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– Monsieur !… Monsieur !

Une voix de brouillard parvint à mes oreilles, je sentis aussi une main s’attarder sous ma mâchoire à la recherche de mon pouls.

– Il est en vie. Appelle les pompiers, le gars saigne et…

J’attrapai son bras.

– Non, ce n’est pas nécessaire, murmurai-je. Aidez-moi à sortir de la voiture s’il vous plaît.

– Mais, monsieur, vous avez eu un accident.

Déjà, j’engageai une jambe à l’extérieur, l’homme saisit mon poignet et tira afin de m’extraire du véhicule. J’appuyai mon dos contre la carrosserie.

– Merci, ça va aller… Je vous assure, ajoutai-je à la vue de sa grimace.

– Comme vous voulez, mais ce n’est pas prudent. Avec ma femme, on peut vous amener jusqu’à un hôpital.

– Je vous remercie, c’est très gentil de votre part, mais j’en ai vu d’autres. Dans cinq minutes, j’aurai repris tous mes esprits.

– Ben vous ! Mais vous ne pouvez pas rester là, votre bagnole est fichue.

Je n’avais pas pensé à ce détail. Cette route était peu fréquentée, je risquais d’attendre encore longtemps qu’un autre usager passe et me prenne en stop. Me redressant, j’examinai le devant de la caisse. Le pare-chocs, défoncé, traînait à terre, l’optique gauche n’existait plus et l’aile ressemblait à du papier mâché. Par chance, le radiateur ne fuyait pas, je ne constatai aucune fuite d’huile en me penchant. Je retournai au volant et lançai le moteur, l’engin s’ébroua.

– Cette voiture a une sale gueule, mais elle fonctionne encore… comme moi.

L’homme sourit puis m’adressa un signe de la main avant de partir. Je lui lançai un dernier « merci ».


J’avais dérouillé. Le reflet de ma tronche dans le rétro intérieur me le prouvait. Le type avait dû me frapper avec la crosse de son arme, une balafre rayait le haut de ma pommette gauche, et mon œil se parait déjà d’une teinte violacée. Un peu de sang coulait encore de la plaie, se mêlait aux poils de ma barbe puis dégoulinait le long de mon cou. Ma chemise en était couverte. De la sorte, la blessure pouvait impressionner, je la savais superficielle.


La nouvelle de ma découverte avait eu l’effet d’une traînée de poudre à Stewart Crossing. J’avais pourtant été discret, mais pas le négociant auquel tous les chercheurs d’or vendaient leur marchandise. Le type était pourtant tenu au secret, mais il éclusait une bouteille par jour de tord-boyaux. L’alcool le rendait prolixe, personne n’ignorait donc que le Frenchie avait trouvé un filon dans sa mine pourrie de Elk. Partout où j’étais passé, on m’avait félicité, on avait voulu m’offrir à boire, d’autres voulaient que je paye mon coup, certains s’étaient même proposés pour me donner la main afin d’extraire le maximum de métal précieux. À ceux-là, j’avais répondu que je n’étais pas tombé de la dernière pluie et que mes bras n’avaient pas besoin d’aide. Un soir, Ryan et Janet m’avaient rapporté qu’une partie de la population croyait que j’avais découvert un gros filon et que j’avais une chance incroyable tant cette mine était réputée improductive. En fait de filon, deux semaines m’avaient suffi pour venir à bout de la veine. Cependant, avec les revenus, j’avais pu acheter un véhicule tout terrain et du matériel de forage.

C’est peu de temps après qu’était arrivé mon premier accident.

Le pic de mon burineur pneumatique perçait la roche dans un vacarme assourdissant, au point que j’avais commencé à regretter mes outils manuels. Toutefois, j’abattais un travail de dingue avec cette machine. Manier le perforateur m’usait vite, son poids m’obligeait à de fréquents arrêts et ses vibrations secouaient toute ma carcasse. Une demi-journée suffit à me faire haïr cet engin, pourtant, ce jour-là, je continuai après m’être restauré. Je cognais dans la continuité de la veine sans tenir compte de mon harassement. Au moins, le travail me tenait chaud. La neige, tombée en abondance, avait laissé place à un blizzard douloureux, le froid parvenait jusqu’à moi et s’immisçait au travers de mes vêtements. À bout de force, j’avais fait le mouvement de trop. L’ultime secousse du burin avait lézardé un pan de la paroi. Si j’avais pu éviter sa chute, d’autres pierres au plafond avaient suivi le mouvement. Une première avait enfoncé mon casque puis brisé ma lampe frontale, une deuxième avait frappé mon visage alors que je levais les yeux au plafond. Assommé, j’étais tombé au sol. D’autres cailloux m’avaient en partie enseveli.

Je ne sais combien de temps j’étais resté inconscient, mais lorsque je m’étais réveillé, je tremblais de froid. J’avais bougé, quelques cailloux avaient roulé, me permettant de libérer une main. Je l’avais portée à mon visage, du givre commençait à la recouvrir. Me relever. J’avais pensé à Ryan, lui, ne pouvait pas remuer, sans Janet, il serait mort écrasé. Ces deux-là étaient unis pour le meilleur et pour le pire, ils formaient un couple, l’un pouvait compte sur l’autre. Moi, j’étais seul, ma bêtise, je devais l’assumer seul, personne ne viendrait me sauver. Cet accident était celui que redoutaient tous les mineurs, beaucoup y laissaient la peau, j’avais eu la chance que la voûte ne s’effondre pas davantage. Me relever. Ce mot avait tourné en boucle dans mon esprit, me relever et aller à ma cahute. Au prix d’un effort, j’y étais parvenu puis avais progressé à tâtons dans le noir total. Au bout d’un temps qui m’avait paru une éternité, j’avais aperçu la lumière du jour.

Dans mon abri, j’avais chargé de bois le poêle, je n’avais qu’une obsession, remplacer le froid par du chaud. Mes tremblements disparus, je m’étais regardé dans une glace et avais fait une grimace. Une estafilade coupait ma joue en deux, du sang s’en échappait. À la hâte, j’avais fouillé dans ma trousse à pharmacie puis, avec une aiguille recourbée et du fil de suture, j’avais, tant bien que mal, recousu la plaie. Plusieurs jours m’avaient été nécessaires pour me requinquer. Mon corps, couvert d’ecchymoses, ne voulait plus travailler, je m’étais octroyé des congés. Ma blessure avait guéri rapidement, mais mes compétences de couturier étant limitées, la balafre n’était pas jolie. C’est à partir de ce moment que j’avais laissé pousser ma barbe afin de la dissimuler. J’avais décidé aussi d’être plus attentif et de ne pas m’épuiser à la tâche sous peine de mourir.


D’autres incidents, au cours de ces années de labeur, avaient marqué ma peau, aucun ne m’avait laissé estropié ou dans l’impossibilité de continuer à creuser. Ce n’était pas une coupure, aussi moche fut-elle, ni un coquard, qui allaient m’arrêter, j’avais d’autres chats à fouetter, à commencer par m’expliquer pourquoi les guignols m’avaient envoyé dans le décor. De toute évidence, je n’étais pas le bienvenu dans le coin, j’entravais la bonne marche de leurs desseins. Je pris l’avertissement comme tel. J’étais à leur merci, s’ils avaient voulu m’éliminer, une balle aurait suffi. Non, ils s’étaient contentés d’un coup, à moi de comprendre qu’il était temps de fuir. Ce mot me rappela les paroles de Caroline, je compris pourquoi, avec son père, ils avaient disparu devant la menace. Qu’allait-elle devenir ? Ces types ne la lâcheraient pas et, au vu de leur détermination, ils ne laisseraient pas de traces derrière eux. Une idée un peu folle me vint.

J’attrapai mon téléphone et composai un numéro.

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