Tip-tappa-tip, le temps passe au rythme de la pluie.
Son projet mûrit de plus en plus. Il prend forme.
Les premiers essais sont concluants. Jas est ravie de l’aider et d’apprendre à ses côtés.
L’hiver a passé, c’est le retour du printemps.
Cette fois Tante Marnie insiste pour fêter son anniversaire. Elle a invité du monde. Il n’est toujours pas confortable avec l’idée de vieillir. Mais il accepte quand même cette fête. Ça lui fait plaisir à elle. Et puis… il sait que son ange viendra.
La tante a été claire avec les invités : pas d’alcool. L’ange a apporté des jus de fruits de son exploitation. Marnie s’étonne toujours devant l’étendue de son offre. Ils sont frais, ils sont bons. Elle dit que c’est essentiel de se diversifier, de ne pas surproduire, afin que chaque produit soit le meilleur possible. Il ne peut qu’être d’accord avec ça.
Elle est tellement différente des gens qui l’entourent.
Elle lui a apporté un petit quelque chose de très spécial. Il ouvre la boîte et découvre des piments farcis. Elle a suivi la recette qu’il lui avait envoyée.
Ils sont parfaits.
- Mais… Des piments ? En cette saison ?
- J’ai désormais une serre…
- Mais comment…
Elle met un doigt sur la bouche.
- Chut, pour cela, il faut croire à la magie.
Près d’elle, il est prêt à tout croire.

Il finit de peindre le panneau. Il le mettra dehors, bien en vu.
Oeufs frais.
Il attrape Charlie, son poulet préféré.
- Et voici la maison parfaite pour vous, mes petites poules.
Il a invité son ange à venir voir. Jas l’attend à l’entrée de la ferme et doit l’emmener les yeux bandés.
Il regarde encore ses volailles :
- Vous et moi, on va faire les meilleurs oeufs de toute la vallée ! Frais, sain et avec des jaunes bien riches ! Pas comme ceux tout blancs et maladifs de chez JojaMart !
Il pousse malgré lui un soupir :
- Tu sais, Charlie… Je me demandais… Un gars comme moi vacillera toujours sur le fil du désespoir… Tu vois ce que je veux dire ? Mais toi et tes copines, vous allez m’aider à garder la tête hors de l’eau… J’en suis sûr… Et ben Charlie ? Tu en fais une drôle de tête ? Je te mets trop de pression ?
Il se met à pouffer. Il est bien là, au milieu de ses poules.
Il entend un bruit derrière la porte. Son cœur bat un peu plus fort… Elle arrive.
- Hey Mary ! Tu peux enlever le bandeau ! Alors, tu en penses quoi ?
Elle regarde tout autour, son visage s’illumine d’étonnement devant ses drôles de poules.
Elles sont magnifiques.
Des comme ça, on en voit pas tous les jours !
- Ce sont mes poules bleues spéciales ! Je travaille sur leur race en secret depuis des mois maintenant !
Il regarde sa nièce adorée :
- Je ne vivrais peut-être pas ici pour toujours et je voulais transmettre quelque chose à Jas. Je lui apprends comment bien s’en occuper. Je ne veux plus me contenter d’être un fardeau de plus dans ce monde. Je veux désormais en faire partie, même d’une façon aussi insignifiante qu’ici.
Jas court après Charlie. Ça le fait rire.
L’ange le regarde plus intensément que jamais. Il a l’impression de la voir rougir.
- Je ne pense pas que ce que tu fais ici soit insignifiant. Au contraire. C’est ce genre de chose qui rend le monde meilleur. Je…
Cette fois, il en est sûr. Elle rougit.
- J’aimerais te parler… seul.
Il a l’impression que son corps s’engourdit et qu’il devient très lourd mais aussi très léger à la fois…
- Oui… Bien sûr… Heu Jas… Tu peux sortir Charlie s’il te plaît ? Il a besoin de prendre l’air…
- D’accord Oncle Shane.
La petite sort avec le poulet.
Son ange le regarde.
Sa gorge à lui se serre.
Elle attrape un sac qui l’accompagne et y cherche quelque chose.
- Tu sais… Je discutais avec Pierre, tu sais Pierre qui tient l’épicerie… Le père de mon amie Abigail…
Elle parle avec précipitation.
Trop.
Elle est gênée.
- Il m’a dit que tu comprendrais le symbole.
Son cœur s’arrête. Oui, il comprend.
Un bouquet.
Elle lui tend un bouquet.
Ici c’est la tradition. Elle veut bien faire. Elle est mignonne.
Mais peut-il accepter ?
Un petit détail accroche son regard. Ce détail va tout faire basculer. Elle a mis des piments dans le bouquet.
Il éclate de rire.
- Tu es tellement bizarre. J’aime ça chez toi…
Il le lui prend des mains, leurs doigts se frôlent…
Toujours ce frisson.
Elle rougit encore plus. Elle ose.
- Tu aimerais venir manger avec moi au saloon ce soir ?
- Et Sebastian… ?
- Il n’est et restera qu’un ami. C’est pas avec lui que j’ai envie d’aller chez Gus ce soir. C’est avec toi Shane… Parce que… Parce que ça a toujours été toi…
Il la regarde.
Elle est si lumineuse qu’elle arrive même à traverser cette muraille qu’il a mis tant d’années à bâtir autour de son cœur.
- Alors avec plaisir.

A suivre…