Discussion perturbatrice

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Quelques instants passèrent. Quand il crut qu’elle l’avait vraiment oublié, elle referma brutalement son livre et le claquement fit sursauter Camarian, quoique ce ne fut rien en comparaison du froid qui l’envahit tandis qu'elle pivotait pour planter son regard dans le sien.

— J'ai une autre question pour vous Camarian. Plus difficile. Êtes-vous prêt ?

Camarian déglutit avec inquiétude, avant d'acquiescer. Dame Érise parla lentement :

— La question porte sur l’amitié. Un véritable ami peut-il vous demander de vous sacrifier pour lui ?

Tout le corps de Camarian se pétrifia tandis qu’au fond de sa poitrine son cœur se lançait dans une folle chamade. Il était convaincu que cette question portait en vérité sur Isaan. Son angoisse montait en flèche. Que savait exactement la vieille dignitaire ? Était-ce les camarades artificiers de Camarian qui avaient eu la langue trop pendue ? Dame Érise avait été la tutrice d’Isaan, elle savait sans aucun doute qu’il avait disparu. Que cacher ? Autrefois Isaan lui avait demandé garder ses secrets ; aujourd'hui il l'avait abandonné. Pouvait-il se confier à la tutrice ? Il aurait enfin quelqu’un avec qui échanger sur ce terrible sujet…

Comme il ne répondait pas, Érise fit un pas vers lui et insista :

— Alors ? Répondez ! Demander le sacrifice de l’autre, n’est-ce pas déjà trahir l’amitié ? Peut-on être un véritable Ami, si on entraîne l’autre dans des activités qui lui sont néfastes ? Peut-on lui demander de se mettre en danger pour nous ?

À ces mots, Camarian sentit une colère soudaine et brûlante naître en lui ; une envie de se défendre, de riposter face à cette agression, peut-être même avec ses poings. Car ces mots qu’Érise prononçait n’étaient pas siens, mais ceux d’Isaan. Il les avait écrits dans une lettre destinée à Camarian, pour son anniversaire. Lettre qui était sous son lit, scellée dans son coffre. Mais bien sûr, la grande Tutrice avait toutes les clefs. Et elle avait pillé, sans vergogne.

— Eh bien ? dit-elle. Vous n’avez donc rien à répondre.

Sous-entendait-elle qu’il ne se souvenait pas de la lettre ? Camarian savait certes très mal apprendre par coeur, mais il s'agissait ici d'un tout autre sujet.

— Dame Érise, pour un véritable ami je tiendrai jusque dans les dernières épreuves. Je serai dernier carré de défense, bastion qui ne cèdera qu’avec la mort. Et l’ami véritable a également le rôle d’explorateur, celui qui aide à avancer dans l’inconnu, galvanise dans la découverte. Il sait qu’il peut me faire confiance pour agir dans son intérêt !

Il reprit une inspiration et continua :

— La confiance est la vertu première dans une relation. Sans confiance, nul ne mérite le titre d’ami, et il est alors tout juste un seulement un brigand agrippé à son pouvoir comme un parasite. Un petit chef minable, un parasite, oui ! Tirant avantage des faiblesses d’autrui, abusant de son pouvoir ! Comme ces sangsues qui…

— Je vois ! l’interrompit Dame Érise.

Elle avait esquissé un sourire narquois et mauvais. Camarian se dit qu’il était allé un peu loin. Si elle décidait de lui attirer des ennuis, il pouvait tout perdre. Se retrouver à pelleter du fumier pour le reste de ses jours. Cela en valait-il la peine ? Derrière sa colère sourdait la peur.

La tutrice ne sembla pas s’énerver. Elle rouvrit avec nonchalance le livre qu’elle venait de fermer. Et quand elle l’abaissa, Camarian réalisa qu’un parchemin était posé à l’intérieur. La lettre d’Isaan.

— Ce n'est pas exactement ce qu'il a écrit. La phrase d’Isaan à propos de l’Ami véritable était « Campé dans notre dernier carré, défense qui tiendra avec nous jusque dans les dernières épreuves. Et, premier parmi nos multiples cercles d’amis et de connaissance, il est toujours à nous pousser en avant, à nous dépasser. »

Camarian n’avait même pas réussi à l’interrompre, estomaqué par l’aisance arrogante avec laquelle elle montrait l’objet volé.

— Vous avez pris ce manuscrit dans ma chambre ! cria-t-il. Vous n'aviez pas le droit !

— Le droit ? fit Dame Érise, moqueuse. Vous oubliez votre place. Vous n'êtes qu'un humble apprenti artificier, logé gracieusement au Centre. Votre chambre est une chambre du palais et ne vous appartient en rien.

Camarian grogna, furieux tandis qu’Érise faisait jouer le parchemin entre ses doigts. Lui qui ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il s’était battu, il était soudain pris d’une pulsion violente face à une personne âgée.

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