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Le contenu de sa tasse englouti, elle se leva de sa chaise en rotin et fila se resservir un jus. J’avais à peine trempé mes lèvres dans le breuvage. Je me dis que cette fille carburait au café vu la vitesse à laquelle ses jambes fonctionnaient. En quatre pas, elle avait disparu. Je continuai d’ausculter cet environnement connu, mais différent. Un couloir se prolongeait à la suite de l’entrée, son étroitesse n’avait pas changé, s’y croiser relevait de l’exploit. Une première porte sur la droite donnait dans l’unique chambre, celle d’en face dans la salle d’eau, alors qu’au fond, un genre de magnet géant au dessin suggestif indiquait celle des toilettes. Tout, murs et plafonds, avaient été repeints dans des teintes claires, démontrant le goût de Caroline. Un tableau ornait une paroi. De ma position, je ne discernai pas si la peinture représentait un paysage ou un portrait. J’interrogeai.

– C’est une de vos œuvres, accrochée dans le couloir ?

De la cuisine sa voix s’éleva.

– Vous avez un accent canadien, vous venez de là-bas ?

Dix mots pour éluder ma question. Je trouvai étrange qu’elle ne veuille pas aborder le sujet, mais si tel était son désir, je m’inclinai. Après tout, j’étais son invité. Chez moi, mais son invité. Je me demandai si je devais lui dire que ces quatre murs et cette toiture m’appartenaient, je préférai ne rien révéler.

– Oui, du Yukon plus précisément, repris-je.

Elle réapparut, un mug accroché à ses doigts.

– Vraiment ? Et que faisiez-vous dans ces contrées que j’imagine étouffantes l’été et glacées l’hiver ?

– J’y ai assouvi mes rêves d’espaces, de moiteur, de grand froid. De moustiques aussi, sans parler des ours, mais là, c’était plutôt un cauchemar.

Elle rit.

– Je crois que je serais morte de trouille devant ces bestioles. Déjà quand j’aperçois un sanglier, je me planque, alors un grizzli !

– J’avoue que les premières fois, je n’en menais pas large, mais ces bêtes ne sont que rarement agressives. Chacun son territoire et tout se passe bien.

Un ange passa. Je finis mon café avant de reprendre.

– Et vous, qu’est-ce qui vous a passé par la tête pour venir vous perdre ici ?

– J’ai besoin de solitude pour m’exprimer, c’est l’endroit idéal. Je l’ai découvert par hasard et les gens qui vivaient là étaient charmants. Une histoire des plus banales.

– Vous peignez encore ? Je n’ai vu ni chevalet ni matériel.

– Mon atelier est à Contis, je n’y vais plus guère, mon inspiration est en panne.

– Je suppose que c’est le lot de tous les artistes à un moment de leur carrière.

Caroline haussa les épaules.

– Oui.

– Merci pour le café, je vais vous laisser et continuer ma balade. C’était très gentil à vous de m’avoir accueilli.

Je me levai, elle m’accompagna à la porte sans un mot. En bas de l’escalier, je la saluai une dernière fois puis je pris le chemin du retour. Je n’avais pas fait trois pas que :

– Marc, vous pouvez revenir quand vous voulez… si le cœur vous en dit.

J’agitai la main et continuai.


Voilà, une partie de ce pour quoi j’avais entrepris mon retour disparaissait dans mon dos. Je n’avais pas voulu dire à Caroline la raison de ma venue. À quoi bon ? Cette fille semblait heureuse ici, les travaux avaient redonné une deuxième jeunesse à cette cabane, sans doute n’aurais-je pas fait mieux. Non, sa place se trouvait en haut des pilotis, elle occupait l’espace, et je ne me sentais pas le courage ni l’envie de l’en priver. Cette maison se nourrissait de ceux qui en prenaient soin, les planches blanches avaient trouvé en Caroline celle qui leur avait redonné vie. Moi, j’arrivais trop tard. Je ne sais quelle mélancolie m’avait poussé à revenir, et, sur le coup, je pensai que mon passé était bien là où il était.

J’avançai. Le sentier, flou à ceux qui ne le connaissaient pas, se couvrait d’aiguilles de pin, d’herbes folles et de bruyères. Comprendre son tracé relevait de la gageure. Quel diable avait pu se satisfaire d’une telle sinuosité ? L’aller ne m’avait posé aucun problème. Malgré le sable mou, j’avais coupé par un pare-feu puis bifurqué sur ma gauche au souvenir d’un carré de chênes-lièges. Bornes immuables au temps, le bas des troncs dénudés prouvaient encore l’exploitation de cette matière caractéristique. Rien ne changeait, j’en avais été soulagé. Deux encablures plus loin apparaissait la dune. À son pied, j’avais tourné à ma droite puis l’avais suivie jusqu’à la maison. Le retour, au travers des pins, s’avérait plus court mais aussi plus compliqué. Je retrouvai cependant mes repères, bien que la majorité d’entre eux eussent grossi ou disparu. Le pin courbé en était un. Quelle force avait-il fallu pour le plier de la sorte ? On aurait dit une arche. Le conifère s’élevait sur deux mètres avant de plonger au sol. Ses branches caressaient le sable, par endroit, le bois y disparaissait. Là se marquait le moment de viser un petit raidillon, je le vis. La bosse me parut fatiguée, je l’escaladai sans sourciller, puis plongeai parmi les fougères. Douce caresse que ce feuillage distillait à mes mains, je pris soin de ne pas les piétiner.

J’arrivai. Une piste cyclable suivait la route. Mangée par les racines, la faible épaisseur de goudron se soulevait, créant rebords et crevasses dignes d’une peau ridée. Des falaises et des gouffres à l’échelle d’une fourmi, de véritable tape-cul pour les cyclistes. Je suivis la rectitude de ce bout d’asphalte afin de rejoindre ma voiture de location garée à l’abri d’un chemin forestier. À quelques mètres, je stoppai. Deux hommes tournaient autour. À l’évidence, ces gars n’étaient pas du coin, leurs costards de mauvais goût et leurs pompes italiennes le prouvaient. Dès qu’ils me virent, ils s’engouffrèrent dans une BM blanche et disparurent en un clin d’œil.

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