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— En quoi consiste notre mission exactement ? demanda Gabriel en forçant l’allure pour rester au niveau de son maître.

— Nous devons aller à Terdrasill, l'ancienne capitale, répondit Nihyr. Marli y a localisé un ancien Sanctuaire il y a quelque temps déjà. On devrait y trouver des choses intéressantes.

— Pourquoi ne pas l'avoir exploré avant ?

— À cause des dragons. Il a d'abord fallu faire un peu de ménage, ce qui tombe bien en ce moment. Et localiser avec précision l'entrée n’a pas été facile. Urfis n'a réussi qu'il y a trois jours. Et comme tu le sais, il a été rappelé.

Ils poursuivirent leur chemin durant de longues heures, vers le nord, en silence pour économiser leur souffle. Nihyr imposait la course plutôt que la marche. Gabriel se demandait pourquoi Nihyr n'appelait pas les fenris. Il aurait bien voulu le faire, mais il ne savait pas comment s'y prendre. Il se mit à siffler, essayant d’insuffler de l’énergie dans le son, ce qui n'était pas chose facile.

— Tu n'y arriveras pas comme ça, lui dit Nihyr en riant. Il ne suffit pas de gonfler le son. Il faut faire porter un message. Et même si tu y arrives, ils ne viendront pas, je ne les sens pas dans les environs. Mais promis, si tu arrives à quelque chose, je te préviendrais que tu es sur la voie.

Gabriel continua durant des kilomètres, puis abandonna. Il s’essoufflait deux fois plus vite et un point de côté menaçait de le contraindre à l’arrêt. Après une courte pause au milieu de la journée, Nihyr se mit en devoir d'avancer plus rapidement encore. Le rythme imposé correspondait à celui des coureurs professionnels de chez lui, se dit Gabriel à raison, sauf qu’ils couraient sur de bien plus grandes distances. Depuis le matin, ils devaient avoir avalé pas loin de cent cinquante kilomètres. Ils atteignirent Slimap et firent halte dans le même établissement que la fois précédente, retrouvant avec plaisir la patronne, son caractère enjoué, sa cuisine délicieuse et Dina, ravie de revoir Gabriel.

— Une seule nuit, je suppose ? demanda la tenancière.

— Oui, nous avons besoin de repos avant de continuer vers les ruines, lui répondit Nihyr.

La femme tressaillit.

— Et bien, vous n'avez peur de rien ! Ces ruines grouillent de dragons et de ces horribles caricatures d'homme à ce qu'on dit ! Avec un aussi jeune garçon en plus.

— Ce jeune garçon pourrait sans doute couper quelques-unes de ces caricatures en deux, si vous voulez mon avis ! répliqua Nihyr en riant. Et puis, Urfis est passé avant nous. Il nous a assuré que nous aurions le champ libre, ou presque.

La patronne s'en retourna à ses occupations en haussant les épaules et en levant les yeux au ciel.

— Installez-vous où vous voulez ! Il y a de la place ce soir.

En effet, la salle était presque vide. En dehors d'un couple installé dans un coin et de trois hommes à l'air épuisé, il n'y avait personne.

Nihyr s'installa à sa table préférée, la numéro quatre, près du feu et un peu isolée. À peine assis, il décrocha l’un des étuis de cuir suspendus à sa ceinture tandis que son élève s’effondrait sur sa chaise, épuisé. Il défit le lacet qui le maintenait fermé, puis en répandit le contenu sur la table. De petites pierres rondes, noires et brillantes, sans rien de remarquable, roulèrent sur la nappe.

— Observe bien, dit-il à Gabriel. Pas seulement avec tes yeux, si tu comprends ce que je veux dire.

Il prit une pierre dans sa main et Gabriel, tous ses sens à l’affut, sentit aussitôt que son maître faisait glisser de l'énergie à l'intérieur de la pierre. Il enfermait un peu de ce que les gens d’ici appelaient les courants en les manipulant par la pensée d’une étrange manière. C’était comme, en quelque sorte, faire des nœuds avec des fils invisibles. Une marque apparut à la surface, puis Nihyr la posa sur la table, en prit une deuxième et réitéra l'opération, puis encore une douzaine de fois avant de paraître exténué.

— As-tu compris ce que j'ai fait ? demanda-t-il après avoir bu d’un trait son verre d’eau.

— Je crois, oui, répondit Gabriel, la bouche pleine.

La patronne venait de les servir et il s'était jeté sur la nourriture, succulente comme toujours.

— Tu as emprisonné de l'énergie dans les pierres, dit-il en avalant bruyamment. Mais je n'ai pas bien saisi une chose : ce n'est pas juste de l’énergie brute. Au début, je pensais que tu faisais des réserves. Puis j'ai compris que les marques qui apparaissent servent à quelque chose. Ce sont des sorts ?

— Des sorts ? Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire, mais oui, le sens que tu donnes à ce mot me paraît proche de la vérité. Même si ce n'est pas le bon terme. Je viens de créer ce que nous appelons des pierres de rune, ou runerocs. Ces symboles que tu vois là, ce sont des runes. Elles ont chacune une signification distincte. Et donc chaque pierre a un effet différent. Tu devrais être capable de comprendre leur signification avec le temps. C'est une forme de langage d'esprit, mais qui s’utilise directement avec les courants. C’est un peu difficile à expliquer.

Nihyr remplit son assiette avant de continuer son explication :

— Ton esprit traduit instinctivement ce que tu entends et ce que tu dis pour comprendre et être compris grâce à ce langage. C'est une forme passive que tous les sifis possèdent, même s’il est assez étonnant que tu l’utilises inconsciemment et ce depuis le moment de ton arrivée. Mais une fois que tu en es conscient, tu peux apprendre à faire certaines choses. Comme tenir un discours différent pour deux personnes présentent dans une même pièce. Mais il faut faire attention, certains ne sont pas dupes. Le régent, par exemple.

— Je t’avoues que je n'ai pas tout pigé, mâchonna Gabriel d’un ton dubitatif.

— Il faudra que je t'enseigne des choses sur ce sujet. Normalement, c’est un talent que l’on découvre et que l’on cultive, mais toi, tu le pratiquais de façon naturelle et inconsciente, apparemment. Pour le moment, tu as de trop importantes lacunes en combat, alors je préfère me concentrer sur ce point, ainsi que sur le renforcement de ton physique.

Ils terminèrent leur repas, causant de toute et de rien, avant de sortir faire un tour en ville, puis rentrèrent se coucher. Gabriel fut le premier debout le lendemain, aux aurores. Il y avait déjà du bruit dans les cuisines et il se risqua a jeter un œil par curiosité. Dina, la fille de la patronne, préparait le petit déjeuner.

— Oh, salut ! lança-t-elle en reconnaissant Gabriel. Tu manges avec moi ? Ton maître et toi êtes les seuls à avoir passé la nuit ici.

— Il est un peu tôt. Tu ne devrais pas dormir encore ?

— C'est l'habitude. On se lève toujours très tôt, alors même quand il n'y a pas besoin, je suis levée de bonne heure. Et puis je n'aime pas traîner au lit.

Ils prirent leur petit déjeuner tous les deux dans la cuisine. Dina lui raconta quelques anecdotes croustillantes sur les visites de certains membres de l’Ordre. Lorsqu’ils eurent terminé, elle laissa un mot à sa mère indiquant qu'ils sortaient.

— Viens ! Nihyr se lèvera à l'aube, comme toujours. Il nous reste une petite heure.

Elle entraîna Gabriel dehors où l'on pouvait déjà observer quelques signes d'activité. Ils traînèrent dans les rues en babillant jusqu'à ce que l'aube arrive, puis retournèrent à l'auberge. Ils y retrouvèrent Nihyr, déjà prêt à partir.

— Tu arrives juste à temps. Prêt ?

Gabriel en eut pour trente secondes à aller chercher son sac et il reprit la route avec son maître.

— Elle te plaît, Dina ? demanda Nihyr abruptement.

— Elle est sympa, ouais, pour une gamine. Je crois que je pourrais m'en faire une amie. Et rien d'autre ! ajouta-t-il en jetant un regard accusateur à Nihyr qui éclata de rire.

— Je me renseigne c'est tout ! Je ne voudrais pas que tu fasses d'infidélité à Ello.

Gabriel se contenta de grogner et de regarder ses pieds, ne trouvant rien à répliquer. Nihyr accéléra le pas, un large sourire vissé aux lèvres. Lorsque le soleil fut bien visible dans le ciel, il se mit à courir, de plus en plus vite et Gabriel se dit avec raison que les plus grands champions d'endurance du monde n'auraient pu les suivre. À midi, il était épuisé. Ils firent une pause déjeuner salvatrice, puis Nihyr entraîna Gabriel au combat à main nue pendant une bonne heures, lui enseignant quelques prises de lutte et de boxe impossibles à réaliser pour quelqu'un de normal. Ils reprirent leur route et arrivèrent en vue de Terdrasill dans la soirée. À cette distance, Gabriel aurait pu croire qu'il ne s'agissait que d'une immense colline rocailleuse. Il comprit son erreur en y arrivant le matin suivant. Des blocs de pierre gros comme des maisons témoignaient de la grandeur et de la puissance que cette cité avait pu incarner par le passé. Nihyr se fraya un chemin dans les gravats en bondissant comme un cabri. Il atteignit une sorte de plateforme, continua vers un monceau de pierres effritées un peu plus loin et s’arrêta là, au milieux de la désolation. Il tenait dans sa main un de ces runerocs, sans que Gabriel ne comprenne ce qu’il en faisait.

— C'est ici, signala Nihyr, rangeant la pierre dans une poche. Aide-moi, tu veux ?

Ils se mirent à déblayer des tonnes de gravats à la force des bras et Gabriel trouva l'exercice agréable. Grâce à sa condition nouvelle, il envoyait valser à plus de vingt mètres des blocs de pierre de cinquante kilos sans trop d'efforts. Lorsqu'il n'y en eut plus que quelques-uns, il s’amusa même à concurrencer Nihyr au lancer de rocher. Il fut loin cependant d'égaler son maître. Les pierres volaient, comme propulsées par un engin de siège, avant de s’écraser avec fracas au loin.

— Tu as de la puissance à revendre. Plus que moi ! reconnut Nihyr. Mais tu dois encore apprendre à la canaliser.

Là-dessus, il se concentra un instant. Un vent de tous les diables s’abattit sur eux, chassant les dernières petites pierres et la poussière recouvrant la large dalle noire qu’ils venaient de dégager. Nihyr examina attentivement les marques qu'il venait de mettre au jour, gravées dans la pierre, pendant que Gabriel revenait de sa surprise : il avait encore beaucoup de choses à apprendre. Puis Nihyr sortit une plume de son manteau et la frappa contre la dalle. Au grand étonnement de Gabriel, la plume émit une longue note aiguë et harmonieuse, un son métallique, presque cristallin. Ce n’était pas une plume, mais une écaille de dragon ! Nihyr déposa l'écaille sur la pierre et recula. Celle-ci s'enfonça doucement dans la pierre jusqu’à disparaître. Une ouverture se dessina alors dans le sol, la pierre sembla devenir fluide et disparut lentement, parcourue d’ondulation comme si elle s’écoulait par des évacuations invisibles, laissant place à un gouffre noir dans lequel s'enfonçait un large escalier.

— Très ingénieux, ce dispositif, commenta Nihyr. Et très sophistiqué.

— Les sifis sont-ils donc obsédés par les souterrains ? soupira Gabriel.

— Disons que c'est pratique pour s'isoler, répondit Nihyr d’un ton neutre en s’approchant de l’ouverture.

— Mais pourquoi s'isoler ?

— Les sifis menaient des expériences parfois dangereuses en matière de courants. Les mener en milieu souterrain protégeait la population civile.

Sans un mot de plus, Nihyr s'engagea dans l'escalier, Gabriel sur les talons. L'ouverture se referma derrière eux dans le silence le plus absolu.

— Éclaire-nous, ordonna Nihyr.

Gabriel fit naître au creux de sa paume une petite flamme très vive. Ils entamèrent alors la descente. L’escalier se révéla particulièrement long. Gabriel compta jusqu’à cinq cent marches avant de se lasser. Arrivés en bas, ils se retrouvèrent devant une une magnifique porte de pierre gravée, très semblable à celle qui contrôlait l’accès au Sanctuaire du mont Dolmed, et se retrouvèrent dans une vaste pièce circulaire dont le sol semblait pavé de larges losanges noirs et luisant.

— De l’obsidienne, murmura Gabriel, qui nourrissait une affection particulière pour ce matériau.

Nihyr se dirigea tout naturellement vers la deuxième porte à gauche et trouva derrière une bibliothèque, assez grande et très fournie.

— C'est dingue de penser que cet endroit n'a vu personne depuis des siècles, s’étonna Gabriel dans un murmure, impressionné par la conservation des lieux.

— Un autre avantage de construire si profondément sous terre. L’art de l’ancien Ordre aidant.

Nihyr fouilla dans les rayonnages, sortant délicatement certains ouvrages. La plupart des livres tombaient en morceaux. Contrairement au lieu par lui-même, le contenu avait subi les ravages du temps.

— Deux milles ans ne leur ont pas fait de bien, soupira Nihyr en regardant partir en lambeaux un livre dans lequel il avait espéré découvrir des choses intéressantes. Il fait trop sec, ici.

— Nihyr ? J'ai trouvé un carnet plutôt bien conservé ici ! appela Gabriel.

— Fais voir.

Le petit journal relié de cuir noir, vieux de deux millénaires semblait effectivement en bon état. Nihyr le mit de côté, avec d'autres ouvrages qu'il comptait récupérer. Après plusieurs heures de fouilles méticuleuses, ils sortirent de la bibliothèque et examinèrent le reste du Sanctuaire. Il était remarquablement conservé.

— Si seulement celui de l'Eratar avait été comme ça lorsque Juanee et Urfis l’on découvert, commenta Nihyr en découvrant les vastes dortoirs.

— Combien y-avait-il de sifis ici ?

— À la grande époque, l'Ordre comptait plusieurs centaines de maîtres et presque autant d'élèves. Il y avait même plusieurs groupes. Certains étaient chercheurs ou bâtisseurs pendant que d'autres trouvaient l'accomplissement dans les arts du combat. Et ils étaient bien plus forts que nous ne le sommes aujourd'hui.

— Pourquoi ?

— L’Ordre s’est éteint pendant plusieurs siècles, beaucoup de savoir à été perdu et nombre de nos questions n'ont pas encore trouvé de réponse, hélas, répondit le Sifis avec un ton où perçait un étrange lassitude. Viens, partons. Ce n’est pas le moment de nous lamenter sur le passé.

— Mais nous ne devons rentrer que dans quinze jours !

— Je sais. J'aurais donc le temps de te former sérieusement pendant quelque temps. Je pensais rester à Slimap un moment, ajouta Nihyr avec un clin d’œil.

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