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J’avais appris à me méfier de ce genre de type, ma vie d’avant en foisonnait. Pourtant, si là-bas, dans mon pays d’adoption, ce qui brillait attirait toutes sortes de rapaces, pourquoi en trouvais-je ici ? La voiture ne contenait aucun objet, quant à sa valeur propre, ce modèle de citadine ne valait pas un clou. Le monde portait ses indésirables partout, jusqu’ici sur une route landaise. Que cherchaient-ils ? Aucune réponse ne vint, j’en déduisis qu’il s’agissait de curieux. Cependant, je portai ma main dans mon dos à la recherche de mon arme. Je ne la trouvai pas. Bien sûr, où avais-je l’esprit ? J’étais en France. On ne se baladait pas avec un flingue ici. Ne vous méprenez pas, je hais les armes à feu, si ce n’était leur pouvoir de dissuasion, jamais je n’en aurais porté.


Une heure plus tard, je garai ma minuscule auto sur le parking de l’aérodrome de Biscarrosse. Face à la piste, des hangars s’étalaient, l’un d’eux abritait un atelier d’entretien. Mon hydravion, suite à de petites défaillances lors de ma venue, y subissait une série de tests. Je me rendis à pied jusqu’au dôme d’acier puis passai par le portail ouvert. Joël, le mécano s’affairait sur le moteur. Je le surpris.

– Bonjour, Joël ! Alors, votre verdict.

Il lâcha une clé, je la rattrapai au vol.

– Ah, c’est vous ! Vous m’avez flanqué la trouille.

– Pardonnez-moi, ce n’était pas mon intention. Je vous demandais…

– Vous m’avez fait peur, mais je ne suis pas sourd. J’ai décelé deux problèmes. Un concerne la durite principale d’essence. Le flexible est craquelé au niveau d’un coude. Une chance pour vous qu’elle ne vous ait pas pété à la figure en plein vol, vous étiez bon pour rentrer à la rame. L’autre, c’est la merde dans les réservoirs que vous avez ajoutés. Je sais pas ce que vous avez mis dedans, mais y a un sacré dépôt au fond. Pas étonnant pour la perte de puissance, le filtre était colmaté.

– Essence de mauvaise qualité.

– Vous devriez faire gaffe avec ça, là où vous habitez, ce pourrait être fatal. Sinon, rien d’autre, votre monture tourne comme une horloge.

Il descendit de son escabeau, essuya sa main noire de cambouis dans un chiffon puis me la tendit. Je la serrai.

– Vous au moins, vous n’avez pas peur de vous salir. C’est pas comme tous ces types pleins aux as qui me laissent leurs zincs à bout de souffle en croyant que je vais faire des miracles. Je dois avoir la gale, c’est à peine s’ils me regardent et me disent bonjour.

Je haussai les épaules.

– Dites, vous avez mis combien de temps pour venir du Canada ? reprit-il.

– Six jours, dont presque trois pour arriver jusqu’à Saint-Pierre-et-Miquelon. Puis j’ai fait un arrêt aux Açores avant de me poser ici.

– Sacré périple, c’est pas souvent qu’on voit des gars traverser l’Atlantique. Bon, je me suis permis de commander une durite neuve, je l’aurai demain ou dans deux jours. Ça ira pour vous ?

– Oui, très bien. Je n’avais pas l’intention de partir tout de suite.


Je finis par rejoindre mon hôtel en bordure d’océan et, avant d’y entrer, restai de longues minutes à contempler le large.

Hier, en arrivant, de nombreux détours m’avaient été nécessaires afin de rallier l’établissement. Je m’étais perdu, désorienté par les voies en sens uniques et les multiples ronds-points. Mes souvenirs de Biscarrosse-Plage racontaient un bourg, la ville s’étendait désormais, méconnaissable. Avant de déposer mon maigre bagage, j’avais parcouru la promenade serpentant sur la dune puis, au bout, j’avais posé mes fesses sur un siège à la terrasse d’un bar. C’est là que j’avais constaté combien la fureur des vagues, la couleur de l’eau et celle du ciel me manquaient. Aucun paysage ne tenait la comparaison face à cette langue de sable que rien n’obstruait, pas même les forêts ni les lacs du Yukon. Je me demandai comment j’avais pu m’en tenir éloigné si longtemps et, au garçon de café qui m’avait questionné sur la beauté du lieu, j’avais répondu : « Il n’y a pas plus beau que le pays de son enfance. »


Oui, j’étais né non loin d’ici, à Parentis-en-Born. Avec mes parents, nous habitions une villa au style landais, en recul de la ville. J’adorais cette maison avec ses volets et ses poutres couleur lie-de-vin, son grand jardin, son accès aux bois. J’occupais une partie de la grange que j’avais retapée, une pièce à vivre, une kitchenette, une douche. Déjà, je me contentais de peu. Une vie entre mer et forêt, une vie entre une mère surfeuse et un père garde forestier. Deux enfants du pays que l’amour avait rapproché sur les bancs du lycée. Leur union se nourrissait de liberté, de nature et d’espace, l’un n’allait pas sans l’autre, jamais ils ne se disputaient. D’elle, j’avais gardé le goût d’une existence sur le fil des vagues, toujours à la recherche de l’extrême, du sel qui fait que tu te sens vivant. Un monstre au Portugal avait craché sa vie contre des rochers après avoir boulé ma mère dans son estomac. C’était un dimanche de décembre. Mon père ne s’en était jamais remis. Après quelque temps, il avait disparu, aspiré par les fantômes des pins. Je n’avais appris sa mort qu’au moment où, dans ma boite aux lettres, j’avais trouvé un pli : « Je n’ai pas eu le courage d’affronter votre regard, alors j’ai griffonné ces lignes à la hâte. Votre père, mon ami, est décédé hier. Je lui avais fait la promesse de vous en informer et de vous dire que jamais il ne vous avait oublié et qu’il vous aimait. Son corps repose au funérarium de Parentis, je sais qu’il voulait être enterré aux côtés de votre mère. Je vous laisse aussi les coordonnées de l’emplacement d’une cabane qu’il a construite. Cet endroit le rendait heureux, prenez en soin. » La lettre était signée par un certain Jacques, une clé alourdissait l’enveloppe.

Après l’enterrement, je m’étais rendu aux points indiqués et avait découvert la maison posée sur ses pilotis. Des pins l’entouraient, derrière, la dune semblait vouloir la dévorer. Je comprenais le choix de mon père pour l’élever, l’endroit respirait le vide. Deux ou trois mois m’avaient été nécessaires pour m’approprier les murs de bois blancs. Au début, je n’y venais que les week-ends après mon boulot de charpentier puis, les derniers temps, suite à la vente de la maison de Parentis, j’y vivais à l’année.

Un jour, alors que je nettoyais le sol, j’avais trouvé une cachette derrière les toilettes. Un bout du parquet s’était soulevé, laissant apparaître une boite métallique. Son contenu déballé sur la table, j’avais constaté que mon père détenait un rêve, celui de partir au Canada et de devenir chercheur d’or. Tout était prêt, son passeport, ses billets d’avion, la concession, même une liasse de francs et de dollars canadiens. Il y avait aussi un mot à mon intention.

« Fils, si cette boite te parvient c’est que la maladie m’aura vaincue avant que je parte. Tu vois, j’avais un projet un peu fou, comme moi, je crois. Peut-être que quand tu la trouveras, les billets d’avion seront foutus, mais la concession que j’ai achetée court sur trente ans. Si tu regardes bien dans le cadre « Owner », nos deux noms sont marqués. Tu es toi aussi le propriétaire de cette mine. Voilà, fais-en ce que tu veux. J’aurais tant voulu t’emmener là-bas…

Fils, n’oublie pas d’être un homme heureux.

Ton père. »

Son rêve, j’avais fini par me l’approprier.


La réceptionniste de l’hôtel m’adressa un sourire lorsque je rentrai. Je fis trois pas et revins en arrière. Un tableau auquel je n’avais pas fait attention la veille, pendait derrière la jeune fille. Je lui demandai si je pouvais m’approcher afin de le regarder de plus près, elle acquiesça. Ma cabane, esquissée au fusain, ornait la toile. Si j’eus un doute légitime quant à savoir si c’était bien ma maison, il fut vite levé par un détail. Un des pilotis du premier plan avait un nœud d’une forme particulière, le dessin le représentait parfaitement. Le coup de crayon marquait aussi le mauvais état de l’escalier et de la toiture, un peu comme j’imaginais trouver l’ensemble. Je regardai la signature : Thomas Contou.

– Excusez-moi ! Savez-vous si ce tableau est là depuis longtemps ? j’interrogeai.

– Non, deux ans environ. Le patron de l’établissement avait passé une commande à l’artiste, il s’était mis au travail rapidement. Vous trouverez d’autres œuvres dans les couloirs de l’hôtel.

– Vous connaissez ce Thomas Contou ? Se pourrait-il que ce soit une femme qui se cache derrière un pseudo ?

Ma question éveilla sa surprise, elle retint un rire.

– Thomas est connu par ici, et non, ce n’est pas une femme.

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