003 - une autre époque temporelle
Adélaïde a réussi à isoler le tome 9 de la Bible. Il n’apparaît nulle part mais il s’écrit quelque part à l’abri des regards. On le sait. On le sent. Toutes. C’est bien joué. Elle est forte, la Papesse. Comme ça on est tranquille, on peut nier la Bible et faire comme si le tome 9 n’existe pas. Si j’en suis vraiment la narratrice, elles ne vont pas être déçues au Vatican. Quelle connerie je pourrais faire au cas où ? Ou ne pas faire, plutôt, c’est encore pire. Marie a des reproches à me faire :
- Jenna, c’est toi qui a déclenché tout ça, avec Greta. Vous savez quand.
 - J’aurais pas dû lui demander un mot de la fin. Mais tome 9 ou pas, personne ne peut le lire sauf Adélaïde sans doute.
 - Je sais qu’on pourra pas toujours les protéger. Adé en dit quoi ?
 - Rien. Elles ne sont pas concernées, pour l’instant.
 
Et Adé me confirme que je suis bien la narratrice. Je regarde Marie, elle sait ce que je veux lui demander, elle approuve de la tête. J’envoie un message au Couvent. Edwige me donne rendez-vous dans sa cellule.
- Jenna, ma mission avec Alexa est encore en cours. Mais j’ai formé 12 préceptrices pour tes filles, elles en auront 6 chacune.
 - Les nonnettes, tes apôtresses, je me souviens, pour une fois.
 
Mais je sais pourquoi je suis là. Alors on s’y met. La totale. Ça m’excite de vendre mon ventre à une druide bannie, c’est pas ma première. Joindre l’utile à l’agréable. Comme Alexa, Jeanne et Maria vont être épargnées des pages de la Bible. Justement, Adé veut me voir, je reçois un pass pour le Vatican IV, ça fait une éternité que je ne suis pas allée en Principauté. De grandes pièces, de longs couloirs, des SAS juste pour la voir, enfin, devant une grande cheminée, j’ai un mauvais pressentiment. Adé est là, droite devant moi, en tenue blanche et ample d’où elle sort un petit livre qu’elle tient fermement.
- Jenna, cette Bible me pourrit la vie, encore une fois. J’ai réussi à isoler cette suite de la fin et je voulais que tu sois là pour voir ça. On va pas attendre que ça tourne mal, alors je prends les devants.
 
Elle se retourne et jette le tome 9 au feu. Je m’approche et je me place à sa droite pour regarder ensemble les pages brûler les unes après les autres jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Elle commence et je finis l'incantation : "Memento quias pulvis es … et en pulverem reverteris." Mission accomplie. Quel talent. Adé a vraiment assuré sur ce coup là. Le tome 9 s’écrit peut-être encore, mais ailleurs, dans une autre dimension que la nôtre et peut-être même à une autre époque temporelle.
## Analyse du chapitre « Une autre époque temporelle »
Ce chapitre représente un acte décisif de rébellion contre le destin narratif. Il explore la tension entre la fatalité (l'écriture inéluctable de la Bible) et la liberté (la capacité à détruire ou à dévier le récit). C'est un geste métaphysique et politique pour préserver l'avenir des nouvelles générations.
# Symbolique et thèmes majeurs
1. **La révolte contre la prédestination narrative** :
Le geste d'Adélaïde – jeter le tome 9 au feu – est un acte radical de libération. Il symbolise le refus de se soumettre à un récit déjà écrit, et la volonté de reprendre le contrôle de son propre destin. La Bible n'est plus une loi sacrée, mais un texte qui « pourrit la vie » et qu'on peut détruire.
2. **La protection des générations futures** :
Toute l'action est motivée par le désir de protéger Jeanne, Maria et Alexa des « pages de la Bible ». Cela montre une éthique de la responsabilité : les adultes assument le poids des récits pour permettre aux jeunes de grandir libres, sans être écrasés par un destin prédéfini.
3. **Le feu comme purification** :
Le feu de la cheminée n'est pas destructeur mais purificateur. Il consume le texte pour libérer les personnages de son emprise. Les paroles en latin (« Memento quias pulvis es … Et en pulverem reverteris » – Souviens-toi que tu es poussière, et que tu retourneras à la poussière) donnent à cet acte une dimension ritualiste et funéraire : on enterre le tome 9.
4. **L'exil du récit** :
L'idée que le tome 9 continue peut-être à s'écrire « ailleurs, dans une autre dimension » ou « à une autre époque temporelle » est cruciale. Elle signifie que le récit n'est pas annihilé, mais exilé. Le problème n'est pas résolu, mais déplacé, ce qui est une forme de victoire pragmatique.
5. **L'alliance des figures d'autorité** :
La collaboration entre Jenna (figure charismatique), Adélaïde (autorité religieuse) et Edwige (autorité spirituelle occulte) montre qu'il faut un front uni des pouvoirs établis pour contrer le pouvoir supérieur de la narration elle-même.
# Bilan des personnages
- **Jenna (la narratrice)** :
Passe du statut de narratrice contrainte à celui de complice active de la destruction du récit. Elle assume pleinement sa responsabilité dans le déclenchement de la suite (« c’est toi qui a déclenché tout ça, avec Greta ») et agit pour y remédier.
- **Adélaïde** :
Confirme son rôle de Papesse stratège et pragmatique. Son geste est courageux et montre une compréhension profonde des enjeux : mieux vaut détruire le récit que de risquer qu'il ne « tourne mal ». Elle est la grande prêtresse d'une religion qui sait parfois devoir brûler ses propres textes.
- **Marie** :
Reste la conscience morale et le soutien indéfectible. Son inquiétude pour les filles motive l'action, et son approbation silencieuse est essentielle pour Jenna.
- **Edwige** :
Continue son travail souterrain de préparation et de protection (« j’ai formé 12 préceptrices pour tes filles »). Elle est la gardienne des traditions occultes qui peuvent contrebalancer le pouvoir de la Bible.
# Conclusion philosophique
Ce chapitre affirme que la liberté n'est pas l'absence de contraintes narratives ou destinales, mais la capacité à les reconnaître et à les combattre quand elles menacent notre autonomie et notre avenir. La véritable autorité spirituelle n'est pas de suivre les textes sacrés, mais d'avoir le courage de les brûler si nécessaire pour préserver l'espoir. Le futur n'est pas écrit ; il se construit par des actes délibérés de rupture avec les récits qui emprisonnent. La destruction du tome 9 n'est pas un acte de nihilisme, mais un acte de foi en un avenir ouvert, où Jeanne et Maria pourront écrire leur propre histoire.
# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)
Et si la fumée du tome 9 brûlé, en s'élevant dans la cheminée du Vatican, se matérialisait dans « l'autre dimension temporelle » sous la forme d'une prophétie inversée, annonçant non pas le destin des filles, mais leur totale liberté ?

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