Prologue
Dans le quartier des Sauges, dont aucun habitant ne sait trop d’où vient le nom, un événement peu banal aurait pu réveiller les alentours. Malheureusement, ce quartier plutôt mal famé est plus ou moins déserté. Alors personne ne remarque le flash de lumière blanche qui fait son apparition plusieurs mètres au-dessus d’un vieux garage fermé. Pourtant, il fait nuit et comme chaque soir, aucune étoile n’est visible dans le ciel de Nou-Yack. Certains habitants, de quartiers plus lointains ont pu voir cet éclair, qu’ils auront pris pour… un éclair. En effet, ce soir, le temps est mauvais. Pas beaucoup plus que d’habitude, mais il pleut depuis trois jours et l’averse ne semble toujours pas vouloir s’arrêter. Les bibliques, membres d’un sombre ordre persuadé que les démons existent et nous veulent du bien, auraient dit qu’il s’agissait là du début du Grand Nettoyage. Un grand bain venu du ciel afin de nettoyer la crasse de cette – si peu chère – planète Taire.
Revenons donc vers ce fameux éclair. Il n’avait pas la forme caractéristique de ce qui, habituellement, zèbre le ciel mais il avait disparu tout aussi rapidement. Une chose que nul citadin des autres quartiers n’auraient pu remarquer, c’est que quelque chose était tombé. Ou peut-être. En tout cas, le toit du garage est désormais troué et dans les débris, un homme de grande taille est allongé, inconscient. Cet homme porte un drôle de long manteau lisse, fait de laine d’ambre. Bien sûr, la laine d’ambre, ça n’existe pas. Pourtant, c’est bien de cette matière que sont faits les habits de ce mystérieux inconnu. C’est un personnage étrange, il ressemble aux habitants de Daim-Kerk déguisés lors de leur célèbre carnaval. Ses oreilles ne sont pas sur les côtés de son visage mais sur le dessus, et elles sont affreusement longues et poilus. Elles rappellent un peu les oreilles de ces espèce de… rongeurs qui… sont dessinés dans les livres de contes pour enfants. Vous savez, avec les grandes dents et qui mangent des… trèfles ? Drôle d’idée de manger des cartes. En tout cas, cet homme, s’il en est un, n’a rien à voir avec les habitants du coin, c’est sûr.
La pluie continue de battre le sol gris, ou noir, de la cité ténèbreuse. C’est le seul son qui résonne à travers les rues du quartier des Sauges. Incessant, il s’insinue dans le décor comme dans nos oreilles, jusqu’à ce qu’on ne le remarque plus. Soudain, un cri déchirant se fait entendre. Il est si déchirant qu’il semblerait que la pluie cesse un instant pour le laisser passer. Non loin de là, une femme, ou plutôt un homme, enfin la personne qui vient de pousser ce cri, se précipite vers la porte entr’ouverte du vieux garage. Elle a une main plaquée sur son cou d’où coule un tout autre liquide que celui des cieux. Elle s’effondre sur le sol, à l’intérieur du garage à moitié détruit, en prenant soin de se coller contre le mur pour tenir. De sa main libre et tremblante, elle sort un appareil semblable à un appeloeil. Mais les appeloeils n’existent pas, alors il s’agit sans doute d’un autre moyen de communication à longue distance. Elle appuie frénétiquement sur le même bouton vert, jusqu’à ce qu’il passe au rouge. Une voix métallique et grésillante se fait entendre.
— Bonsoir. Vous avez appelé les secours. Les secours sont en route. Ne bougez pas d’où vous vous trouvez. Si vous vous trouvez en situation difficile ou stressante, respirez lentement et gardez votre calme. Les secours sont en route. Nos agents arriveront d’ici quelques minutes. Veuillez garder votre calme et respirez lentement…
La femme écoute la voix automatique et s’efforce de respirer plus calmement. Légèrement apaisée, elle enlève la main de son cou qu’elle passe sous ses yeux. Ses doigts sont rouges de son propre sang et la plaie ouverte continue de saigner. Paniquée une fois de plus, elle attrape une poignée de mouchoirs qu’elle appose contre son cou en appuyant du peu de force qu’il lui reste. Rien ne lui permet de se calmer désormais. Heureusement, la voix n’a pas menti et une ambulance s’arrête devant le garage. Deux hommes frappent à la porte du bâtiment. L’un d’eux tient dans sa main un appareil similaire à celui de la femme et suit le signal que l’objet lui indique.
— Je suis là ! Aidez-moi !
Sa voix faible et brisée parvient à se faire entendre malgré la porte à la pluie battante. D’un coup d’épaule, l’un des infirmiers fait basculer la porte de ses gonds. Grâce à une lampe qu’il fait passer circulairement dans la pièce, il observe bien d’autres choses avant de voir la femme assise par terre. En effet, dans l’obscurité du fond du garage, il remarque notamment une forme semblable à un homme allongé au sol et, plus proche, sur un tas de débris qui étaient autrefois une partie du toit, un étrange personnage de carnaval est aussi présent. Il ignore encore ce qu’il s’est passé mais suppose que la femme saura expliquer pourquoi il n’y a pas non pas une, mais trois personnes qui semblent avoir besoin de secours. Il jette un œil vers son collègue et, d’un air entendu, se penche sur la blessée tandis que l’autre appelle du renfort en s’approchant des corps inertes.
Le plus proche semble seulement évanoui. Il s’agit de cette mystérieuse personne qui aurait traversé le toit plus tôt. Bien sûr, Jordet ne le sait pas. Ce qu’il sait en revanche, c’est que ce type a franchement une tête de plipon. Mais les plipons n’existent pas, alors disons qu’il a une tête de… ces rongeurs de contes pour enfants… de lapin, quoi. Enfin les lapins, personne n’a jamais pu prouver leur existence non plus. L’infirmier ne sait pas quoi faire, est-ce humain, animal ? On ne lui a jamais appris à soigner les lapins ! Surtout qu’ils n’existent pas. Finalement, il décide de se diriger d’abord vers l’autre, qui a l’air un peu plus normal. En s’approchant, il remarque vite qu’il n’a pas affaire à un patient. Il vérifie tout de même les fonctions vitales de l’homme étendu. Rien, absolument rien.
— Milet !! On a un mort !
— Merde alors, on est arrivé à temps pour la femme mais pas les autres ?
— Nan, j’crois qu’il était clamsé avant qu’elle arrive ici.
— Et l’autre alors ?
— Je… Je sais pas trop quoi t’dire…
Le fameux Milet s’avance alors vers le lapin géant inconscient et comprend aussitôt ce que son collègue lui signifiait. Mais, un peu plus professionnel que son confrère, il se pose à côté de l’inconnu et tente d’obtenir une quelconque réaction de sa part. La réaction ne se fait pas attendre. Dès que les doigts de l’infirmier ont effleuré les oreilles duveteuses de cet étrange patient, celui-ci a ouvert les yeux en grand et prit une grande inspiration comme s’il sortait d’une séance d’apnée.
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