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Joël, le mécano d’avion, me dit que mon appareil serait prêt demain dans la matinée, la pièce défectueuse venait d’arriver, il s’attelait au travail. Je demandai si l’avance versée était suffisante afin de remplir les réservoirs, il répondit « largement », j’insistai pour qu’il garde tout.

Je finis de démonter le pare-chocs de la bagnole puis rebroussai chemin jusqu’à ma cabane. J’avais l’intention de trouver Caroline pour lui proposer de venir avec moi. Après tout, tant qu’à fuir, autant le faire à deux. Le grand rêveur que j’étais nous voyait déjà marcher main dans la main sur les rives de l’Ethel Lake, non loin du chalet que j’avais construit. Là-bas, nous vivrions une vie abandonnée, là-bas, personne ne viendrait nous chercher. C’était sans compter sur les types aux chaussures italiennes.

Leur BM, garée à l’abri de fourrés, était vide. J’inspectai l’avant. Aucun doute, c’était eux. Des rayures et des traces de peinture témoignaient du choc qui m’avait envoyé bouler. J’hésitai à immobiliser la caisse. Pas longtemps. J’attrapai une branche puis cognai la vitre conducteur. Le verre céda sous les coups, je déverrouillai la porte puis saisis le cache en plastique sous le volant. Je l’arrachai et opérai de même avec les fils du neiman. Les deux zigotos allaient passer la nuit à la belle étoile. Malgré ma douleur à la joue, je souris. Cependant, je devais me montrer prudent, ils étaient armés et ne me laisseraient aucune chance s’ils me trouvaient.


Le printemps, cette année-là dans le territoire du Yukon, avait été précoce. La neige fondait à vue d’œil, la nature se dépêchait de revivre. Déjà, la forêt s’animait de mille bruits, partout, des fanfares de bourgeons explosaient. Le blanc se désagrégeait, le vert, le marron, le jaune lui succédait, patchwork de couleurs. Deux mois plus tard, j’allais fêter l’anniversaire de mon arrivée. Que d’évènements s’étaient produits ! Mes émotions, à foison, avaient empli mon existence, je n’en rejetais aucune, toutes m’appartenaient. L’heure n’était pas au bilan, je n’avais d’ailleurs pas envie d’en faire. Je vivais presque au jour le jour et me contentais de ce que j’avais. Je me considérais un homme heureux. Ne me manquait qu’un peu de contact humain, les dernières semaines n’avaient pas vu Ryan et Janet se pointer à l’improviste. La neige rendait la piste d’accès impraticable, je m’attendais à les voir débarquer d’un jour à l’autre. Je l’espérais.

Je m’équipai dans l’antichambre de la mine. Sous-vêtement thermique, pantalons de travail, doudoune, bottes, gants, casque, lumière… Je répétai mentalement la check-list de mon nécessaire de parfait chercheur d’or lorsque j’entendis le bruit d’un moteur. Une voiture approchait, j’étais sorti à la hâte afin d’accueillir mes amis. Ce n’était pas eux.

Combien étaient les hommes qui, ce jour-là, avaient débarqué de leur 4 × 4 ? Trois, peut-être quatre, à vrai dire, je ne l’ai jamais su. À la vue de leurs armes, je m’étais dissimulé derrière de gros rochers. « On sait que tu te caches, le Frenchie, ne joue pas les héros, sinon on te tire dessus », avait gueulé l’un d’eux. Je n’avais pas l’intention de bouger, qu’aurais-je pu tenter face à ces gars ? Seul, sans rien pour me défendre, je n’aurais pas fait le poids. Pour me prouver qu’ils ne rigolaient pas, les types avaient tiré en direction de l’entrée de la mine. Les plombs avaient cogné, contre les cailloux et la ferraille. Dans un tintamarre de peur, j’avais baissé la tête, résigné. « Hey, le Frenchie, j’ai eu vent que t’avais trouvé de l’or et que t’avais ramassé un paquet de fric. Avec mes gars, on va fouiller ta baraque, si tu veux pas qu’on te foute le bordel, dis-moi où chercher. T’as dix secondes. » Je n’avais pas réfléchi, ils auraient fini par découvrir la cachette, alors j’avais indiqué où elle était. Avant de partir, ils avaient crevé un pneu de mon véhicule, m’interdisant toute poursuite, puis avaient disparu. Cinq minutes pour voler les fruits de mon travail, je rageais de mon impuissance.

De mon argent, il ne me restait que celui que j’avais planqué ailleurs. Je m’en étais servi pour acheter un fusil et un pistolet. Si d’autres venaient, ils trouveraient à qui parler.


Bien sûr, ce genre de problème s’était répété, souvent à la fonte des neiges, lorsque les pistes devenaient carrossables. Des types venaient piller le travail d’un hiver, une décharge de fusil au-dessus de leurs têtes les poussait à détaler comme des lapins. Le pouvoir de dissuasion de ces engins n’avait pas d’égal. Mais là, mon flingue était de l’autre côté de l’Atlantique.


J’avançai à couvert en passant par la forêt et m’arrêtai en haut de la petite butte afin de guetter. Je ne remarquai rien, mes potes en costards étaient soit bien cachés, soit déjà à la cabane. J’optai pour la deuxième solution. Cela m’obligeait à rebrousser chemin et à emprunter le coupe-feu. En passant par le côté, personne ne me verrait. C’est ce que je fis. Au pas de course, je traversai l’étendue sableuse, à cent mètres de la maison je stoppai puis restai immobile de longues minutes. J’approchai lentement, à l’affût du moindre bruit suspect. Aucun mouvement n’attira mon attention, je me risquai à monter l’escalier.

La porte était ouverte, j’entendis du bruit. Au moment où j’entrai, Caroline sortit de la cuisine. Surprise par ma présence elle lâcha un petit cri. Je posai mon index sur mes lèvres en signe de silence et fermai la porte.

– Caroline, venez avec moi, vos agresseurs sont dehors.

– Marc ! Mais que vous est-il arrivé ?

À me faufiler entre les arbres, j’en avais oublié ma blessure et le sang qui recouvrait mon visage. Je la rassurai.

– Ce n’est rien. J’en ai vu d’autre. Venez, vous ne pouvez pas rester là.

– Mais, je vais leur apporter ce qu’ils me demandent.

– Croyez-vous que ces gars ne voudront pas autre chose ?

Je finissais ma phrase lorsqu’une vitre vola en éclats. Le claquement du coup de feu nous parvint en suivant. J’attrapai la main de Caroline. Une seconde plus tard, nous dévalions les marches. Les rigolos arrivaient par la forêt et nous coupaient l’accès. J’entraînai la fille de la plage vers la seule zone où le sable pouvait ralentir nos poursuivants. Chaussés comme ils étaient, leur progression s’en verrait d’autant plus difficile. Une balle siffla au-dessus de nos têtes, un coup de semonce, le prochain serait plus précis. Au coupe-feu, je décidai de le traverser plutôt que de le descendre, nous aurions fait de parfaites cibles à découvert. Parvenus de l’autre côté, nous accélérâmes. Des fourrés entravèrent nos enjambées, du bois mort roula sous nos pieds, des branches basses fouettèrent nos flancs, nos visages. Par deux fois, Caroline perdit l’équilibre et tomba au sol. Elle se releva aussitôt, et nous reprîmes notre course folle. Derrière nous, les injonctions de nous arrêter fusaient en échos contre les pins. Au fur et à mesure de notre avancée, leur intensité diminuait, prouvant que nous gagnions du terrain.

C’est à court de souffle que nous arrivâmes à la voiture. Sans perdre un instant je démarrai.

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