Oui et non. Les échantillons envoyés au labo de Pippa révèlent que mon sang contient des marqueurs temporels uniques qui permettent de se repérer dans le temps. Une datation de tout ce qui est vivant aujourd’hui est au cycle 1. On pourra aussi remonter en négatif.

• Jenna, chez toi, on ne voit rien. Tu es au cycle 1 de ta vie. Greta, en revanche, pour toi, c’est beaucoup plus parlant. Quand on date tes cellules, ça remonte au cycle -1286.
• Encore ce chiffre. Il nous poursuit. C’est le nombre de pages de la Bible 2, celle de Gutenberg, sur Terre, où j’ai eu mon premier cycle à l’âge de 13 ans, très douloureuses. En ajoutant ces 13 années de cycles manquants, ça me fait donc à peu près 111 ans. Je me voyais plus vieille que ça.

Nous voilà donc avec un calendrier pratiquement aveugle sur le passé de notre civilisation actuelle, mais c’est mieux que rien, c’est un début, mon début, celui de la Fémunité, cycle 1 après JJ, cycle 1286 après GT. Greta et moi avons le nombre de page de la Bible de Gutenberg en différence de cycles, l’écart entre les deux Déesses des Pôles. Logique. C’est aussi le nombre de page de notre B3 en incluant la première annexe, le fameux tome IV qui a servi de modèle pour les suivants. Greta me demande de retourner en Ambassade, elle a quelque chose à me dire suite à tout ça, en chambre sourde réservée à la diplomatie de guerre où seule l’élite ++ a accès :

• Jenna, il n’y a aucun signe alarmant dans tout ça. Énola a beaucoup voyagé dans les autres dimensions et elle m’a demandé de lui signaler deux signes inquiétants : le cube noir et le chiffre 33, surtout si ils sont associés. En dehors de ça, il n’y a rien à craindre de particulier.
• Les signes occultes, si on cherche on trouve. Juste le fait d’en parler, ça les fait exister. C’était tout le danger de la Bible.
• Pas ici et pas en nous, Jenna. On est des déesses, on est bien au dessus de tout çà. Tu peux même te remettre à écrire, il suffit juste d’éviter ces deux sujets au lieu de t’interdire tous les autres.
• L’autrice en moi est récessive, je préfère le geste à la parole.

Je l’embrasse. Elle m’embrasse. Je la caresse, elle me caresse. En ce lieu saint de secrets avec ma Déesse polarisée du Nord, personne ne peut nous entendre gémir de plaisir à se boire et à se transfuser nos laits de vie et d'envies, à s’emboîter de nos longues jambes fines et douces en pressant avec force l’une sur l’autre les portes hermétiques de nos ventres dans le déhanchement saccadé du va et vient de nos arrière-trains pour la circulation et le mélange de nos nouvelles humeurs de fin de mon premier cycle.

## Analyse du chapitre « Fin de premier cycle »

Ce chapitre sert de point d'orgue à l'arc narratif du « calendrier des Pôles » et explore les implications temporelles, historiques et métaphysiques de la cyclicité retrouvée de Jenna et Greta. Il marque une forme de clôture et d'acceptation sereine de leur destinée.

# Symbolique et thèmes majeurs

1. **Le sang comme archive temporelle** :

La révélation que le sang de Jenna marque le « cycle 1 » et celui de Greta le « cycle 1286 » transforme leurs corps en livres d'histoire vivants. Le sang n'est plus seulement un fluide sacré ou un marqueur biologique ; il devient une mesure chronologique objective, ancrant leur civilisation dans une temporalité nouvelle et précise.

2. **La persistance symbolique du chiffre 1286** :

Ce chiffre, qui correspond au nombre de pages de la Bible de Gutenberg et de la B3, fonctionne comme une constante mythique. Il relie le passé terrestre de Greta, le présent de Gaïa et leurs textes fondateurs, suggérant une continuité secrète à travers les dimensions et les temps.

3. **La nouvelle ère : « après JJ »** :

L'établissement du calendrier « cycle 1 après JJ » (après Jenna Jenkins) est un acte fondateur. Jenna devient le point zéro d'une nouvelle ère, détrônant les anciens systèmes de datation (« après GT » - Greta Thunberg). C'est l'aboutissement de sa transformation en figure centrale et fondatrice.

4. **Les signes d'alarme et la liberté de créer** :

Les « deux signes inquiétants » (le cube noir et le 33) servent de garde-fous métaphysiques. Leur énonciation permet à Greta de libérer Jenna de la peur d'écrire : en évitant seulement ces sujets, elle peut retrouver sa créativité. La contrainte devient source de liberté.

5. **L'intimité comme acte de fondation** :

La scène finale, où elles s'aiment dans la « chambre sourde », est un acte ritualiste de clôture du « premier cycle ». Leur union scelle symboliquement le nouveau calendrier et la nouvelle ère. Le « mélange de nos premières nouvelles humeurs » représente la naissance d'un temps cyclique désormais établi et sécurisé.

# Bilan des personnages

- **Jenna (la narratrice)** :

A pleinement assumé son rôle de point de repère temporel (« cycle 1 »). Elle montre une maturité nouvelle en préférant « le geste à la parole », acceptant que sa contribution à l'histoire puisse être plus action qu'écriture. La peur de la Bible semble s'éloigner.

- **Greta** :

Confirme son statut de sage et de gardienne du savoir transdimensionnel (via Énola). Son rappel des signes d'alarme et son encouragement à écrire montrent qu'elle veut guider Jenna vers un équilibre entre prudence et expression.

- **Pippa** :

En tant que scientifique, elle fournit les données qui permettent cette révolution calendaire. Son labo est le lieu où le mystique devient mesurable.

# Conclusion philosophique

Ce chapitre propose que le temps n'est pas une ligne droite, mais une spirale où les symboles (comme le 1286) reviennent, et où les corps des individus deviennent les archives vivantes de l'histoire. La fondation d'une nouvelle ère n'est pas un acte guerrier ou politique, mais un acte intime et biologique : c'est le cycle menstruel de Jenna qui donne le « la ». La véritable libération vis-à-vis du destin (la Bible) ne consiste pas à nier les signes, mais à les connaître pour pouvoir les éviter et ainsi retrouver la liberté de créer. L'avenir est ouvert, à condition de respecter quelques règles simples – une philosophie de la contrainte féconde.

# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)

Et si le « cube noir » et le « chiffre 33 », au lieu de rester des signes abstraits à éviter, commençaient à apparaître dans les rêves de Jenna, non comme une menace, mais comme une invitation à les comprendre pour achever sa propre transformation ?