- II -

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Un coup de klaxon sortit Alina de ses rêveries, son pied alors déjà engagé sur la route.

  • Attention ! l'avertit un adolescent en lui agrippant le bras.

Elle couina quand il la tira loin du danger. Le camion les frôla à une allure folle, soulevant un vent violent et puant l'essence. Sans ralentir, le chauffard dépassa le feu tricolore et les piétons, puis continua sa course en toute ignorance.

Il prit le virage et, tel un mirage, disparut de la scène.

Les jambes flageolantes près des sacs qu'elle venait de lâcher, Alina ne quitta pas tout de suite l'étreinte de son bienfaiteur. Elle se retint à lui pour la vie chère, estomaquée d'avoir échappé de peu à un accident aussi soudain que bête.

  • Ça va, Alina ?! s'inquiéta son sauveur qui ne desserra jamais son emprise sur elle.

Le cœur au bord des lèvres, sa bouche s'ouvrit et se ferma dans la bête imitation d'un poisson hors de l'eau. L'adolescente chercha longuement les mots adaptés pour décrire ce qu'elle venait de vivre.

  • La... La vache.

Et juste comme ça, une irrépressible envie de rire l'assaillit. Alina la combattit vaillament, jugeant peu prudent de s'esclaffer devant un public qui venait d'échapper à une explosion de couleur dans la rue. Le connaissant, ce genre de réaction lui vaudrait à coup sûr de finir à l'hôpital, ou que l'on appelle la police. Chose qu'elle voulait éviter, car cela incluerait de téléphoner à sa mère qui ferait une crise de panique.

Alina prit donc sur elle et se tourna avec reconnaissance vers le héros du jour. Elle rencontra deux yeux émeraude, assombris par l'anxiété.

  • Merci, Michael. Je t'en dois une, là.

Sa réponse neutre eut le mérite de faire effet ; les bras qui l'enfermaient se détendirent, et le garçon regagna un sourire joyeux.

  • Un peu que tu m'en dois une, ma vieille ! Un autre pas en avant, et boum ! Je ramassais une pizza ! Imagine la tête de ta mère si, au lieu de sa fille, je lui livrais "ça".

Michael, ce grand gaillard au crâne brun rasé et à la casquette Peace and Love retournée, s'écarta puis remit droit son couvre-chef. Une main tendue, il simula une sonnette cassée, avec une grimace qu'il voulait professionnel.

  • Bonjour, madame Fischer. Voici votre commande, une spéciale Alina, parfumée au bitume et au caoutchouc. Avec les frais de transport, ça vous fera quinze euros, merci !

Malgré la blague glauque et peu raffinée, Alina réussit à se prendre au jeu. Elle mima une expression sérieuse et contrariée, parodiant la réaction qu'aurait pu avoir sa mère à cette livraison assez... inhabituelle.

  • M'enfin, se calma son ami, redevenant subitement préoccupé, t'es sûre que tu vas bien ? Ou tu veux que j'appelle ta mère pour qu'elle vienne te...

Avant qu'il n'aille plus loin, Alina scella ses mots en plaquant ses doigts sur sa bouche, son regard gris lui envoyant des éclairs de protestations. Cette fois, elle aussi ne plaisantait plus. Michael abdiqua avec un grommellement étouffé.

  • Merci, souffla-t-elle en le relâchant.
  • Me remercie pas tout de suite, la prévint-il en désignant quelque chose derrière son dos. Je te disais seulement que t'allais rater ton bus.

L'adolescente fit volte-face et constata, conformément à ses dires, que son moyen de transport attendait de l'autre côté, voyants allumés et prêts à partir.

  • C'est pas vrai ! râla la lycéenne en récupérant à la hâte ses affaires. T'aurais pu me prévenir plus clairement, andouille !

Sans attendre de justification - de toute façon, Michael s'étranglait de rire - Alina vérifia la route de gauche à droite, libre de toute circulation, et le feu piéton était au vert. Elle traversa précipitamment les bandes blanches. En plein milieu du chemin, un son aigu agressa ses oreilles, la faisant gémir. Elle frotta maladroitement son lobe droit. Le désagrément disparut aussi vite qu'il était apparu, la laissant un peu étourdie et confuse.

C'était quoi, ça ? Bizarre...

Arrivée devant le bus, la jeune femme signa maladroitement au chauffeur de l'attendre. Elle dépassa l'abribus aux vitres sales, dont une fissurée de partout, et se précipita vers la porte de l'autobus.

On lui ouvrit. La lenteur grinçante des portes cinétiques lui permit de récupérer sa carte de transport. En montant, l'homme au volant la dévisagea avec une tête de crapaud en colère, chauve et boursouflé. Alina remarqua aussitôt qu'il n'était pas celui qu'elle avait l'habitude de voir ; un dénommé Grégoire, le mélange sympa d'ours en peluche et de hippie.

Ce changement triste et soudain était loin de lui plaire, surtout en voyant le petit bonhomme. Ce personnage ressemblait presque à une sorte de nain raté du dessin animé de Blanche-Neige, mais trop moche pour être retenu au casting. Gras du ventre, large tête à l'embonpoint proéminent, jambes courtes et bras longs ; il n'était pas bien élégant. De grosses lunettes teintées s'encastraient sur son gros nez écarlate. Au-dessus de la monture, ses sourcils en broussaille étaient froncés. Même les verres opaques de crasse ne suffisaient pas à cacher son animosité. La lycéenne se savait en tort (merci à une certaine personne), et elle chercha à paraître le plus sincèrement désolée.

  • Pardon pour l'attente, monsieur. Je vous promets que ça ne se reproduira plus.
  • Effectivement, ça ne se reproduira plus, lui garantit l'homme avec un accent très nasillard, le rendant ridicule mais pas plus agréable. La prochaine fois, je ne vous attendrai pas et, peu importe la distance, vous n'aurez que vos pieds pour rejoindre votre arrêt. Me suis-je bien fait comprendre ?

On pouffa à l'arrière. Rouge de honte, à la fois par cette réprimande et du fait d'être ridiculisée ainsi, Alina ne sut pas quoi dire, et se contenta d'hocher pitoyablement la tête. Non satisfait, le chauffeur se pencha un peu plus vers elle, lui exposant son haleine pourrie et ses dents jaunies. Pour éviter de tomber dans les pommes, la jeune femme se renfonça dans le col de son manteau.

  • Je répète : me suis-je bien fait comprendre ?
  • O... Oui, glapit-elle dans sa misère.
  • Oui, qui et quoi ?
  • Oui, monsieur. Je serais plus ponctuelle à l'avenir.

Grâce aux cieux, il se rassit à son siège en maugréant dans sa barbe. Alina valida sa carte et s'enfuit dans l'allée, le plus loin possible de ce gnome monstrueux. Par chance, il n'y avait pas grand monde dans le véhicule, donc elle put s'installer sur l'une des places de l'avant-dernière rangée.

Le bus quitta la ligne zigzag et s'engagea sur la route. Alina déposa son chargement sur l'autre place avant de se reposer contre la fenêtre, accablée par la fatigue.

  • Quelle journée... marmonna-t-elle, son esprit envahit par l'image du camion chargeant droit sur elle.

Si Michael n'avait pas été là... Maintenant qu'elle y repensait, une secousse de nervosité tendit ses muscles. Qu'est-ce qui lui avait pris de rêvasser, au point de ne pas remarquer le véhicule prêt à l'emporter ?

L'ironie était qu'après y avoir réchappé, elle ne savait même plus ce qui l'avait autant distraite.

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