Réponse au défi "scène dramatique"

de Image de profil de VagabondeVagabonde

Avec le soutien de  Natacha Delorme, Jonathan Aubé, Aventador 
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J'ai tenu ta main pendant trois heures. Trois longues heures sans oser la lâcher. Maintenant, je ne l'ai plus entre mes doigts et ce vide est une sensation étrange. Elle y avait sa place, comme moi à tes côtés. Au début, elle était chaude et moite, elle trahissait ton état fiévreux, mais il y avait de la vie. Tu as même serré la mienne un petit temps, me rappelant que tu étais encore là. C'était un effort qui a dû te paraître énorme. Ça me faisait du bien de savoir que tu étais là et que tu m'écoutais. Et puis, petit à petit, tu as relâché la maigre pression que tu maintenais sur ma paume. Tu n'avais sans doute plus assez de force. Elle s'est refroidie, elle est devenue gelée et elle s'est alourdit sur la mienne. Ce n'était plus qu'un tas de chair et d'os, sans vie. Le bip bip continuel du moniteur s'est arrêté, laissant place à un bruit strident, morbide et effrayant. J'aurais voulu plaquer mes deux paumes sur mes oreilles, mais je tenais ta main. Tu venais de nous quitter, de me quitter.


Et pendant tout ce temps, pendant ces trois heures, je t'ai parlé.


Quelques heures auparavant


-Nous avons fait tout notre possible. Je suis sincèrement désolé.


Il l'avait l'air. Vraiment. Sincère. Mais combien de fois avait-il dû proférer ces mêmes paroles à d'autres personnes dans mon cas ?


-Combien de temps ?

-Quelques heures.

-Seulement ?


Le médecin ne disait rien, mais sa mine attestait de sa compassion. C'était si peu de temps, les larmes ont coulé, jailli serait plus juste. Je ne pouvais les arrêter. Avant même que tu ne meures, je la vivais déjà. Cette douloureuse étreinte qui t'empoigne le cœur. La souffrance du manque. J'ai demandé si je pouvais faire quelque chose. Je devais faire quelque chose.


-Oui, restez à son chevet. Il est sous de forts sédatifs, mais il percevra votre présence et vous entendra. Il a besoin de quelqu'un auprès de lui, parlez-lui. Dans sa situation, c'est la seule chose qu'il est convenable de faire. Personne ne veut mourir seul.

Alors, je suis venue à ton chevet et j'y suis restée jusqu’au bout, assise sur une chaise à côté du lit.

-Je ne sais pas si tu m'entends, je ne sais même pas si tu sens la chaleur de ma paume contre la tienne...

Je ne savais que dire, que raconter, tu allais mourir, je devais être là pour toi, mais j'avais surtout envie que tu sois là pour moi. Quelle pensée égoïste ! J'ai laissé parcourir mon regard sur la pièce, tout pour éviter de voir ton corps avec tous ces tuyaux qui te traversaient de part en part sur le lit d'hôpital. Mon regard s'est posé sur la fenêtre ouverte, il est passé à travers et a contemplé l'extérieur.


-Il fait beau dehors.


Se raccrocher à une réalité. Ne pas sombrer. Pas tout de suite. Rester forte pour toi.

-Un temps comme tu les aimes, avec un ciel bleu, sans nuages et un grand soleil qui fait mal aux yeux. Tu aurais encore insisté pour sortir, on aurait été se promener. Et tu aurais pris ma main comme maintenant. C'est une belle journée et tu aurais maudit celle où il pleut, où il est impossible de sortir sans parapluie. Tu disais toujours qu'au-delà du soleil, elle te rappelait une journée spéciale et tu me regardais avec ce sourire en coin si particulier, tes yeux pétillants de malice.

Je me suis stoppée. Comme j'aurais aimé que tu me sourisses de la même manière. Et miraculeusement, tu le fis, très doucement. Je t’ai caressé doucement les cheveux avant de reprendre le fil de mon récit.

-Tu voulais que ce soit moi qui le dise à haute voix, le formuler avec mes mots. Alors, je disais : « Oui, comme ce jour où on s'est rencontré ». Tu me faisais croire que c'est parce que j'avais une jolie voix et que ça rendait la réalité plus vraie encore, que ce n'était pas un mensonge que tu te livrais à toi-même. Tu as toujours su parler aux filles. Un vrai charmeur. Mais en vérité, tu étais un mec et tu trouvais ça pathétique de le formuler toi-même. Pourtant, c'était quand même toi qui y pensais le premier.

J’ai soupiré doucement, mélancolique de ce temps passé et de ces souvenirs ravivés.

- À croire que cela avait été le jour le plus beau de ta vie. Il n'avait pourtant rien d'exceptionnel. Un début plutôt banal dans la vie de deux personnes. Je t'entends déjà me reprendre : « Non, notre début, pas banal, exceptionnel ». Je crois que je te connais trop. Regarde, j'arrive à maintenir une conversation toute seule en sachant ce que tu m'aurais rétorqué. Rhaa, c'est idiot, je ne me serais jamais imaginée embarquée par l'amour. Certainement pas moi. C’était pour les autres. Pour les filles qui se croyaient princesses et promises à un prince charmant. C’est ce que je pensais. Tu étais le plus romantique de nous deux. Les fleurs, les chocolats, les cadeaux, toutes ces petites attentions, n'ont pas beaucoup d'importance. Ce qui m'importais vraiment, c'est que toi, tu étais là. Ça me rappelle la chanson « J'envoie valser » d'Olivia Ruiz. Je te la chantais à la Saint-Valentin, à mon anniversaire, à chaque fois que tu me faisais un présent, enfin chanter est un grand mot... Tu rétorquais que j'étais une menteuse et qu'au fond, j'étais comme toutes les filles. Je faisais celle qui ne comprenait pas en demandant : « Superficielles ? ». Heureusement que tu ne m'écoutais pas, sinon comment m'aurais-tu demandé en mariage ? Sans bague ? C'était encore une belle journée, à croire que tu faisais exprès que tout ce qui était important pour toi se fasse sous un beau soleil. Ça ne m'aurait pas étonné qu'on aille vivre dans un autre pays. Ici, on ne peut pas dire qu'on soit servi en beau temps. J'ai cru que j'allais faire une crise cardiaque quand tu as posé un genou à terre. Ma première impulsion a d'ailleurs été de te demander de te relever, ce que j'ai fait. Tu étais parti dans un grand éclat de rire. Tu faisais ta demande comme un vrai gentleman. Je n'ai jamais pensé à te dire non. Ça me semblait inconcevable de prononcer autre chose que « oui ». La vérité, c'est que je n'avais pas vu venir que tu me demanderais en mariage. J'étais un peu naïve, sûrement, puisque Léa m'avait dit que tu le ferais. J'étais sans doute la seule à ne pas le croire. Ce n'est pas que je n'avais pas envie de passer ma vie à tes côtés, ça, je le voulais. Mais me marier, tu es sûr que c'était pour moi ? Franchement, tu m'aurais vue, vêtue d'une robe meringue ?


J'ai scruté les détails de ton visage, sentant ton regard poser sur moi. Tu me fixais intensément et il n'était pas compliqué de savoir quel message tu m'envoyais. Tu ne savais pas parler, enfin, je ne savais pas trop si tu en étais capable, mais tes lèvres ont remué. J’ai pu y déchiffrer :

-Tu aurais été magnifique.


J’ai fait une moue dubitative à ce que mes yeux amoureux avaient lu, croyaient avoir lu, mais que je n'entendrais plus jamais.


-On ne le saura jamais. Ni toi, ni moi. Quitte à me marier, c'était avec toi ou avec personne. Heureusement, finalement, que rien encore n'avait été préparé. On était fiancé, c'est ce qui comptait. On avait la belle vie, le temps. Le temps. Oui, jusqu'à aujourd'hui. Quelle idée aussi, d'avoir un accident de voiture. Et maintenant, on est là et le temps s'est écoulé. On avait plein d'années devant nous et tout d'un coup, elles ont disparu et ont fait place à quelques heures. Je ne regrette rien et c'est le plus important. Quand je regarde en arrière, je suis satisfaite de ce que j’ai déjà vécu. Et toi, tu es là et je t'aime plus que tout au monde.

-Je t'aime aussi.


J'avais à peine entendu, en fait, je n'avais sans doute rien entendu du tout. Tu étais au bout de ta vie et n'avais pas la force de prononcer ces quatre mots. Cependant, je suis certaine que si tu avais pu, tu l'aurais fait. Assurément. Je me suis penchée et je t'ai embrassé. Toi, qui souffrais horriblement sur ce lit d'hôpital. J'ai senti ta main devenir froide et j'ai prononcé un dernier mot.


-Au revoir.

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Commentaires & Discussions

Ta mainChapitre8 messages | 6 ans

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