La tutrice royale

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Il marqua une pause. L’impressionnant double battant de bois le fit hésiter. Il prit une inspiration, chercha sa motivation. La pierre nue tout autour n’avait même plus de lierre-pierre et le seul bruit était le sifflement du vent. Si seulement il avait pu parler à quelqu’un avant de se jeter dans la gueule du loup ! Mais il n’avait plus personne. Il souleva avec fébrilité le lourd heurtoir métallique et frappa.

Une voix feutrée lui répondit à travers l’épaisseur du bois. Il poussa un battant et pénétra dans le bureau de la tutrice royale. Une large baie vitrée laissait entrer le soleil du matin, tandis que l’air immobile était chargé d’une odeur travaillée de bouquets de fleurs et d’aromates.

— Dame Érise, vous m’avez fait mander ?

Dans la lumière, vêtue d’une grande robe pourpre aux laçages complexes, la vénérable tutrice se tenait face à un des pans de sa bibliothèque murale. Elle parcourait en silence un épais volume adossé à son bras. Elle n’en leva pas les yeux tandis que Camarian refermait difficilement derrière lui.

La longue pièce était décorée avec luxe. À gauche, une autre porte était entrouverte vers une chambre. À droite, un couloir courbe menait au reste de la suite, chambres de domestiques et autres attenances. Au milieu de la salle principale, de longues tables étroites avaient été installées, vides aujourd’hui, destinées en semaine à faire travailler les élèves de Dame Érise. Pendant une fraction de seconde, Camarian s’imagina son ami Isaan assis là, travaillant sous le joug de son enseignante.

La contemplation de la pièce l’arracha pourtant immédiatement à ce songe, pour le jeter dans un choc à la découverte du désordre régnant ici. De nombreux livres se trouvaient en vrac sur les tables, ouverts, empilés, superposés, s’étalant même aux pieds des tables sur le grand tapis ouvragé. La plus grande surprise de Camarian vint des quatre Vi, les vivariums de la taille d’un adulte, installés de part et d’autre des portes de la pièce. Au sommet de chacun, une légère couche de poussière trônait. Ce n’était pas grand-chose, juste un petit peu de gris sur les énormes œufs transparents, une simple pellicule encore loin de cacher à l'intérieur les massifs d’hortensia bleu, rouge et pourpre. Sauf que dans la chambre de Camarian, une pareille négligence sur un Vi sacré aurait déchainé tempêtes de réprimandes et d’immédiates sanctions.

— Encore distrait à ce que je vois, claqua la voix de la grande tutrice.

Camarian sursauta et fit à la hâte un salut protocolaire, inclinant le buste en gardant le dos bien droit.

— On a donc eu raison de me rapportez que vous étiez encore moins concentré que d’habitude, continua Dame Érise sans lever le nez de son livre. Pas concentré, et pas en avance d’ailleurs.

L’autorité dans sa voix fit frissonner Camarian. Il restait incliné face à elle tandis que ses pensées paniquaient à la recherche d’une réponse.

— Dame Érise, salua-t-il à nouveau, inutilement.

À quoi bon ne pas avoir droit aux hautes études, s’il était malgré tout surveillé par sa milice ? Elle n’avait jamais été son enseignante et pourtant depuis quelques semaines elle ne le lâchait plus. Sans doute avait-elle ordonné au chef d’atelier de Camarian de lui rapporter chacune des erreurs de l’apprenti. Deux jours auparavant, pour avoir brisé un verre à pied pendant sa confection, Dame Érise l’avait puni à transporter trente-deux tonnelets de vin d’une pièce à l’autre du cellier central. Ses cuisses l’élançaient encore. La réputation de la tutrice évoquait des punitions plus impitoyables encore, des élèves enfermés des jours durant, à copier des manuscrits en vieil anglais.

— Je vous prie de m’excuser dame Érise, la fatigue à raison de mon esprit.

— Vous ne suivez donc pas vos rythmes de sommeil ? rétorqua-t-elle.

Camarian se tortillait sur place. La disparition de son meilleur ami était sans aucun doute la raison de son manque de sommeil et de concentration. Sauf que cela, il ne voulait pas en parler à la tutrice. Il décida de se redresser enfin de son interminable courbette et répondit d’une voix qui se voulait affirmée :

— Je m’efforce de respecter les règles du sommeil.

— Énoncez donc trois premières règles, ordonna immédiatement Dame Élise.

Il savait qu’il devait répondre sans réfléchir pour montrer sa connaissance de la leçon. Heureusement, le sommeil était un sujet souvent révisé avec Isaan.

— Les cycles du sommeil ouvrent leurs portes à un rythme régulier, propre à chacun. Repérer le tempo de nos portes et le maîtriser est une première clef du sommeil. Une deuxième est que la porte ne s’ouvrira pas par exemple après certaines activités, comme le sport, et qu’à terme la porte pourrait même en être abimée. Enfin, ouvrir une porte est un acte rituel : le lieu de sommeil ne doit être lieu d’aucune autre activité, le…

— Disons que cela est satisfaisant, le coupa Dame Érise. Preuve donc que même un bordurier comme vous serez capable d’intelligence, si vous vous en donniez les moyens.

Camarian encaissa le coup, mais jugea qu’il valait mieux ne rien répondre. Dame Érise suivait du doigt les lignes sur son livre, elle le feuilletait tout en interrogeant Camarian. Sa robe boutonnée impeccablement semblait une armure aussi épaisse que son expression impassible. Pourquoi l’avait-elle fait venir chez elle ? Pourquoi même était-elle au courant de son existence ? C’était à n’y rien comprendre.

Au-dessus d’eux, les moulures du plafond disparaissaient sous les cartes clouées, jusqu’au début des murs eux-mêmes couverts de rayonnages de parchemins et de livres. Camarian ravala son humiliation et chercha à faire avancer cette désagréable entrevue.

— Vous m’avez fait mander, Dame Érise ?

— Certes.

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