Pour la gloire de l'humanité

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Une vieille valse résonne à travers les enceintes. Inaudible depuis l'extérieur de la gigantesque coquille en durium flottant comme un navire ayant perdu son cap depuis des jours, le rythme régulier berce les pas du capitaine. Lui qui vient de réussir à calmer les tremblements qui agitaient ses mains à l'aide d'une bonne liqueur, le voilà perdu dans l'immensité du vide et de sa mélancolie. Il pousse un soupir avant de hoqueter, ivre. Son révolver encore dans sa main droite, tournoyant maladroitement autour de son index. Un, deux, trois, quatre puis un, deux, trois et quatre, et un, deux trois quatre. Le capitaine suit le rythme de petits hochements de tête tout en laissant ses pensées divaguer sans jamais sauter un battement.

Incessamment, les tremblements reprennent néanmoins. Pour se calmer, Reyes pose la main sur son calibre encore chaud, serrant fort contre son propre ventre le barillet, songeant à ce qu'il adviendrait si son doigt frémissant l'activait par inadvertance. Un coup d'oeil à la pièce lui permet d'observer ce qu'il se passerait. La musique continue de plus belle et prends un rythme effréné, pour accompagner les battements chaotiques du coeur du capitaine. Il envoie valser une bouteille de liqueur en voulant se lever, laquelle vient rouler lourdement après quelques échos dans la grande pièce vide pour venir ralentir sa progression dans une flaque de liquide jaunâtre. Jaunâtre sous les néons pâles de la salle du commandement, rouge dans le corps encore chaud de l'homme qui est allongé près du canapé. Reyes lui offre un regard de dédain en titubant près de son visage. Qu'allait-il faire, de toute façon? Se mutiner? La mort les attendait tous d'une façon ou d'une autre.

Il y avait ceux qui avaient réussi à s'enfuir dès lors que le capitaine avait annoncé l'objectif final de leur mission. Activer le système de détonation manuelle de la station de terraforming en orbite de l'étoile X20116. Ce que les hommes avaient réveillé à cet endroit, il ne fallait absolument pas que le monde l'apprenne. On lui avait bien spécifié que personne ne devait revenir vivant de cette mission. Et personne n'en reviendrait. Même s'il devait l'accomplir seul. Entièrement seul, dans l'immensité du trajet qui l'amenait paisiblement à sa destination. Accompagné seulement par les enregistrements d'un disque de son enfance, Reyes ouvrit la porte de sa cabine et déambula de longues minutes dans les couloirs froids couverts de traces de sang encore chaud. Du sang qui appartenait aux diverses personnes allongées sur le sol, tentant de s'enfuir en direction des capsules de sauvetages. Ceux-là ont connu une mort rapide. Sans douleur.

En arrivant devant les modules vides et les quelques rares caissons qui n'avaient pas pu être largués à temps, Reyes ne put dès lors réprimer un léger sourire tragique. Ces gens, ils venaient de se propulser dans une région ou l'on ne trouvait pas une planète habitée avant plusieurs centaines d'années lumières, sans aucun système de propulsion qui ne permette d'atteindre ne serait-ce que celle des photons dans le vide. Et les capsules n'étaient pas équipées pour causer la mort rapide du pilote en ce cas. Ils allaient dériver pendant des jours, en attente d'un espoir aussi infime qu'un atome à l'échelle de l'univers tout entier, en perpétuelle expansion.

Reyes rejoint le quartier de l'équipage ou les corps étaient plus rares. On lui avait donné ses ordres. Ne laisser personne revenir de cette mission... Et il avait été plutôt diligent dans cette tâche. Personne n'allait revenir. Ni lui, ni son équipage. Il avait même programmé la destruction de son navire pour que personne n'en retrouve jamais les boites noires. Personne n'allait jamais apprendre ce qu'il s'était passé dans ce coin de la galaxie, ou, entre deux musiques aux accents de jazz, l'avenir de l'humanité s'était dessiné à coups de feu marquant en lettres de sang les paroies d'un vaisseau froid comme la mort. Devenu agent cruel malgré lui, Reyes s'empara d'une bouteille à moitié vide et l'engloutit toute entière avant de la jeter contre un mur ou elle se brisa dans un éclatement sonore. Un bruit qui lui causa des acouphènes et une migraine terrible.. Et pourtant un bruit si insignifiant à l'échelle de l'univers. Immédiatement étouffé par le vide autour de lui.

Personne n'avait le droit de revenir de cette mission. Seul dans la cabine de pilotage, Reyes baissa les yeux vers les commandes du pilote automatique pour les désactiver.. Et le vaisseau s'arrêta tout seul quelques secondes plus tard, aux portes de la baie d'amarrage d'une station dangereusement proche d'une étoile au rayonnement noirâtre, comme si le feu qui la composait aspirait lui même à la fin... Ce qui dormait dans cette station... La vérité extraite des sondes de cette partie de l'univers, aux confins de ce que l'on peut encore cartographier avec nos instruments modernes.. Cette vérité qu'ils ne comprendront jamais. En dehors du temps, son revolver toujours à la main, Reyes pénètre alors dans la station abandonnée depuis longtemps pour y trouver.. Non pas ce à quoi il s'attendait. Quelque chose de bien pire. Lui qui espérait voir quelque entité venue le grignoter depuis les tréfonds de son imagination, il ne trouva rien de tout ça. Il pensait se retrouver face aux monstruosités eldritchiennes de ces mythes lugubres... Rien de tout ça. Il n'y avait qu'une longue note expliquant les trouvailles d'une équipe de scientifique ayant tâché de sonder les limites de l'univers hors de celui qui nous est actuellement conceptualisable. Les fameux 99% restants du monde.

Sans dire mot de son effroi, Reyes activa le détonateur tout en sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas s'enfuir avec son vaisseau malgré le délai entre l'activation et l'explosion. Il se réfugia alors dans sa cabine... Jeta un dernier coup d'oeil à la note des scientifiques qu'il avait téléchargé sur son pad personnel.. Pointa le revolver sur son front, et pressa la détente, sans aucune hésitation. Le silence engouffra l'explosion quelques minutes après, laissant l'équipage du Layor disparaître dans l'oubli des dossiers classifiés de la fédération, rapidement brûlés après la confirmation de la détonation arrivée à quelques milliers de vigintillions de kilomètres de la terre.

" [...] Nos recherches sont équivoques. Le silence est universel. Nous étudions l'infinité de l'espace depuis bientôt quinze siècles, des générations entières s'étant succédées à cette tâche monumentale depuis la création de notre délégation, dans une observation religieuse des différents protocoles à respecter dans nos démarches. [...] seule réponse à vous apporter est le silence. Nous n'avons découvert que des mondes morts. Détruits, annihilés. Suicidés. Brisés. Rendus stériles. Le grand froid des étoiles qui s'éloignent les unes des autres les ayant rendus inhabitables et décimés les quelques espèces sentientes avec lesquelles nous aurions pu échanger. En près de mille cinq cent ans d'exploration, nous pensons avoir étudié un échantillon représentatif de l'univers inconnu. Nous n'avons trouvé aucune trace de vie. Nous sommes la seule espèce encore en vie dans l'univers. Celles et ceux qui vivaient encore, à une échelle temporelle relativement courte, ont eux même choisi l'anéantissement en réponse à ce phénomène. Personne n'explorera jamais la tombe que nous laissons derrière nous. Il n'y aura pas de nouvelle terre. Pas de nouvel Eden. [...]tifique en chef recommande la destruction de ce rapport et l'entretien du mensonge jusqu'à la fin. Nous avons procédé à la coupure des signaux, plus rien ne sortira de ce laboratoire. Et nous avons, d'un commun accord, décidé d'emporter ce secret dans notre tombe. [...] Quiconque viendra nettoyer derrière nous devra lui aussi se jeter dans les flammes de l'oubli. Pour la gloire de l'humanité. "

- Notes Perdues dans le vide.

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