Rester
Quand Anna revint pour de bon, l’automne avait jauni les collines du Connemara.
Les pluies s’étaient faites plus lourdes, le vent plus mordant, mais quelque chose dans le paysage paraissait moins hostile. Ou peut-être était-ce elle, qui n’était plus en guerre contre ce sol, cette mer, cette mémoire.
Elle n’avait rien dit à personne, pas même à Seán.
Elle avait simplement pris le train, puis un bus, puis marché jusqu’au vieux gîte. Une valise cabossée. Un carnet. Et ce dessin, toujours au fond du sac — lui, de dos, face au lac, dans cette posture qui disait tout : l’attente, l’absence, l’amour.
Elle resta d’abord dans le silence. Trois jours. Puis, un matin, elle passa la porte du pub.
Il était là, comme toujours. En train de remplir les verres, d’écouter les histoires qu’il ne croyait plus. Quand il la vit, il ne dit rien. Il la fixa, longtemps, comme on regarde l’horizon sans oser croire au navire.
— Tu es revenue.
Elle acquiesça.
— Je t’avais dit que je reviendrais.
Il sourit. Pas ce sourire qui camoufle la douleur. Celui qui ouvre une brèche.
— Cette fois, c’est pour rester ?
Elle s’approcha. Lentement. Posément.
— Oui. Si tu veux de moi.
Il tendit la main. Elle la prit.
— Viens.
Il l’entraîna dehors. Là où le ciel s’ouvrait entre deux grains. Ils marchèrent jusqu’au vieux promontoire, là où la mer cogne contre la pierre.
Le vent soufflait, les mouettes tournaient comme des prières en l’air. Et là, au bord du monde, il se tourna vers elle.
— Je ne suis pas un homme facile. Je ne crois pas aux miracles. Mais je crois à ça.
Il posa sa main sur sa poitrine, là où son cœur battait vite.
— Et toi ?
Elle sourit, les yeux brillants.
— Moi, je crois à ce qu’on construit. Même sur des ruines.
Alors il l’embrassa. Un baiser qui n’effaçait rien, mais qui disait tout. La peur, la patience, les années, l’attente. Le choix.
Les mois passèrent. Doucement.
Ils réapprirent à vivre ensemble. Avec les silences, avec les souvenirs, avec les gestes maladroits. Ils repeignirent les volets. Ouvrirent les fenêtres. Partagèrent le thé, les nuits sans sommeil, les fous rires volés.
Anna donna des cours d’aquarelle aux enfants du village. Seán agrandit le pub, en fit un lieu de musique, de rencontres, de mémoire.
Un jour, alors qu’ils rangeaient de vieux cartons, Anna retrouva le carnet de croquis. Elle le feuilleta, silencieuse. Puis elle s’arrêta sur une page blanche.
Elle la tendit à Seán.
— Dessine-moi. Comme tu me vois maintenant.
Il sourit, attrapa un crayon.
— Tu es prête ?
— Oui. Pour une fois, je suis exactement là où je veux être.
Et pendant qu’il traçait les lignes de ce nouveau présent, le soleil perça enfin les nuages.
Les lacs n’avalèrent pas la lumière, ce jour-là. Ils la reflétèrent.
Et les falaises, pour une fois, cessèrent de tenir tête au ciel.
Elles lui firent de la place.
Fin.
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