Pour la vie

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Un an. Armand a épuisé sa fortune plus vite que ses forces. Nouveau ponte, nouveau décompte. Deux ans. Les deux ans passent. Et puis les verdicts se succèdent. Trois ans. Cinq ans. L’éternité. Le nénuphar s’est résorbé, il s’est fané, fâché, qu’importe. Armand est condamné. Biologiquement, bien-sûr, Armand va vivre. Armand va écrire des vers, fouler des pierres, serrer des mains. Armand va laver de la vaisselle et réparer des pots cassés.

Mais en réalité, Armand ne s’est jamais senti aussi mort. Parce qu’en réalité, la vie, c’est les lignes, les vignes, la danse, l’errance. C’est cette immensité, c’est cette perdition. La vie, c’est la passion, la vie, c’est l’impatience. La vie, c’est l’océan dans lequel on dérive. La vie, ce sont les verres, les rêves, les flammes qu’on ravive. La vie c’est tout sauf cette pluie. Vivre vraiment, c’est vivre pour un an.

Armand a dû y renoncer. Son mode de vie n’était moralement acceptable que tant que « pour la vie» signifiait pour quelques mois. Mais maintenant, maintenant qu’on l’a condamné à vie, Armand doit redevenir un amant hors pair, un père exemplaire, un auteur sincère. Il est rentré chez lui avec des fleurs si épanouies et une tristesse si authentique que sa femme l’a accueilli à bras ouverts. Laver les coupes sans lever le coude, faire le ménage et rester sage. Armand a repris sa vie et son stylo en main. En vain. Très vite, il s’est lassé de la pluie. Il a replongé dans la vie.

Ça a repris en secret d’abord, puis de plus en plus fort. Armand n’a jamais su dissimuler. La vérité s’écoule de son corps par tous les pores, elle se déverse de sa bouche, elle s’évade par ses oreilles, elle le submerge bientôt. La bruine monotone s’est vite intensifiée. Orage. Rage. Cris. Force. Divorce. Armand est parti. L’orage l’a suivi.

Il a beaucoup plu. Les routes détrempées se déversent jusqu’au canal. Richard en a assez de toute cette flotte. Il dit flotte pour paraitre plus cool, et il dit cool pour paraitre plus jeune. En réalité, Richard a l’âge que son prénom indique, et il est aussi uniforme que celui qu’il porte. Et s’il déclare diplomatiquement en avoir assez des flaques, c’est surtout ces connards-de-SDF-qui-n’ont-pas-bossé-à-l’école-nourris-par-nos-impôts-et-qu’il-faut-ramasser-les-jours-d’hiver-pour-pas-qu’ils-gèlent qui l’agacent.

Justement, en voilà encore un, tout recroquevillé sous un pont. Celui-là, au moins, n’est pas trempé. Moins trempé que moi, songe Richard avec ressentiment. Quel sale boulot ! Il attrape le bougre par les aisselles et le traîne derrière lui sur le trottoir, que la pluie a heureusement rendu plus glissant, simplifiant ainsi sa manœuvre. Richard rentre le corps encore inerte dans un camion en partance pour un centre chauffé par nos impôts, se demande un instant s’il n’est pas mort. Il se penche pour écouter son souffle, mais des effluves d’alcool le font reculer vivement. Ils verront bien là-bas. Un papier chiffonné tombe de la poche du SDF, que Richard ramasse puis déchiffre plus par réflexe que par curiosité. Sourire méprisant. Poubelle. Ces clodos n’ont vraiment plus toute leur tête. Le ciel crache. Quelle ineptie !

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