Prologue - G.R

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Le sol trembla. Un enfant, minuscule silhouette dans un champ de poussière, leva les yeux. Il n'entendit pas le grondement. Il le sentit. Dans ses os et dans sa chair. En voyant ses jouets se mettre à rouler d'eux-mêmes.

— Maman ?

À travers la terre, une lumière pâle jaillit de crevasses soudainement ouvertes. Un aïeul, assis sur son promontoire, ferma les yeux. Il avait lu les textes. Le monde devait s'effondrer, ou s'élever. Jamais les deux à la fois Et pourtant... Il ne pria pas. Il écouta.

Les montagnes s'écroulèrent comme des bêtes abattues. Les vallées, trop tendues, se retournèrent. Il pensa à son père et aux anciens noms de sa terre. En quelques battements, des plaques de roche se soulevèrent, comme arrachées d'en-dessous, tirées par une force verticale et implacable.

Et le ciel devint flou.

Là où le sol s'élevait, il s'absentait ailleurs. Des morceaux entiers de la croûte terrestre s'extrayaient lentement du manteau. Ils dérivaient vers le haut - ou ce qui semblait être le haut - dans une lenteur surnaturelle, leur poids effacé, recourbés, étirés, disloqués. Pour tout, partout, en même temps. Un flou d'eau et de feu, d'ombres tirées par des chaînes invisibles.

Une mère courait, une petite main dans la sienne, une autre tendue vers elle ne savait où... ni elle ne savait quoi... Elle ne voyait rien, si ce n'étaient des silhouettes happées vers le ciel. Ou vers le sol. Elle le tenait. Il fallait qu'elle le tienne ! Une dalle se souleva sous ses pas. Elle sauta, entraînant l'enfant. Elle sentit son corps se faire trop léger. Puis trop lourd. Mais elle ne lâcherait pas. Jamais ! Le petit pleurait, mais le son ne venait plus. Il vit les arbres s'effilocher. Les oiseaux chuter.. à l'envers ? Et puis, les vagues qui montaient. Oui : vers le haut ! Comme si la mer avait subitement décidé de côtoyer le ciel de ses flots...

Puis vinrent les ondes. Invisibles, mais innombrables. Elles traversèrent les formes vivantes comme des couteaux dans l'eau : d'abord les plus sensibles – les petites créatures, quelques éléments de la flore -, puis tout le reste fut impacté. Le silence ne s'installa pas... Il s'abattit ! L'aïeul ouvrit les bras. Il sentit la perforation invisible de son torax, comme la réminiscence d'un souvenir mal digéré.

— Qu'il en soit ainsi...

Les dieux s'incarnaient. Mais il comprit que ce n'était pas la fin. Pas tout à fait. Une reconfiguration. Un arrachement... peut-être nécessaire.

Et il fut happé sans douleur.

Les voix s'éteignirent, les souffles s'étranglèrent dans des corps tantôt s'envolant, puis s'écrasant. La mère saignait du nez, mais tenait toujours. La main dans la sienne était là, si petite... et si froide. Trop froide. Son regard fut happé par la vision d'un membre bien trop léger... Elle hurla cette fois ! Pas de peur... mais de douleur.

Entre les masses en ascension, l'air vibrait.

Des vortex de gravité se formaient, puis s'effondraient sur eux-mêmes, aspirant les forêts, les villes, et tout ce qui gravitait trop proche. Chaque éclat de matière flottait un instant, suspendu, hésitant entre chuter et s'élever, puis disparaissait dans le bruit d'un nouvel équilibre en marche. Les océans, pris entre la chute et la fuite, se décomposèrent. Des nappes entières s'évaporèrent en un instant, comme aspirées vers le ciel. D'autres, figées dans leur élan, tombèrent à la verticale dans les failles ouvertes, en colonnes de brume et de sel.

Et lui, seul sur un promontoire de pierre, riait nerveusement. Il n'avait jamais craint les Dieux. Ni les vents. Il avait soulevé des troncs, affronté des bêtes, défié des tempêtes. Il se croyait ancré. Puis la roche sous ses pieds frémit. Pas un tremblement. Plutôt une désintégration... Le sol se fendilla en un motif qu'il ne comprit pas. Et le rire se tue... Qu'était-il, finalement, face à l'adversité et le Monde qui s'effondrait sur lui-même ?

Les nuages eux-mêmes se déchiraient, étirés entre plusieurs cieux.

Il voulut courir. Rien ne bougea. Ni ses jambes. Ni Nharos. Tout s'était figé. Ou plutôt ; tout s'était mis à glisser dans une direction qu'il ne parvenait pas à identifier... Il cria ; contre le ciel, contre le sol, contre cette chose invisible qui déchirait les lois. Mais son hurlement s'étouffa, aussitôt aspiré... En désespoir de cause, il tendit les bras, comme pour saisir l'air lui-même. Mais il n'était rien. Pas face à ça. Ni homme, ni force, ni volonté. Juste une poussière de plus, ballotée... Dans ce silence, il comprit qu'il n'y aurait pas de combat... et chuta.

***

Au cœur de la planète, invisible, un battement continuait de pulser. Une force cyclique, ancienne, effleurait la surface du Monde, comme les ondes dans l'eau après l'impact d'un objet tombé de trop haut.

Et dans ce rythme nouveau, des fragments commencèrent à se figer. Suspendus. Organisés sur cinq niveaux.

Le champ gravitationnel induit s'équilibra en moins d'une journée. À mesure que les masses dérivantes atteignaient leur seuil de stabilité, les flux telluriques réajustaient l'attraction locale.

L'atmosphère, bien que conservée, se réorganisa elle aussi. En couches distinctes et étanches. Des couloirs de vide séparant les mondes. La lumière, elle-même, fut forcée à choisir ses chemins. Certains niveaux furent inondés de clarté brûlante, d'autres sombrèrent dans un crépuscule permanent.

L'eau, la chaleur, la vie : tout se fragmenta. Ce qu'il resta d'animé devint survivant. Et le Monde, lui, devint ce qu'il est désormais... fracturé.

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