Tombe la neige

22 minutes de lecture

Natacha

Le cri qui fait écho de l’autre côté de la porte m'arrache un large sourire. Les gazouillis de Marina s’accentuent, accompagnés par une musique de noël qui passe à la télévision en arrière-plan. Avec Zoey, nous échangeons un regard complice. Ses yeux mouillés et rougis laissent un peu de place à la surprise et la tendresse. Quant à moi, je suis partagé entre un millier d’émotions que je ne saurais décrire. Je ne me sens jamais plus détendue que lorsque Zoey est auprès de ma fille, tendre avec elle et aussi proche que si elle faisait partie de la famille

— Dis donc, toi, tu n’es pas censé être au lit ? 

Une fois à l’intérieur, la première chose qui m’interpelle, c’est l’odeur inhabituelle qui titille mes narines. Un léger voile bilieux flotte au-dessus de nos têtes, comme si quelqu’un avait fumé. Je fronce le nez pour renifler mais Marina vient s’accrocher à ma jambe, couche à l’air, alors que je tente de rester sérieuse. 

— Maman, tu souris ! T’es pas énervé ! 

Elle se met à rigoler avant d’apercevoir Zoey. Elle s’approche d’elle en sautillant, bras en l’air. 

— Zou ! 

Zoey laisse tomber son sac sur le sol et se penche pour attraper ma fille. Emilie fait son apparition, sortant des toilettes, et me lance un sourire muet. 

— Désolé, souffle-t-elle, impossible de la coucher. 

— Tu l’as bordé à quelle heure ? 

Elle hausse les épaules en indiquant qu’elle n’a pas regardé. Elle n'a pas besoin d’en dire plus pour me prouver qu’elle ment. Elle garde la tête haute pour montrer une fausse assurance, mais je perçois distinctement la lueur fautive qui traverse ses pupilles océan.

Je l’ignore volontairement, et découragée par son comportement.

— O.K, passe une bonne soirée. 

Elle reste plantée quelques secondes avant de réagir et partir. Je referme la porte à clé dans un soupir de soulagement et me dévêtit de mon manteau. 

— Tu es trop belle, Zou ! 

Le petit rire de Zoey s’engouffre chaudement en moi. La voir avec Marina me rends bien plus heureuse que je ne le devrais. Ce n’est pas bien d’espérer à ce point, et je le sais pertinemment. Mais je ne peux pas m’en empêcher. C’est plus fort que moi. 

Les filles me rejoignent dans la cuisine pendant que je me sers à boire. Marina tend la main vers moi et je viens l’embrasser en attrapant Zoey par la taille pour me rapprocher d’elles. 

— Tu n’as pas fait de bêtises, au moins ? 

Elle secoue le visage avant de glisser son pouce dans sa bouche. 

— Zoey va passer le weekend à la maison. Tu es contente ? 

Marina secoue les jambes en hochant la tête. Puis elle demande à Zoey de la redéposer. La brune s’exécute et nous observons ma fille se diriger vers le canapé pour s’y allonger et regarder la télé. 

— Elle est beaucoup trop adorable. 

Zoey se rapproche de moi et dépose sa joue contre mon épaule. Je dépose un baiser contre sa tempe. 

— Désolé pour ce soir, je n’avais pas prévu que ça se passerait ainsi même si c’était assez prévisible. 

Elle redresse le visage pour me regarder puis vient glisser la pulpe de son doigt dans le creux de ma poitrine. 

— Ce n’est pas grave, il y d’autres manières et d’autres endroits pour faire ça. 

Mon cœur rate un battement rien qu’à l’idée de m’imaginer la prendre dans un endroit incongru : les bureaux, l’ascenseur, sous la douche... Je commence à regretter que la soirée ne se soit pas terminée comme je l’imaginais. Pour une fois que je me laissais aller avec une femme, voilà que c’est interrompu. 

Quel enfer ! 

La main de Zoey trouve plus librement ma peau sous ma chemise et ses lèvres s’accaparent des miennes, chaudes et suaves. Notre baiser devient plus intime et sensuel, bercé par les petits rires joyeux de ma fille qui nous empêche d’être totalement impliquées. L’un de ses rires se fait plus rauque, et je ne peux m’empêcher de rire à mon tour, rapidement suivi de Zoey. 

Je m’excuse dans un chuchot et rejoins ma fille dans le canapé pour la prendre sur mes genoux et la câliner. 

— Pourquoi tu ris, mon bébé ? 

— Le bonhomme fait des bêtises rigolotes. 

Zoey nous rejoint après s’être débarrassé de son manteau. Marina s’allonge contre ma poitrine et glisse son pouce dans sa bouche. Son petit cœur contre le mien ralentit tout doucement au fil des minutes avant que je ne m’aperçoive qu’elle s’est endormie, son doudou pressé contre elle. Je jette un œil à Zoey, qui somnole également contre le bras du canapé.  

Je ne peux m’empêcher d’étirer un sourire. Elles se ressemblent plus que je ne l'espérais et Zoey semble s’être déjà habituée à mon appartement. Un peu comme si elle avait trouvé ses marques.

Décidément, pourquoi tout ne se passe jamais comme prévu ?

 J’en profite que les deux filles soient à moitié endormies pour aller coucher la plus jeune et prendre une douche.  

L’eau qui s’écoule sur mes épaules et mon dos me rappelle tout le travail qui nous attend à Feminist&Co. Je me rappelle d’ailleurs que si je veux profiter de la présence de Zoey, c’est ce weekend-ci, parce qu’après, elle sera probablement débordée et épuisée. Dani m’a prévenu que plus les semaines passeraient, plus la pression monterait. Même si on en est qu’à la préparation, le temps passe plus vite qu’on ne le croit. 

Lorsque je suis de retour dans mon salon, je suis surprise de retrouver Zoey assise, complètement réveillée, et sa tablette graphique dans la main. Je fronce les sourcils et m’approche avant de la voir esquisser les traits volumineux d’un dessin pour notre projet.  

— Sérieusement, dis-je dans un ricanement, tu devrais aller te coucher. C’est le weekend. 

Elle fait la moue et secoue le visage. 

— Je ne suis pas fatigué, répond-t-elle.  

Je fronce les sourcils puis dépose la serviette qui tenait mes cheveux sur le dossier d’une des chaises de la salle de vie. J’attrape doucement la tablette de Zoey pour la lui retirer, la poser sur la table et approche mon visage du sien. 

— Je croyais qu’on avait d'autres choses de prévues ? 

Je glisse mes deux mains dans les poches de mon jogging et me penche un peu plus volontairement pour laisser à Zoey le plaisir de voir mon tee-shirt tomber et apprécier la vue. Elle comprend immédiatement de quoi je parle : elle étire un petit sourire et s’appuie d’une main sur le dossier pour se redresser sur ses genoux. Ses lèvres pulpeuses glissent contre les miennes et sa main retrouve mon cou avec attente. 

— Personne ne va nous déranger ? chuchote-t-elle entre deux baisers. 

J’étire un sourire contre sa bouche avant de m’accaparer ses lèvres lascivement, les deux mains pressées contre ses hanches. Le tissu de sa robe frotte légèrement contre sa peau, remonte pour laisser apparaître ses cuisses pâles. Mon corps frissonne lorsque sa main trouve son chemin sous mon tee-shirt pour remonter ma colonne vertébrale. Un long soupir m’échappe, désorientée et désireuse.  

— Nat... 

Son corps frissonne, elle aussi, puis ses mains se font moins assurées. J’en profite pour détourner son attention d’un baiser passionné avant de la plaquer contre moi. Sa poitrine frôle la mienne puis, rapidement, je me débarrasse de sa robe. Mon cœur rate un sursaut lorsque je découvre une poitrine dénudée, sans aucun tissu pour le protéger, laissant apparaître deux seins ronds, des pointes rosées et figées n’attendant qu’à être goûter. Elle s’écarte pour me regarder. Ces yeux sont emplis d’un désir démesuré, tandis qu’elle se mordille la lèvre inférieure.  

Soudain, l’atmosphère change... Elle devient plus douce, mais aussi plus étrange. Lorsque nos lèvres se retrouvent, elle me déshabille de mon tee-shirt, retrouvant peu à peu la sensation que j’avais ressentie des années auparavant, lors de ce weekend qu’on avait passé ensemble. Quelle ironie... Cette fois-ci encore, on recommence. 

Et si elle partait de nouveau ? Si elle disparaissait pour je ne sais quelle raison ? 

— Nat... bougonne Zoey. 

Son interpellation m’ôte de mes pensées : je reprends mes baisers, irritée de réfléchir autant dans un moment pareil. J’aurais tout le temps d'y penser plus tard. Pour le moment, c’est son corps et mon attention qu’elle réclame éperdument. 

Je glisse mon bras autour de sa taille et l’allonge sur le canapé. Elle courbe le dos lorsque je me glisse entre ses cuisses et vient embrasser sa peau laiteuse. Elle rejette le visage en arrière, glisse une main dans mes cheveux, appuie plus fort et râle quand elle se rend compte que je ne suis pas encore décidé à satisfaire ses désirs. Elle se retient de gémir les lèvres pincées, par respect pour ma fille qui dort à côté. Amusée, je remonte ma bouche sur son ventre plat, sa poitrine et mordille doucement le téton de son sein. Elle lâche un soupir, et son second se fait plus précipiter lorsque je caresse l'intérieur de sa cuisse du bout des doigts. Je remonte jusqu’à sa bouche pour sceller nos bouches humides. Nos langues se précipitent l’une contre l’autre et je profite de l’avoir fait dériver pour couler mon majeur sous le tissu de sa culotte. Ses jambes se contractent autour de ma taille mais elle se rend compte que je tarde encore l’instant, que je ne suis pas encore décidée... 

— Bon sang, Nat... 

J’étire un large sourire et glisse mes lèvres dans son cou. 

— Oui ? 

La poitrine relevée, j’y dépose des baisers par-ci, par-là, mon doigt toujours à l’orée de sa virginité, glissant sur ses lèvres humides sans la pénétrer. Le cœur palpitant, elle parvient à rouvrir les yeux et me lancer un regard noir : 

— Je t’en supplie, Nat... marmonne-t-elle. 

Je mords ma lèvre inférieure. Mon corps bouillonne de l’entendre me supplier. Alors, seulement, je l’embrasse et, dans un geste lascif, je plonge mon index jusqu’à son clitoris. Je la pénètre assez lentement pour voir son joli minois rougir de bonheur, son corps se contracter de plaisir. A l’intérieur, je la retrouve comme à l’époque : étroite, chaude et bouillonnante. Elle gémit mon nom jusqu’à en perdre son souffle à mesure que j’accélère mes gestes. Mon doigt s’accapare d’elle : son corps, sa peau, je vogue dans sa chair jusqu’à son mont de Vénus ; je me retire puis je reviens, dans une longue mélodie sensuelle. Perdue dans ses soupirs, le visage dans son cou, je ne peux m’empêcher de frissonner de surprise lorsque ses bras encerclent mes épaules pour venir m’éteindre. Du plus loin que je m’en souvienne, Zoey n’a jamais été câline ou affective, et encore moins au lit. Le weekend que nous avions passé au lit, plus jeunes, était plein de saveur, de douceur, d’émotions fulgurantes. Mais pas une seule fois elle ne m'avait étreinte de cette manière pendant l’acte... Un peu déboussolée, je n’en mène pas large et retrouve mes esprits fugaces. Mes doigts s’humidifient à mesure que les minutes s’écoulent et je sens Zoey qui se contracte contre moi. Dans un hoquet de plaisir, elle relâche un petit cri que je viens aussitôt taire en l’embrassant. Le visage rejeté, elle s’arque brusquement, resserre les cuisses autour de mes hanches et plonge son visage dans ma nuque. Puis, dans un soupir ultime et sensuel, elle jouit contre mes doigts. Elle reste collée à mon corps quelques secondes avant de me laisser reposer contre le canapé et me regarder. Je fronce les sourcils lorsque j’aperçois son regard mêlé de tristesse et d’incertitude. 

— Tout va bien ? 

Elle hoche la tête puis cligne des paupières. Les larmes se sont évaporées pour ne laisser place qu’à ses yeux miroitants de désir, assouvis par notre émotion commune. Un peu déboussolée par sa réaction, je tâche de ne rien démontrer et me redresse, les membres endoloris par la position peu adéquate. En jetant un œil à la fenêtre, je m’aperçois que des petits flocons blancs tombent du ciel. 

— Zoey, il neige. 

Surprise, elle se redresse sous moi pour jeter un œil au-dessus de son épaule. Un large sourire effrite ses lèvres que je viens embrasser. Sa peau frissonne sous mon contact et sa bouche répond à la mienne. 

Dehors, la neige s’écoule à tout petit flot, formant rapidement une couverture enneigée. 

*** 

— Natacha, tout se passe bien pour toi ? 

Je lève les yeux et souris à Christa qui me tend un café. Je l’accepte allègrement malgré que ma fatigue appuie nerveusement sur mes cernes. 

— Ça va, dis-je. 

Elle approche la chaise du bureau vide à côté du mien et s’y installe pour se rapprocher. Son calme m’apaise instantanément et je suis réconfortée par le regard maternel qu’elle m’offre : 

— Tu peux le dire que tu es fatigué, souffle-t-elle dans un sourire, la charge de travail est astronomique depuis ces derniers jours et il faut avouer qu’on t’a balancé dans le bain sans t’apprendre à nager. 

Nous échangeons un rire significatif de notre fatigue commune. 

— C’est vrai, je ne pensais pas que ça demanderait autant de travail un partenariat avec une telle marque. Mais je ne suis pas la seule à être épuisée. 

Je jette un regard circulaire dans l’immense pièce : Dani travaille d'arrache pied pour m’apprendre le métier et, alternativement, faire son boulot. Les autres en font tout autant – les allers et retours sont incessants. Zoey aussi – la dernière fois que je l’ai vu en tête à tête, c’était il y a une semaine, le weekend dernier. Depuis lundi, on la retient tardivement aux bureaux, il m’est presque impossible de la croiser. 

— Mon cœur ? Lance Dani, tu peux m’apporter à manger, s’il te plait ? Je crève de faim. 

Christa me souhaite bon courage avant de partir servir sa bien-aimée. Quant à moi, je retourne à mes calculs et mes analyses. Ce n’est qu’une heure après, quand mon cerveau ne réfléchit à plus rien d’autre qu’à mon plat, que je m’arrête un quart d’heure avant l’heure de pointe. 

Je me rends dans la salle de réunion et me laisse tomber sur l’une des chaises, une bouteille de soda à la main. Je la débouche dans un soupir avant d’en boire une goulée. 

— Demande des congés si tu en as besoin. 

La voix de Zoey pénètre chaque centimètre de ma peau. Elle se prépare un café, son visage couvert par ses cheveux ébènes qui ont poussé jusqu’à ses épaules. Elle me jette un regard en avalant une gorgée de son café. 

— Ça ne fait que deux mois que je travaille ici, je ne vais pas partir en plein blocus. 

Elle hausse les épaules puis s’installe à côté de moi. Sa cuisse frôle la mienne par inadvertance mais elle ne semble pas s'en apercevoir.  

— Tiens, parfait ! S'écrit une voix rocailleuse. 

Un homme apparaît, les cheveux totalement bleu de nuit, et une pochette sous le bras. Il referme la porte brusquement puis dépose ses mains sur la table dans un soupir. 

— Zoey, soupire-t-il, ou tu étais jeudi dernier ? 

L’expression de la brune se fait soudainement innocente. Elle se fait toute petite et détourne le regard. 

— Zoey... gronde le garçon. 

— Ça va, Zuco, soupire-t-elle, j’étais chez moi. 

Il croise les bras, sourcils froncés. 

— Tu as des rendez-vous que tu ne peux pas te permettre de rater, Zoey. C’est pour ton bien qu’on te force à faire ça. 

— On pourrait en parler en privé ? 

— Non, Zoey, parce qu’apparemment te parler en privé ne fonctionne pas. Tu sais pertinemment que les interviews approchent, si les journalistes trouvent que... 

Zoey se redresse subitement. Elle quitte la salle comme une furie, sans un mot et claque la porte. Zuco me lance un regard, irrité. 

— Elle m’épuise, soupire-t-il, je t’en supplie, dites-lui d’aller voir son psy.  

Puis il s’en va, tout naturellement. Comme s'il n’y avait aucune importance au fait qu’il m’ait annoncé que la femme avec qui j’ai couché voyait un psy. 

Un psychologue...

Plus tard dans la soirée, Marina dans mes bras qui regarde la télévision, j’en parle à ma mère avec qui je suis au téléphone. Elle est en vacances à Tahiti mais elle n’oublie jamais de prendre de nos nouvelles. Lui demander conseil m’aide à ne pas précipiter les conclusions. 

— Voir un psy ne veut pas dire qu’elle est forcément instable, ma chérie. 

Sa réponse me laisse perplexe. Je sais que Zoey est loin d’être la femme la plus stable que je connaisse, mais et si c’était plus grave qu’il n’y parait ? Ça expliquerait probablement son détachement et ses réactions. 

— Maman, tu ne la connais pas. On parle de Zoey Daniss, quand même. 

— Oh, celle-là... soupire-t-elle. 

— Tu l’as connue ? m'étonné-je. 

Elle reste silencieuse un instant avant de soupirer. Le bruit des bateaux se fait entendre en fond sonore. 

— Oui, plus ou moins. Elle venait souvent me voir à mon cabinet pour soigner des plaies récurrentes. Elle faisait du rugby féminin, si je me souviens bien. Je ne serais pas étonnée qu’elle soit instable avec tous les coups qu’elle recevait. 

Je fronce les sourcils. Il n’y a jamais eu d’équipe féminine de rugby, au lycée. Mais je ne suis pas sûre que ce soit un point important à signaler à ma mère après toutes ces années. 

— Quels genres de blessures ? 

Elle se met à rire puis s’arrête en s’excusant, m’expliquant que quelque chose à la télévision l’a fait rire. 

— C’était souvent des blessures ouvertes, dit-elle un peu ailleurs, j’ai même dû lui replacer l’épaule, un jour. Elle pleurait tellement, j’avais mal pour elle. Pauvre petite. 

Ouais, pauvre petite. Zoey cache plus de choses que je ne le pensais et je suis presque sûre que ça à voir avec le journal qu’elle ne veut pas que je lise. Je lui ai promis de ne pas le faire, mais je ne suis pas sûre de pouvoir tenir cette promesse longtemps... Ce n’est pas comme si elle allait l’apprendre, de toute façon. Et puis... 

— Nat ? 

Je sursaute lorsque je vois Emilie sur le seuil de ma porte, le double des clés entre ses doigts. Merde ! Je me redresse et lève la main pour la faire attendre : 

— Maman, je dois y aller. 

— Vas-y, vas-y, je t’aime fort ma chérie. 

— Moi aussi, passe de bonnes vacances. 

Je raccroche et dépose Marina sur la place d’à côté pour rejoindre la cuisine et me servir un verre de thé glacé. Emilie, silencieuse, m’y rejoint. Puis elle lance : 

— Je dois te parler de quelque chose. 

Je fronce les sourcils, irritée d’avance par le sujet.  

— De quoi ? 

— De ça, d’abord. 

Elle plonge la main dans son grand sac à main et en extirpe une pochette en carton qu’elle glisse jusqu’à moi. J’y jette un œil avant de voir l’intitulé de l’école dans laquelle je veux mettre Marina. Seulement, cette école est très chère et je n’ai pas encore les moyens de me la payer. Je lui en avais parlé quelques fois, et je lui avais dit que ça ne servait à rien de chercher. Mais je remarque, une fois de plus, qu’elle ne m’écoute pas. 

— Je t’ai déjà dit que c’était trop cher pour moi. 

Elle me rejoint de l’autre côté du bar et s’empare du papier pour tourner quelques pages. Elle s’arrête sur une en particulier puis pointe du doigt l’emplacement dans lequel je lis bourse.

— Une bourse ? 

— Oui, une bourse, répète-t-elle, qui s’élève à presque 1500 dollars par mois. C’est super, non ? 

J’ouvre la bouche sans savoir quoi dire. C’est tellement irréaliste à mes yeux que j’en viens à me demander si ce n’est pas un coup bas de sa part. Peut-être qu’elle veut se venger de mon rapprochement avec Zoey ? Je ne comprends pas pourquoi elle cherche à m’aider alors qu’elle est toujours contre moi ou sur mon dos. 

— J’ai fait des tas de recherches et je n’ai jamais eu vent d’une quelconque bourse. Tu as fait quoi pour l’avoir ? 

Emilie s’écarte et soupire. 

— Absolument rien, promet-t-elle, j’avais juste des connaissances du collège qui travaille là-bas et je me suis renseignée, c’est tout. 

Je pince les lèvres, perplexe et pantoise.  

— Arrête, Nat... murmure-t-elle, je sais que je n’ai jamais été une bonne amie, que j’ai toujours été méchante mais j’essaye vraiment de changer. Pour toi. 

Je lève les yeux en l’air et lâche un rire qui signifie qu’elle se paie ma tête. Ce n’est pas comme si elle était cette fille méchante depuis le lycée, après tout. Pourquoi vouloir changer si subitement quand il y a encore un mois, elle imitait puérilement le bégaiement d’une femme ? 

— Tu ne changeras pas en un claquement de doigts, Emi, tu t’en rends compte, quand même ? 

Elle se pince les lèvres puis se rapproche de moi, du feu dans les yeux. Elle pointe son doigt contre mon épaule et n’hésite pas non plus à me pousser légèrement, de sorte à ce que je comprenne son petit manège : elle a le pouvoir si elle veut l’avoir. Certes, mais jamais je ne me laisserais influencer par elle. 

— Tu n’es pas chier, tout de même, grince-t-elle entre ses dents dans une certaine retenue, je n’ai rien dit quant au fait que j’attends toujours cet appel de toi, et aussi de notre rendez-vous. Et d’ailleurs, tu penses peut-être que je ne changerais pas mais tu pourrais bien être surprise. 

Elle recule, se mord la lèvre inférieure puis se retourne lorsque quelqu’un toque à la porte. Et merde... Je jure contre moi-même et pince les lèvres lorsque Marina quitte le canapé pour se précipiter jusqu’à la porte. Zoey apparaît, enjouée et élégamment vêtue. Emilie la regarde, puis se tourne vers moi et secoue le visage, la mine fermée. 

— Très bien, soupire-t-elle, à priori, je ne suis pas la bienvenue ce soir. 

Un faible sentiment de culpabilité s’empare de moi. Je vois bien qu’Emilie essaye de faire des efforts, mais la jalousie ronge son visage sans qu’elle ne parvienne à le cacher. De plus, je trouve ça beaucoup plus choquant qu’elle doive changer sa méchanceté plutôt qu’un défaut banal, comme tout le monde. 

Elle extirpe un paquet cadeau de son sac et le tend à Marina. Celle-ci reste perplexe un instant avant d’attraper le paquet et de me regarder, perdue. 

— Joyeux anniversaire, souffle-t-elle à ma fille. 

Elle se retourne vers moi et vient déposer sa main sur ma joue, comme si elle s’apprêtait à m’avouer l’un de ses plus grands secrets. Au lieu de quoi, elle s’approche de mon visage jusqu’à ce que nos nez se frôlent, et me marmonne froidement tout près de mes lèvres : 

— Je vais te le demander une dernière fois : appelle-moi. 

Un frisson parcourt mon échine. Pas un frisson agréable ; bien au contraire. J’ai l’impression qu’elle me menace. Et ça ne me plait pas du tout. Je la repousse d’un geste brusque de l’épaule et rejoins la porte d’entrée. 

— Entre, ordonné-je plus froidement que prévu à Zoey. 

Elle entre à l’intérieur, toute petite et invisible. Elle ne sait pas où se mettre et Marina qui vient l’étreindre n’arrange pas du tout la situation. Emilie passe devant elle, le regard hautain. 

— Amuse toi bien, Zoey. 

Zoey lui rend son regard, moins féroce mais pas soumise non plus. A mon tour, je lui balance l’un de mes regards les plus meurtriers et claque la porte derrière elle une fois qu’elle a passé le palier. La main serrée sur le poignet, je me retiens de ne pas tout faire valser. 

Pour qui se prend-elle, au juste ? Parce qu’elle est ma meilleure amie, elle se croit tout permis ? Elle se pense autorisée à gâcher chacune de mes relations ? Chacun de mes choix ? De remettre en doute mes pensées et mes opinions ? Emilie est un désastre. Elle dit vouloir changer, mais ça fait des années qu’elle ne pense qu’à elle, à sa petite personne. C’est réaliste, et elle le sait. Seulement, elle ne sait pas quoi faire pour vivre seule alors elle vient empiéter sur mon monde et mon univers. 

— Maman ? 

Je reprends une longue inspiration et me retourne. J’étire un sourire lorsque le tableau que m’offre ma fille et Zoey remplace toutes mes colères et mes appréhensions loin derrière moi. Ma petite brune échevelée tient la main de Zoey comme à une encre. Parce que je sais pertinemment qu’elle voit en Zoey une mère, et je n’ose pas à chaque fois qu’elle me le dit de rétorquer. En parler à Zoey me fiche une peur bleue. Je n’ai pas envie de l’énerver ou pire, de la faire fuir. Marina finit par retourner dans le canapé et déposer son cadeau dans un coin de la pièce, là où elle veut absolument qu’on mette le sapin. 

Zoey en profite pour se rapprocher de moi et prendre mon visage en coupe. Ses mains chaudes réchauffent mon visage et sa bouche vient tendrement se poser sur la mienne. Un simple baiser chaste, tout ce qui suffit à faire sauter mon cœur de joie. 

— Tu sais... propose-t-elle timidement, je n’ai pas l’habitude de faire ça mais si tu as besoin de parler, je suis là. 

Je fronce les sourcils, étonnée par sa proposition. 

— Je pensais que c’était juste pour une nuit et que tu ne voulais pas de relation ? 

Elle pince les lèvres puis hausse les épaules avant de lancer, l’air de rien : 

— C’est bientôt Noël et je me sens terriblement seule... 

Un sourire étire mes lèvres alors que je lève les yeux en l’air. Je glisse mes bras autour de sa taille et vient me coller à elle. 

— Décidément, tu ne sais pas ce que tu veux, n’est-ce-pas ? 

Elle hausse les épaules à son tour, un sourire taquin dessiné sur son visage. Marina vient nous séparer pour s’accaparer toute l’attention de Zoey sur elle. Étant donné que c’est son anniversaire, elle m’a suppliée de l’inviter au moins pour la soirée. Avec la jolie brune qui s’occupe de ma fille, je retrouve un moment rare que j’avais perdu. Simplement me prélasser sur mon fauteuil, à les observer, sans rien faire en retour.  

Mon bonheur s'accroît rien qu’en les observant, un thé fumant à la main, et un roman sur ma tablette de l’autre. Marina n’aime pas spécialement les grandes fêtes, et encore moins quand il y a beaucoup de monde. Par contre, qu’on la chouchoute, qu’on la complimente, ça, elle adore. Et elle plonge dans le bonheur face à Zoey qui ne fait que ça. 

Zoey lui propose d’abord de l’aider à s’habiller. Étant donné que Marina est réticente à rester loin de moi, même à un mur d’espace, elle se met en tête d’amener ses plus beaux vêtements jusqu’à son placard entier. A chaque aller, elle me lance un regard comme pour me demander si elle a la permission, parce que c’est comme ça que je l’ai élevée. En temps normal, ça m’aurait embêté, mais Zoey m’assure qu’elle l’aidera à ranger. Comme c’est le troisième anniversaire de ma fille, je la laisse faire tout ce qu’elle veut. C’est une enfant incroyablement sage, serviable et bien élevée. Je pourrais probablement tout lui céder... 

— Cette robe est magnifique, commente Zoey, celle-là aussi. 

Marina, perdue dans la masse de tissu, se redresse et attrape de ses petites mains boudinettes la robe bleu nuit que pointe Zoey. 

— Je veux mettre ça alors ! 

Zoey rit et l’aide à s’habiller. Je l’observe prendre garde à ne pas emmêler ses cheveux, à ne pas la blesser en refermant la fermeture ou lorsqu'elle l’embrasse sur la joue. Après ça, elle lui fait essayer des masques après que la petite brune l'ai supplié. Elle le fait avec elle et rigole en lisant des livres humoristiques. Puis Marina l’aide en cuisine, plus assise sur le plan de travail qu’à réellement l’aider. Mais l’attention est là.  

Après une demi-heure, je les rejoins et glisse entre les petites jambes de ma fille pour l’embrasser sur le visage. Son rire cristallin résonne en moi et fait mon bonheur. Le regard de Zoey sur nous ne fait que renforcer cette sensation. J’aime baigner dans cette petite bulle qui nous entoure, elle, Marina et moi, même si je sais qu’elle ne durera pas. 

— Zou je peux t’appeler maman pour mon anniversaire ? 

Je me redresse, choquée par la demande de ma fille. Zoey me lance un regard interrogatif mais, contrairement à ce que je pensais, elle ne s’énerve pas et se rapproche de nous, réellement inquiète. 

— Tu te sens seule, ma chérie ? 

Marina, qui joue avec la spatule en bois, secoue le visage, les yeux baissés. 

— Maman et moi on veut dormir avec une autre maman, comme ça on sera plus toutes seules. 

Elle croise ses bras autour d’elle en riant joyeusement. La voir autant marquée par l’absence d’un second parent me brise le cœur. Je détourne le regard, sans savoir ni quoi dire, ni quoi faire. 

Zoey reste silencieuse un long moment, comme plongée en pleine réflexion. Ce n’est qu’après quelques secondes que je m’aperçois de sa main tremblante tenant la cuillère. J'ouvre la bouche, prête à passer cette scène, mais elle prend la parole avant : 

— Je ne suis pas une très bonne maman, tu sais. Je suis encore un peu une enfant dans ma tête. 

Je suis d’abord étonnée qu’elle ne refuse pas immédiatement. La connaissant, je n’aurais pas pensé un seul instant qu’elle y réfléchirait ou qu'elle en supposerait même la possibilité. 

— Maman aussi ce n’est pas une maman parfaite mais je l’aime. Je t’aime aussi, Zou. 

Zoey redresse le visage subitement, essoufflée. Inquiète, je m’approche d’elle avant de sursauter lorsqu’elle se met à sangloter, les lèvres tremblantes. 

— Je suis désolé, dit-elle en se détournant. 

Je glisse mes mains autour de sa taille et la fait pivoter pour la serrer contre moi. Presque naturellement, son visage se cale sur mon épaule et ses mains contre mes côtes. 

— Maman, je fais beaucoup pleurer les femmes... 

Zoey laisse sortir un rire qui est aussitôt accompagné du mien. Puis, après un long moment bercé par les reniflements de Zoey, elle s’approche de Marina et la prend dans ses bras. 

— Tu peux m’appeler maman autant que tu veux, mon cœur. 

Je ne sais pas laquelle de Marina et moi est la plus heureuse, mais à ce moment-là, quelque chose de fort se cristallise dans mon corps. Mon palpitant s’accélère délicatement, chaud, désireux, et le regard échangé avec Zoey est rempli de promesses.

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