III. Le Récif des Rochers Dansants

6 minutes de lecture

Sofia, à moitié endormie devant son ordinateur du poste 317/LAMP-IMM, lutte contre la fatigue. Les derniers jours ont été épuisants, avec une succession d'arrivées clandestines sur l'île. Elle fait partie d'une petite équipe d'une dizaine de personnes qui se relaient jour et nuit sur trois postes différents pour porter secours et assister les nouvelles vagues de migrants. Près de la retraite, Sofia a quitté son poste administratif à la municipalité pour mettre ses compétences au service de l'humanité. Elle-même immigrée, elle a perdu ses parents lors du naufrage d'un bateau et a été recueillie et élevée par des habitants locaux. Aujourd'hui, elle est devenue une figure emblématique de l'île.

Une alerte clignotante apparut soudainement sur son écran. Sofia sursauta, mettant quelques secondes à reprendre ses esprits. Elle ouvrit la fenêtre pop-up et lut attentivement le message.

** Bonsoir Sofia,
Nous avons du nouveau concernant l’affaire "Mer Obscure". Rachid EL-Khaled a été retrouvé assassiné sur la place de Ghedhabna, en Tunisie, avec un code 20h-01h trouvé sur lui. Nous suspectons une immigration clandestine en cours qui devrait arriver dans la nuit. Activation du plan 4 ! Je prends l'avion et j'espère être là dans 4 à 5 heures. Élise - Brigade marine **

Le cœur de Sofia battait plus fort. L’affaire Mer Obscure n'était pas simplement un dossier parmi tant d’autres, mais un enjeu complexe qu’elle connaissait parfaitement. Elle ressentit immédiatement la lourde pression de la situation. Sans perdre de temps, elle sortit son bipeur du tiroir de son bureau pour activer le plan 4. Elle prit une profonde inspiration, hésita un instant, puis, d’un geste décidé, appuya sur le bouton "valider". Le bipeur se réveilla, clignotant en rouge, suivi de plusieurs vibrations puissantes. Sans tarder, elle alluma son talkie-walkie et prit la parole d’une voix ferme mais résolue :

- “Bonsoir la team des Gardiens, ici Sofia. Activation du plan 4 sur le dossier Mer Obscure, un bateau est parti aux alentours de 20h, avec une arrivée prévue vers 01h du matin. Je compte sur vous, chacun à son poste la nuit va être longue"

Le silence qui s'ensuivit était pesant, chargé de tension. Un coup de tonnerre brisa ce calme lourd, mais Sofia savait que son équipe était prête à tout pour sauver des vies.

- Évelyne, quelles sont les conditions météorologiques sur l’île et en mer ?

- Une grosse dépression qui remonte de la Tunisie vers nous, avec une houle importante.

- Si j’ai bien compris, on sort nos ciré jaunes et nos bottes. Merci, Évelyne. Ilias, Emma, Gabriel, Clara, Opération Œil du Phare, tenez-nous informés dès que vous avez du nouveau. Le reste de l’équipe, rendez-vous au poste 317.

- Reçu cinq sur cinq, dit Emma.

- À vos ordres, chef ! crièrent Gabriel et Clara en chœur.

- À nos jumelles, chef, dit Ilias.

~

L’équipe, réunie au poste 317, prépare les deux véhicules d’intervention en y chargeant des trousses de premiers secours, des lampes rechargeables, de la nourriture, des couvertures et des vêtements secs.

- Sofia !

- Oui, Gabriel, tu as du nouveau ?

- Un bateau type ferry s’approche de la côte, mais il dérive étrangement. Il doit être en grande difficulté à cause de la tempête. Pour l’instant, difficile de définir sa destination exacte. Clara, tu devrais aussi le voir, il est situé sud-est pour toi !

- Affirmatif, je le vois. Il semble se diriger vers la Crique des Rochers Dansants.

- À quelle distance de la côte pensez-vous qu’il est ?

- Je dirais à environ 800 mètres de la côte. Tu confirmes, Clara ?

- Oui, Gabriel, je confirme.

- Parfait, merci à vous deux. Les Gardiens, en route pour la crique.

Les deux véhicules s’élancèrent sur la route sous un orage déchaîné. Les éclairs zébraient le ciel tandis que la pluie battante réduisait la visibilité à néant.

Dans cette tempête furieuse, chaque seconde comptait. Malgré les routes inondées et le rideau d’eau qui noyait l’horizon, ils fonçaient vers la crique, où l’urgence dictait déjà chaque mouvement.

Sur place, l’équipe des Gardiens fouillait sans relâche, tentant de percer le mystère de la disparition du bateau. Le terrain escarpé compliquait leurs recherches. Sofia, longeant un sentier près de l’eau, contourna les falaises pour mieux voir. C’est alors qu’elle distingua l’épave, échouée sur les roches du récif, à près de deux kilomètres du rivage.

- Les Gardiens, le bateau est ici, ramenez le materiel ! cria Sofia

La pluie s’était arrêtée, mais les éclairs fendaient encore le ciel, et le tonnerre rugissait au loin, annonçant de nouvelles précipitations imminentes. L’air était chargé d’embruns et d’une tension sourde, comme si l’orage hésitait à reprendre son courroux. Les gardiens accélérent le pas sur le sable détrempé avec le matirel. La silhouette d’Élise, figée le regard posé près de l’épave.

Le bateau échoué s’enfonçait partiellement, son flanc éventré battu par les vagues. Des morceaux de bois et des lambeaux de filets flottaient encore autour, vestiges d’un naufrage récent.

- Ils sont là ! cria Élise en apercevant les gardiens arriver.

À l’intérieur de l’épave, quatre silhouettes se recroquevillaient contre la coque brisée, tremblantes de froid et d’épuisement. Leurs vêtements trempés collaient à leur peau, et leurs visages portaient les stigmates de la peur et de la fatigue. Un homme, sans doute le plus âgé, tentait de rassurer une jeune femme qui grelottait violemment.

- On va vous sortir de là, assura Sofia en s’approchant prudemment.

L’eau s’infiltrait peu à peu dans la carcasse du bateau, rendant chaque seconde précieuse. Les gardiens s’échangèrent un regard rapide avant de se répartir les tâches.

- Vous pouvez marcher ? demanda Sofia en tendant la main au plus jeune garçon du groupe.

Lui et l’homme plus âgé hochèrent la tête, mais la femme, trop faible, dut être soutenue. Sofia passa un bras autour de sa taille et l’aida à sortir de l’épave. Une fois dehors, le vent tempetueux les cueillit de plein fouet. À quelques mètres, les lumières des lampes torches balayaient la plage : l’équipe des gardiens se tenait prête à intervenir.

- Tenez bon, on y est presque, murmura Sofia.

Bravant les rafales et le sable mouillé, elles guidèrent les naufragés jusqu’à la plage, où l’équipe des gardiens les prirent immédiatement en charge. Couvertures thermiques, bouteilles d’eau, gestes rassurants… Tout était mis en œuvre pour leur offrir un semblant de chaleur et de réconfort.

Alors que Sofia s’éloignait pour retrouver son souffle, elle savait que cette nuit marquerait leur esprit à jamais, aussi profondément que l’orage grondant encore au large. Au loin, sur la plage de la crique, elle distingua Élise et lui fit signe de la main.

- Quel plaisir de te voir, Élise ! Le vol s’est bien passé ? Élise s'approcha, son visage marqué par la fatigue.

- Long et très mouvementé à cause du temps capricieux. Quelles sont les dernières nouvelles ?

- Nous avons secouru trois personnes avec des blessures légères. Trois autres ont été projetées par-dessus bord lors de la tempête. Quant au capitaine et à l’homme qui l’accompagnait dans la cabine de pilotage, nous n’avons aucune trace d’eux.

Un silence pesant s’installa entre elles, tandis que l’ombre de la tempête qui se préparait semblait se rapprocher. Le bruit des vagues se mêlait aux échos du tonnerre lointain. Sofia se tourna vers la mer, le regard perdu, réfléchissant à la situation.

- Il faut qu’on les retrouve, Élise. On n’a pas le droit de laisser ces hommes et femmes disparaître dans la nature. Élise hocha la tête, mais ses yeux trahissaient une inquiétude qu’elle ne parvenait pas à dissimuler.

- Tu crois qu’ils sont encore vivants ? Le vent souffla à nouveau fort, et les vagues s’écrasaient contre les rochers de la crique. Sofia sentit une montée d'adrénaline, une détermination qui la poussait à aller de l'avant, malgré les incertitudes.

- On va tout faire pour le découvrir !

Un quinte de toux se fit entendre au loin, attirant immédiatement leur attention. Leurs regards se croisèrent, et sans échanger un mot, elles se dirigèrent vers les rochers de la plage. Là, un homme était allongé dans l'eau, ballotté par les vagues qui prenaient de l'ampleur avec la dépression orageuse. Sofia s'approcha et aida l'homme affaibli à se relever. Un souffle rauque et haletant s'échappa de sa poitrine, avant qu'il ne tombe lentement à genoux, ses mains tremblantes s'enfonçant dans le sable.

- Vous êtes un survivant du ferry ? demanda Élise, les yeux fixés sur l'homme.

- Sofia, plus habituée à gérer les personnes sous le choc de la traversée, prit la relève.

- Nous cherchons des survivants du ferry. Vous… vous en êtes un ? L'homme marqua une pause, ses yeux vides se posant sur elles, puis il murmura dans un souffle :

- Ce n'était pas un accident. Vous devez… vous devez… Il ne put terminer sa phrase, éclatant en sanglots. Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Sofia, tandis qu’un éclair déchirait à nouveau le ciel. Elle se tourna lentement vers Élise, le regard sombre, et murmura :

Et si ce n'était pas seulement un simple naufrage

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hugito0912 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0