Mauvaise blague

6 minutes de lecture

Mon sang coule dans la baignoire et mes larmes ne cessent de couler le long de mes joues. J'ai mal. Mes poignets me brûlent, mais cette douleur physique n'est rien comparé à celle que je ressens dans le cœur.


Je reste plusieurs minutes à regarder mon sang couler, caressant ma peau tout en faisant des cercles dessus avec mes pouces. À cet instant, je suis prête à faire l'impensable pour que mon enfer s'arrête. Je me surprends même à fermer les yeux, me laissant lentement glisser dans le fond de la baignoire.


À peine sont-ils fermés, que cette nuit revient brutalement me hanter. Je me redresse subitement, les paupières grandes ouvertes. J'attrape alors mon bâillon avant de l'enrouler fermement autour de mon poignet gauche, sortant immédiatement de la baignoire pour m'occuper de l'autre.


Je prends ensuite la trousse de secours dans le placard au-dessus du lavabo et sors le nécessaire pour soigner et panser mes plaies. J'ai l'habitude pour l'avoir fait tellement de fois. Sécher, désinfecter et panser. Ce sont des gestes que je répète au quotidien.


Une fois mes blessures soignées, je jette la serviette dans le lavabo que j'ai rempli d'eau. J'ajoute ensuite de la javel dedans pour faire disparaître les taches de sang. Je ne souhaite pas que mes parents voient ça. Quand bien-même le verraient-ils. S'en soucieraient-ils ? Rien n'est moins sûr.


Je me regarde dans le miroir, passant une main sur cette cicatrice qui me tue progressivement.


« Tout ça, c'est à cause de toi, dis-je tout en rigolant, parlant à cette fichue marque, comme si elle allait me répondre. »


Je secoue vivement ma tête avant d'éteindre la lumière de la salle de bains et de me diriger vers mon lit, dans lequel je m'allonge après avoir remonté la couverture jusque sous mon menton. Je mets l'alarme de mon téléphone avant de fermer les yeux, et de me laisser peu à peu emporter par le sommeil.


Ce sont les rayons du soleil qui finissent par me réveiller, avant même que mon alarme ne sonne. Je me lève, direction la salle de bains. Comme tous les jours, je fais mon train-train quotidien, néanmoins, cette fois-ci, je change mes pansements. Mes plaies sont nettes, propres, mais pas profondes. Il m'a fallu des années pour les perfectionner, sans pour autant gravement me blesser. Je ne suis pas assez courageuse pour ça de toute façon. Et bien que je subisse continuellement, je ne souhaite pas donner raison à tous ces salauds qui se fichent éperdument de ce que je vis ou de ce que je ressens. Quelque part, une petite voix au fond de moi me répète constamment que j'ai encore beaucoup de belles choses à vivre. Que je dois continuer à m'accrocher, car je finirais forcément par rencontrer des jours meilleurs. J'aimerais le croire, vraiment. Mais quand ?


Une fois prête, je descends à la cuisine. Il n'y a personne, ce qui n'est pas plus mal étant donné la terminaison de notre soirée. Je n'ai pas été tendre avec ma mère, je le sais. Comme je sais qu'elle ne dira rien, et qu'elle ne me punira pas non plus, car au fond, tout ce que j'ai dit est la stricte vérité, et elle le sait parfaitement.


Quant à mon père, s'il n'ose pas intervenir, c'est parce qu'il a toujours soutenu sa femme. Mais, aussi, parce que même s'il ne le dit pas franchement, il lui en veut pour ce qu'il m'est arrivé. Même si ma mère s'en est beaucoup mieux sortie que moi suite à l'accident. Mis à part quelques contusions, des os brisés, et deux/trois hématomes, elle n'a pas réellement subi, puisque le camion a percuté le côté passager de la voiture. J'ai été la plus touchée. Par miracle, ma mère, elle, n'a pas été défigurée. Les séquelles encore visibles après son rétablissement, elle les a aussitôt fait disparaître grâce à la chirurgie esthétique. Facile pour elle aujourd'hui de se vanter de sa beauté mensongère.


Je lorgne ce qu'il y a dans le frigo, histoire de ne pas partir le ventre vide au collège. Cependant, à l'intérieur, il n'y a que les mixtures répugnantes de ma mère. Comme d'habitude. Même les placards sont remplis de ses cochonneries, soi-disant peu caloriques, afin de garder la ligne. Cette fichue ligne qui me pourrit la vie.


Je soupire, agacée et me contente d'une pomme et d'une petite bouteille d'eau que je range dans mon sac avant de quitter la maison.


Il s'en est fallu de peu pour que je rate le bus. C'est donc essoufflée que je monte à l'intérieur, les regards moqueurs, pour ne pas changer. Parce qu'en plus d'être à bout de souffle, je suppose que mon visage est rouge et que mes cheveux sont sûrement dégoûtants par la transpiration naissante. Après tout, les gros transpirent plus vite que les minces. C'est bien connu.


Je longe les couloirs pour aller m'accrocher à cette poignée que je connais par cœur, mais au moment d'y arriver, un abruti me fait volontairement un croche-pied. Je tombe durement sur le sol, lorsque je sens un liquide couler sur mes cheveux. Mes poings se serrent méchamment, mes ongles s'enfoncent férocement dans mes paumes. J'aperçois alors du lait dégouliner de ma chevelure, tandis que les élèves rigolent à gorge déployée.


« Bas alors, Quasimodo, t'as pas vu mon pied, ricane celui qui m'a renversé.

— Comment veux-tu qu'elle voie quoi que ce soit ? Regarde-la, relève une nana dont je ne reconnais pas la voix. Avec son ventre, je parie qu'elle ne voit même pas ses propres pieds. »


Ils se mettent davantage à rire, alors que je suis toujours clouée au sol, mes poings se resserrant davantage, mes cheveux trempés.


« Pourquoi tu restes par terre, intervient un autre jeune ? T'as peut-être besoin qu'on t'aide, poursuit-il, alors qu'il pose sa main sur mon bras pour m'aider à me relever. »


Pendant que je me redresse, celui-ci me relâche brusquement. À cause du lait, je glisse et je perds l'équilibre, retombant sur le sol, mes genoux cognant fortement celui-ci. C'en est trop. Ma colère se transforme en rage et mes larmes se forment dans mes yeux. Pourtant, je dois me montrer plus forte, car si je me montre vulnérable devant tous ces imbéciles, les jours comme celui-ci n'en finiront pas. Ils deviendront même pire. Je le sais.


Alors, après avoir pris une grande inspiration, je me relève toute seule, remettant mes fringues en place, sans me soucier de ses abrutis qui continuent de se moquer. Je dégage les cheveux qui cachent mes yeux et attrape finalement cette fichue poignée, sans faire attention à ces débiles qui continuent de m'insulter et de rigoler. Le chauffeur de bus, lui, même s'il a tout vu de la scène qui vient de se jouer sous ses yeux, préfère rester en retrait, de peur des représailles. Enfin, je suppose.


La gorge nouée et les mâchoires serrées, je reste la tête droite pour terminer le trajet. Voyant que je ne réagis pas à leurs attaques, les sales gosses reprennent progressivement leur place, poursuivant leurs messes basses. Riant sans se cacher.


Je baisse mon visage, frustrée et blessée, lorsque le bus arrive enfin au collège après plusieurs minutes. Je suis toujours accrochée fermement à cette satanée poignée. Comme si elle était ma meilleure amie. Ma seule alliée. Les élèves descendent un à un du car, ne manquant pas de me bousculer dès que l'occasion se présente. Je soupire. Je hurle intérieurement. Mes veines me brûlent et mon sang se déchaîne comme une tornade prête à affronter le monde et à le tuer.


Le bus presque vide, je me décide enfin à lâcher la poignée pour pouvoir descendre. Mon visage toujours baissé, je m'apprête à quitter cet enfer, lorsque j'aperçois un tissu blanc s'agiter sous mes yeux.


« Tiens, tu en as plus besoin que moi, entends-je dans un murmure, attrapant le tissu que l'on me tend. »


Je redresse alors mon visage pour remercier l'individu qui m'a donné ce mouchoir, mais il n'est déjà plus là. Tout ce que je vois, c'est une silhouette qui s'éloigne au loin, de dos, qui marche en direction du bahut. Sa main droite dans la poche de son jeans, l'autre tenant la lance de son sac-à-dos.


Je ne pense pas le connaître et sa voix ne me dit rien non plus. J'ignore qui il est, pourtant, son geste, aussi infime soit-il, a réussi à me donner le sourire. Mais, surtout, il m'a donné assez de courage pour affronter cette journée, qui, je le sais, ne sera pas meilleure que les précédentes. Voire pire.

Annotations

Vous aimez lire Beebloom ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0