chapitre 4

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— Maman m’a dit que tu voulais me voir, assura Savoir, en pénétrant dans l’atelier d’écriture de son oncle de cœur, Jacob.

L’adolescent s’aventure entre livres, feuillets et objets en tout genre, jonchant les sols. L’atelier de Jacob était aussi bien rangé que celui de sa mère, où peintures et croquis nageaient sur les tapis et recouvraient les murs.

L’homme aux boucles blondes tendit un manuscrit à Savoir. Le garçon l’attrapa et contempla le titre : L’inconnu de la mer. Il tourna une page, avisa les premiers mots du premier chapitre.

« J’entendais une voix m’appelait. Elle provenait de partout à la fois et pénétrait dans mon esprit. J’avais besoin de mettre un visage sur ce son qui hantait mes jours et mes nuits. »

— Un nouveau roman ? fit remarquer Savoir.

Il poussa une porte-fenêtre et se rendit dans un petit jardin où il pouvait voir la place du petit marché d’un côté et la mer de l’autre.

Jacob le suivit avec une théière dans une main, l’anse de deux tasses entre son index et son majeur ainsi qu’une assiette de brioches aux sucres, en équilibre sur son avant-bras.

Autour d’une table ronde, ils s’assirent. Savoir contemplatif de sa lecture, et Jacob, observant son neveu. Il lui trouvait une forte ressemblance avec Raison. Ce grand front qui se fronçait. Ce regard perçant qui analysait la moindre ligne, le moindre sentiment qui jalonnait les mots. Ce tic que de tirer leur lobe d’oreille, puis de jouer avec leur lèvre inférieure quand un passage animait leurs yeux rouges.

— Tu es comme elle, fit remarquer l’oncle, en servant le thé.

— N’est-ce pas toi qui dis que personne n’est pareil ?

— Oh ! Dans le mille.

Jacob étira sa bouche dans un sourire amical, puis changea de sujet.

— Tu aimes ?

— Le début me plaît beaucoup. J’imagine que la fin me plaira aussi. Je crois n’avoir jamais détesté une seule de tes histoires ou même un seul de tes personnages, tonton.

— Ah, si. Souviens-toi, tu détestais le Grand Pordigue dans les fracas d’un tueur sans cœur.

— J’aimais le détesté. On ne pouvait que le haïr.

Savoir zieuta sur la page suivante, puis posa le feuillet épais. Il mourrait d’envie de le dévorer, mais son oncle avait à lui parler, ainsi, il accepta la tasse fumante d’un liquide verdâtre : infusion de verveine. L’adolescent adorait ce parfum noyait dans l’eau chaude. Il faisait surgir un grand apaisement en lui.

— Savoir, commença Jacob. J’aimerais que tu écrives la préface de ce roman.

L’écrivain plongea ses yeux clairs dans ceux de son neveu. Une sincérité en débordait. Jacob avait vu ce garçonnet évoluer, il lui avait offert son premier carnet et son premier crayon, il l’avait guidé dans l’apprentissage de l’écriture et au fil des années, avait décelé une étonnante palette d’émotions. Il y avait chez Savoir, une grande beauté dans les détails de l’âme, même lui ne savait pas écrire de la sorte. Quand l’homme lisait les poèmes de l’adolescent, une boule se formait dans sa gorge et la jalousie naissait, sans véritable dommage. Bien au contraire. Jacob voulait montrer Savoir au monde.

— Une préface ? Moi ? s’étonna le jeune homme.

Il regarda son oncle, une brioche entre les doigts et croqua un bon morceau. Ses joues se gonflèrent, mais son regard restait fixe, comme incrédule

— Tu as bien entendu, poussinet. Quand dis-tu ?

— Tu vois en moi ce que je peine à trouver. Je suis trop jeune. On le remarquera dans chacune de mes lignes, assura-t-il.

— On ne remarque pas l’âge de quelqu’un par rapport à ses lignes…

— .... mais à ce qu’il dit, coupa Savoir. Je ne suis pas sûr d’avoir la maturité nécessaire pour ce travail.

— Je peux te jurer que tu là. Dis-toi que c’est une faveur que je te demande. Non ! Un caprice.

— Toi ? Faire un caprice ? À d’autres…

Le rouquin se détourna de son oncle et visualisa la place du marché en face de lui. Il se laissa absorbé par la réflexion, lorsqu’un jeune homme à la chevelure onyx passa dans son champ de vision. L’inconnu s’arrêta au milieu de la place où quelques vieux jouaient aux boules, et tourna sur lui-même. Au premier abord, le visage pâle du jeune homme parut dur et froid, puis un sourire radieux d’enfant s’ajouta sur sa figure. Sa veste longue et beige ondoyait autour de lui. Elle découvrit sa chemise vert-eau, dont le col se soulevait sous la brise tiède. Cette dernière souffla un peu plus fort et laissa à découvert la courbe de son flanc. Un corps à peine musclé. Un corps changeant, d’adolescent.

Les lèvres de Savoir s’entrouvrirent. Il était sourd aux appels de son oncle.

— Savoir ! Je te parle.

— Hum… Pardon, j’étais ailleurs, dit-il en détournant son regard de l’inconnu.

— J’ai cru remarquer.

Jacob s’amusa de son étourderie et lui sourit comme un vieux lion rit d’un jeune girafon curieux de la beauté.

— C’est ton genre ? s’intéressa-t-il.

— Tonton, nous sommes ici pour parler travail, pas garçon.

— Ah ! Parler travaille, répéta l’homme dans un rire moqueur. Ce qu’il ne faut pas entendre.

Savoir haussa les épaules, indifférent à la remarque. Il n’aimait pas beaucoup parler d’émoi avec qui que ce soit, pas même avec sa sœur, à qui il disait presque tout. Il restait secret dans cette intimité. L’amour, les genres, les émotions, il les apprenait dans les lignes, mais cela ne lui disait rien de les expérimenter dans la réalité. Pas pour le moment. Il se sentait bien trop jeune, puis il avait d’autres priorités, comme écrire. Rien n’était plus merveilleux que d’empiler les mots.

La curiosité d’un corps, sa texture… Il avait bien le temps.

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