Chapitre 6

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Le pas feutré Lueur pénétra dans la bibliothèque, lieu tant apprécié par son parrain et par lui-même lorsqu’il était enfant. Il lui arrivait de jouer à cache-cache avec Versus et Talius, de se perdre derrière les structures en bois et finir par se fasciner pour un livre illustré.

Aujourd’hui encore, il cherchait une merveille.

Après une semaine à poursuivre Savoir pour un peu de son attention, il s’y perdit de nouveau. Il avait tenté tant bien que mal de bavarder avec Savoir, sans jamais y parvenir. Le garçon semblait le fuir ou quelque chose dans ce genre. C’était assez paradoxal. Lui, le prince, fuit par un garçon du peuple. Son intérêt grandissait pour le rouquin.

Qui ne désire pas être ami avec un prince ?

Lueur appréciait cette déconvenue. Cela réveiller chez lui plus de curiosité, plus de férocité à venir à bout de l’ignorance de ce camarade. Qui était donc Savoir ? Pourquoi le fuyait-il ? Et pourquoi lui, s’amusait-il tant à le pourchasser ?

Insatisfait, Lueur le suivit jusqu’aux étagères fournies en vieux recueils. Une odeur de cuir et de papier serpenta entre la boiserie du plafond en caisson et le sol en parqué.

Le rouquin cherchait un ouvrage assidument. Il listait chaque manuscrit en passant son doigt sur le dos.

Lueur l’étudiait, absorbé par les mouvements machinaux de son camarade. Lui-même finit par prendre, au hasard, un texte sur la botanique. Il l’ouvrit et commença à le feuilleter, tout en observant Savoir, qui enfin, avait trouvé le livre qu’il convoitait. Un sourire radieux passa sur son visage, laissant le prince quelque peu béat. Les battements de son cœur résonnaient plus fort dans sa poitrine, comme si cet organe ne répondait qu’au sourire du rouquin.

Savoir n’était pas spécialement beau, avec son nez minuscule et droit au milieu de sa grande figure, mais quand il souriait, s’était à se damner. Lueur adorait le froissement de ses joues et le plissement de ses yeux, si bien qu’il s’enlisait dans cette contemplation. Ce simple mouvement de joie animait en lui une farandole d’excitation mesurée. Mais aujourd’hui, c’était l’intensité du regard de Savoir qui le captivait. Il y avait une telle puissance dans les billes rouges du garçon.

— Comment te résister ? murmura le prince au vide.

Le livre cachant à demi son visage, il dévoila ses dents, et emboîta le pas du rouquin qui venait d’attraper deux autres ouvrages. Il allongeait le pas en direction d’une table au fond de la pièce. Une fenêtre y diffusait quelques rayons de soleil de quoi contempler les lignes dans le recoin sombre où Savoir venait de s’assoir.

Lueur s’arrêta à l’angle de l’étagère du fond, et épia son camarade. Les jambes démesurément longues de ce dernier dépassaient de l’autre versant de la table, alors qu’il était enfoncé dans son siège. Lueur pouffa un rire silencieux, en se jurant qu’un jour il nouerait ses jambes aux siennes.

On dirait que nous avons le même problème, pensa-t-il. Il posa sa tempe contre l’arrête du meuble, sur lequel il se pencha et continua de regarder à la dérobée son camarade le plus saisissant.

Dans son ombre, il ne vit pas Modestie, le gringalet de la classe, toujours devant lui en cours. Le garçon châtain, le nez en trompette et les yeux d’un marron acajou se permit de tapoter un doigt sur son épaule et lui décocha un bref sursaut. Lueur tourna la tête, puis l’inclina si bas qu’un craquement se fit entendre au niveau de sa nuque. Il en ressentit la douleur, vint passer sa main et massa l’endroit, tout en plantant ses yeux dans ceux de la demi-portion.

— Pardon de te déranger dans ta contemplation journalière (il envoya un coup d’œil vers Savoir, plongé dans ses livres), mais j’ai besoin de ce bouquin.

Modestie pointa son index vers un ouvrage coloré, puis sourire naïvement, ce qui fit remonter ses joues et disparaître ses yeux en deux fentes à peine visibles.

— Oh, pardon, vas-y, je t’en prie.

Lueur se décala. Modestie attrapa le livre, puis fit un mouvement de la main à Lueur comme pour lui dire un secret. Le prince se baissa à telle point, que sa position parut risible ; les genoux fléchis, le dos courbé, les épaules voûtées.

— Tu sais, Savoir n’a encore manger personne. C’est vrai qu’il est un peu particulier, parfois bougon. Disons qu’il ne décoche pas un mot, mais il a bon fond. Tu comptes lui parler ou juste le regarder ? C’est un peu suspect …

— Tu as l’air de bien le connaître ? Dis m’en plus, supplia-t-il avec un air de chaton collé au visage.

Modestie souleva un sourcil, à la fois surprit et amusé de voir un prince aux humeurs si faciles.

— J’ai fait toute ma scolarité avec les jumeaux. De la maternelle à maintenant. Ils sont très lumineux et ont fait les écoles les plus prestigieuses de Niriole. Ils sont impressionnants. À l’école primaire, Cécilia pouvait répondre à n’importe quel problème de mathématique et Savoir était capable d’esquisser n’importe qui à la perfection avec un minuscule morceau de fusain. Tu me diras, s’ils sont à Féral ce n’est pas un hasard.

— Impressionnant. Et dis-moi, Savoir, tu m’as fait remarquer qu’il ne mordait pas, alors, est-ce normal qui me fuit à chaque fois que je m’approche de lui ? C’en est tout à fait frustrant. Est-il a c point timide ou est-ce autre chose ?

— Comment le tourner pour ne pas te vexer ?

Modestie repositionna ses lunettes et tritura la manche de sa longue chemise.

— Il ne le fait qu’avec toi. Savoir n’est pas du genre timide. C’est un rêveur. Il a la tête ailleurs.

— Pourquoi, il est si fuyant avec moi ? Je ne comprends pas. Cela ne m’est jamais arrivé.

— Peut-être qu’il est impressionné par ton statu. Il n’y a pas de prince ou de princesse direct dans notre classe... Toi, tu es en liste pour être roi.

— Cela paraît tout de suite plus logique… Et toi, l’es-tu ? Je veux dire impressionné ?

— Heu… Je le devrais, mais non. Désolé. Je suis un habitué des visites à la cour de ta grand-mère, notre reine bien aimée.

Modestie plaqua son livre sur son buste, lança un petit regard vers Savoir, toujours plongé dans ses bouquins, et avoua à Lueur :

— Si tu veux sympathiser avec lui, essaie d’être moins voyant. Tu es trop lumineux pour lui. Trop jovial… Tu souris beaucoup trop pour lui aspirer confiance. Il est plutôt discret comme garçon. Enfin, dans la mesure que lui permet sa taille et son apparence. Plutôt compliqué quand on avoisine le mètre quatre-vingt-quinze. C’est une personne assez sombre, tout le contraire de sa sœur. Cécilia est pétillante. À la rigueur s’est avec elle que tu devrais parler, plutôt qu’avec lui. Il y aura moyen que tu puisses discuter ensuite avec eux. Où va Cécilia, va Savoir. Le frère et la sœur sont souvent ensemble, pour ne pas dire tout le temps. Tu vois ce que je veux dire.

— Je crois bien que oui.

— Tu peux aussi t’assoir à sa table et lire. Il ne te remarquera que lorsqu’il se craquera le corps.

— Le corps ? C’est-à-dire ?

— Il est grand, rester trop longtemps la tête penchée lui fait mal. Enfin, tu es mieux placé pour le savoir. Là, tu dois avoir mal. Déjà, moi, quand je reste le nez plantait dans un livre, j’ai la nuque raide alors vous deux… Je vous plains. Tout recroqueviller, les jambes nouées, la moitié du dos dans le vide. Les chaises sont pour des élèves à taille standard, ria-t-il.

— C’est que tu es un marrant toi. J’t’aime bien. Merci Modestie pour ces conseils. Je vais essayer de les appliquer.

— Je t’en prie se fut appréciable de discuter avec toi. Si je peux rendre service.

Il se détourna du prince et chercha un endroit lumineux, avant de revenir sur ses pas. Lueur regardait à nouveau Savoir le visage peignait d’extase.

Modestie tendit le cou et jeta un regard au prince, un sourire un peu bête suspendus aux lèvres. Il tapota dans son dos. Le prince sursauta un nouvelle fois.

— Corne de velours ! Modestie, tu fais ça à chaque fois.

— Sans le voir, c’est une de mes particularités de surprendre les autres. Juste pour te dire que Savoir est froid au premier abord, mais c’est un chic type. Si tu vas vers lui, livre en main et que tu lui demandes de t’expliquer un passage, il sera hyper attentif.

— J’ai l’air si empoté que cela.

— Bha, sans te mentir, un peu. Tu sembles bien l’aimer, un coup de pouce ça fait toujours du bien. Ma tante dit qu’il faut aider son prochain si nous avons la capacité de l’aider.

— J’ai le sentiment qu’on va être de bon ami, toi et moi, avoua le prince, en pressant une main amicale sur l’épaule frêle de son petit camarade.

— Eh bien, si on doit l’être, soit.

Modestie lui tendit la main. Lueur l’attrapa et la serra.

— Amis, alors.

— Avec plaisir.

Modestie fila, laissant le grand brun derrière son étagère.

Lueur reposa son livre de botanique et chercha un ouvrage de littérature classique qu’il avait déjà lu, une ou deux fois, il le trouva et s’avança vers la table de Savoir. Lentement, il tira la chaise et eu l’audace de s’installer tout proche du rouquin.

Perdu dans sa lecture, Savoir n’en vit que du feu. Il tournait les pages, le dos courbé, la tête reposant sur sa main, les yeux caressant les lignes.

Lueur le dévora du regard et absorba chaque mimique, chaque étincelle dans les yeux du rouquin.

Savoir frottait la pulpe d’un de ses doigts sur la frange des pages. Il avait ce mouvement léger de balancier, à peine remarquable qui montrait combien il était plongé dans un lieu composé de mots et d’images.

Lueur baissa la tête et à intermittence la releva de quoi le scruter encore un peu.

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