La rue pour horizon

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Ellen ne choisit pas ce jour de grisaille humide pour sortir, oh non, elle déteste la pluie. Juste une pulsion furieuse , un besoin viscéral de détruire les murs de son appartement et de son esprit.

La rue subit l’averse, dégouline sous le poids des façades en pierre qui la bordent et qui s’assombrissent en coulures disparates. Les perspectives glissent et se diluent, tordent la réalité, fuient en gerbes sous les roues des bus. La rue ne ressemble en rien à un horizon.

Des plaques bleues fixées en hauteur s’irisent et s’enorgueillissent des noms qu'elles portent : Rue du Bailliage, Rue Lecanuet, Place St Godard, Rue St Patrice. Qui les lit à part les touristes ?

Labyrinthe. Dédale. Le quadrillage de la ville feint de l'ordonnancer alors que les rues sinuent, se dévident en changeant de nom au fil des intersections, se découpent, meurent en impasses ou s'évasent en avenues. Pavés historiques ou rustines de goudron noir.

Ellen avance sous un rideau de pluie, tourne à gauche une fois et passe devant le musée de la Ferronnerie. Goût de fer dans la bouche. Le glissement des voitures sur l’asphalte noir l’accompagne et des parapluies se déplacent autour d’elle à pas pressés. L’eau s’insinue dans son cou.

À l'angle, une petite place découpée en carrés de verdure, ruisselante et luisante.

Ses pensées fuient avec l'eau qui lui coule sur la tête.

Sans surprise, Ellen se retrouve sur l'esplanade du musée des Beaux-Arts qui miroite comme une patinoire en pleine fonte. Les pavés gris et rouges d’ordinaire si bien alignés semblent onduler et se mélanger en une immense flaque rosâtre qui stagne déjà par endroit.

Glisser ? Patiner ? Se noyer ?

Ellen reprend sa déambulation aquatique dans cette ville fendue par la Seine de part en part et dont les rues n’ont de cesse de gravir les collines alentour pour ne pas périr englouties dans le fleuve les jours de forte pluie.

Le pont Corneille apparaît, il enjambe la Seine, enjambe la pointe de l'Ile Lacroix, enjambe le siècle.

Ellen se colle au parapet de ce pont qui pleure d’une rive à l’autre de la ville, écoute le chuintement des voitures, ignore les silhouettes aux démarches courbées, remarque à peine le halo timide des feux tricolores et leurs guirlandes de gouttelettes irisées. Le pont et sa chaussée bossue posée sur d'imposantes piles de métal verdi par le temps.

Ellen respire enfin. Elle regarde la Seine, ses courants inquiétants, ses volutes capricieuses, son murmure captif dans sa course vers la mer.

Ici la rue ressemble enfin à un horizon possible.

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