le temps...
  
• Je vais voir dans le congélateur, ne t'inquiète pas, corrige les fautes d'orthographe et surtout sauvegarde ! Donc tu ne t'es pas ennuyé aujourd'hui, j'avais peur que tu t'ennuies... au fait tu reprends bien le travail demain, c'est ça ? Allez ne t'occupe pas de moi, sauvegarde ton texte surtout ! Ce serait con de tout perdre maintenant !