1.7

5 minutes de lecture

J’entendis à peine la porte s’ouvrir. On me criait dans les oreilles.

— Oh, bouge toi. Il faut te lever, on n’est pas au club med.

J’étais complètement dans les vapes. La douleur revint mobilisant toute mon attention et mes souvenirs.

Je me réveillai dans un dortoir de filles. Du linge séchait sur des fils. Personne ne parlait. Chacune était affairée à des activités anodines. Un type piquait le bras d’une fille sans son accord. Elle gesticulait.

— Bouge pas bordel !

— Pitié.

— Voilà, ça y est, tu vois c’était rien.

Je ne me faisais aucune illusion, on la droguait. Il fallait que je me sorte de ce traquenard.

Tu connais Charybde et Scylla ?

Très drôle ! Assise sur mon lit, j’entendais la fille pleurer. Je me levai comme une funambule cherchant son équilibre sur un fil. Je m’approchai près d’un garde assis sur un tabouret en train d’astiquer son fusil à pompe. Je m’approchai du grillage et comme une petite fille j’accrochai mes doigts dans l’entrelacs des fils de fer.

— Excusez-moi.

Il ne répondit pas. Croyant qu’il n’avait pas entendu, je répétai mes excuses.

— Excu….

En guise de réponse, je reçus la crosse de son fusil en pleine figure. Je m’étalais de tout mon long sur la table basse d’une des prisonnières.

— Putain mais fais gaffe à mes affaires, bordel. Regarde ce que t’as fait.

Je me retrouvais à genoux, sonnée, la lèvre et la gencive éclatée. Je vérifiais la solidité de ma dentition. Rien n’avait bougé. La pommette avait amorti le coup. J’espérais que l’os pair ne fût pas cassé.

Bienvenue sur LB50.

Curieusement, cette phrase me donna un coup de fouet. Elle annihila mon apathie. Le ton m’invitait à me battre. Elle supposait que LB50 serait un lieu idéal pour moi si j’affrontais la responsabilité de mes choix.

Les jours passèrent et je commençais à saisir comment le séchoir fonctionnait. Je trouvais que ce terme fonctionnait bien pour ce genre de lieu.

Une nuit, après une énième correction, une fille me tendit un linge pour essuyer ma lèvre ouverte.

— Merci.

— Je t’observe depuis un moment et je te trouve particulièrement courageuse malgré la peur qui te vrille l’estomac.

La surprise dut se lire sur mon visage. Je reconnus la fille qui m’avait porté secours. Elle se méprit sur l’objet de mon émotion.

— Rien ne peut maquiller la peur. Ça transpire malgré soi.

Elle sourit.

— Sylvie.

— Hélène.

— Tu sais où tu es là ?

— Sur LB50.

— Mouais, tu veux un conseil ?

— Pourquoi pas.

— C’est toi que j’ai sorti de la bagnole l’autre jour.

Je ne répondis rien.

— Reste à ta place. Je suis une mule. Ça veut dire que je transporte la drogue pour eux. Ça me permet de profiter de plus d’avantage que celles qu’ils prostituent. Notamment, on ne me drogue pas. Ils ont trop peur que je consomme la drogue que je porte. On me paie et on me nourrit convenablement. Les prostituées elles, elles ont besoin de beaucoup de courage pour affronter la clientèle. Elle peut être violente. Elles reviennent souvent avec des bleus et des marques sur les fesses et le pubis.

— Et ils ne font rien ?

— Tu plaisantes ! Nous sommes que dalle pour eux. Et les putes, il s’en contrefoutent.

Bien entendu, où avais-je la tête ?

— Si tu restes avec moi, tu ne seras pas obligée de te prostituer. C’est la place la plus abjecte. Les mecs ne mettent même plus de préservatifs. Ils te réveillent et te sautent, comme ça en pleine nuit. Ils n’ont aucune pitié pour les putes. Ce qui fait que la peur du viol les empêche de dormir. Les filles ne tiennent pas le coup. Au bout d’un moment, elles en demandent toujours plus et deviennent incapables de baiser. Les clients se plaignent. Alors, ils leur injectent une merde et elles crèvent d’overdose.

Je restais transi de stupeur. Je faisais mine de rien, mais j’étais anéantie. Un mec était sur le point de piquer une nana dans le poulailler. Elle tendit le bras sans broncher. Elle avait abandonné tout espoir. La fatalité avait pris le dessus.

— L’idée principale c’est de rester discrète. Dès que je reviens de livraison, je m’occupe de toi. Ok ?

J’acquiesçais de la tête. Incapable de prononcer un seul mot.

— Tiens v’la mon sandwich, j’en ai pas besoin. J’en ai assez dans le bide pour le moment.

Son regard se fixa sur moi, immobile. Comme si son cerveau avait disjoncté. Elle était partie dans d’autres sphères, dans un autre univers. D’un coup, elle tomba, inerte, les muscles absents. Je l’allongeais sur le dos. Ses yeux restèrent fixes. Sa poitrine ne bougeait plus.

— Hé, criai-je, Sylvie s’est écroulée, elle ne répond plus.

Des gardes accoururent. L’un d’eux se précipita sur elle et se releva aussitôt.

— Putain, c’est pas vrai. Elle est morte. Les sachets se sont encore ouverts, j’y crois pas.

Ils emmenèrent le corps sur une table.

— On se grouille là ! il ne faudrait pas que d’autres sachets éclatent.

Le stress montait. Il se ressentait au travers des paroles.

— File-moi une lame, n’importe quoi !

Ils arrachèrent la chemise. Et là je vis l’insupportable. Le type découpa la paroi abdominale et ouvrit méticuleusement l’estomac avec toute la prudence nécessaire pour ne percer aucun sachet. Le bruit de succion devint très vite insupportable. Le sang coulait abondamment. Malgré le dégoût, je suivis toute l’opération. Le type plongea ses mains dans l’estomac libéré de toutes les couches utiles à la protection du corps.

— Allez ma jolie, montre à papa ce que tu as dans le ventre.

Il fouilla dans les viscères. Un à un, il retira les sachets intacts et mis les autres de côté.

— Eh voilà encore un autre.

Les autres filles regardaient aussi. Face au spectacle, elle avait un drôle de regard. Est-ce l’attitude des filles ou les commentaires du mec qui me poussèrent à m’enfuir ? Je ne sais pas. L’horreur sans doute.

— Eh oh, où tu vas, elle s’enfuit.

Dans la précipitation, ils avaient laissé la porte du séchoir ouvert. Je sortis et courus jusqu’au rideau métallique qui donnait sur la rue.

— Mais arrêtez-la, nom de dieu, elle va réussir à s’enfuir.

Je me faufilais dessous et pris la fuite. Je sprintais jusqu’à la porte grillagée. Elle était fermée par un cadenas. Les types me poursuivirent. Je pris l’escalier sur ma droite et montai les marches. Un grillage empêchait de sauter au dessus du parapet.

— Faut pas qu’elle atteigne le toit.

Je poursuivis la montée. La terrasse était libre de toute protection. Mais un type faillit m’attraper. La seule issue était de monter encore. Mais un type descendait les escaliers.

— Où tu vas là ?

Je reculais, atteignis le parapet et sautai sur des planches. Elles éclatèrent sous mon poids et je m’écroulai un étage en dessous, la cheville en vrac.

— C’est bon, elle est tombée dans l’enclos. Elle ne peut plus nous échapper.

Quand on me ramassa, j’étais à moitié sonnée.

Ils me placèrent dans un autre séchoir, isolée des autres. Sylvie était encore sur la table. Le sang avait fini par coaguler.

— T’as réussi à en sauver combien ?

— Vingt deux.

Deux types s’étaient approchés du corps. Le premier, je ne l’avais jamais vu. Il prit une inspiration et fouilla dans les chairs. Il sortit un dernier sachet.

— Bon ça fait vingt trois. Ça suffit comme ça. Tu te débarrasses du corps, comme l’autre jour.

Annotations

Vous aimez lire arcensky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0