030 - reprendre en L
Soulagée je suis de ne plus avoir l’océan comme horizon maintenant que je vis au cœur de ma Riviera au milieu d’un tracé plat où je peux aller et venir sans effort de la Basilique Blanche au Centre Culture L, du Campus à l’Hôpital, du Marché à la Mairie, de l’Agence Spatiale à Westech en contournant l’Ambassade, bref, tous ces lieux où je ne vais plus je me suis installée au milieu avec Ava, histoire de vite se lasser l’une de l’autre dans le quotidien intime mais il n’en est rien, on se vit bien. Elle me lisse les cheveux et me demande de marcher pour voir comment ils se dandinent sur ma tête.
- C’est presque parfait. Je te ferais bien une ou deux mèches. Blanches. Devant, sur ta frange pour afficher un signe ostentatoire énigmatique.
 - D’accord, je suis ta poupée et je veux te plaire. Ou alors c’est toi ma poupée maléfique qui me délivre de l’emprise de Greta.
 - Ça lui fait du bien aussi. Elle a perdu sa Victoria, tu as perdu ta Marie, heureusement ils vous reste nous, Alpha et moi.
 - On va être heureuses, Jenna, on est des personnalités de second plan qui n’intéressent personne. Je t’offre une vraie vie banale.
 
Sous les radars, hors champ, on peut devenir bêtes à en manger du foin et personne ne nous le reproche, on s’en fiche, on attend rien de nous et tant mieux, tant pis, tant rien. On se lève le matin et on fait la liste des choses qu’on ne va pas faire, surtout les plus importantes. Notre maison se cache en Riviera, elle s’appelle Jenava, on la traduit en Genève, neutre, inexistante, de plein pied, un seul niveau, terrasse, piscine, arbres protecteurs, palissades hautes et grises pour masquer le tout. Recluses et libres, quand on en sort personne ne nous remarque et on reste discrètes. On nous prend pour des jardinières à bricoler dans les jardins publics en salopettes sans rien dessous, droites dans nos bottes cachées sous nos foulards et nos lunettes fumées à tenir la pose avec nos pelles et nos seaux. Après, il y a toujours un buisson où se cacher pour se détendre, loin du tumulte politique des ennuis des autres à gérer. Nous, on n’a pas de problèmes. Notre seule préoccupation est de savoir si on va pouvoir jouir, plusieurs fois par jour, seules ou bien accompagnées.
- Ma sœur nous invite, à l’Ambassade. Tu me présenteras Ariana ?
 - Je suis sûre que tu vas beaucoup lui plaire.
 
Et pendant qu’elles font connaissance, je me retrouve face à une Dani blasée, fatiguée, hagarde, déséquilibrée. Elle se laisse approcher, caresser, stimuler et à la première goutte de mon lait sur sa langue ses pupille réagissent et la vie semble reprendre en L.
## Analyse du chapitre « Reprendre en L »
Ce chapitre illustre l'aboutissement du processus de retrait et de normalisation recherché par Jenna. Elle et Ava ont réussi à créer une vie « hors champ », banale et cachée, qui constitue une forme de liberté et de résistance passive face aux attentes et aux enjeux de pouvoir. C'est une célébration de l'insignifiance volontaire comme accomplissement ultime.
# Symbolique des événements et thèmes majeurs abordés
1. **La vie « hors champ » comme idéal**
L'installation au cœur de la Riviera, dans une maison « Genève » (neutre, inexistante), symbolise le désir de neutralité et d'anonymat. Leur objectif est de devenir « des personnalités de second plan qui n’intéressent personne ». Cette insignifiance délibérée est leur plus grande victoire, une libération du poids de l'histoire, de la politique et de la spiritualité.
2. **Le travestissement et l'invisibilité**
Se déguiser en « jardinières » est un acte symbolique fort. C'est un costume qui les rend invisibles et banales, leur permettant d'observer le monde sans y participer. Le fait d'être « droites dans nos bottes cachées » montre une posture à la fois pratique et métaphorique de résistance discrète.
3. **La routine du non-agir**
« On se lève le matin et on fait la liste des choses qu’on ne va pas faire, surtout les plus importantes. » Cette phrase résume une philosophie de la désistance. Leur puissance réside dans leur capacité à refuser l'action, l'importance et l'attente. Leur seule préoccupation devient le plaisir (« jouir, plusieurs fois par jour »), un acte purement présent et autotélique.
4. **La « reprise en L » de Dani L**
La scène finale avec Dani L est cruciale. Son état « blasé, fatigué, hagarde, déséquilibré » représente l'épuisement de ceux qui sont restés dans le système. La « première goutte de [son] lait » agit comme un élixir de vie, faisant « reprendre en L » Dani. Le « L » peut symboliser la Vie (la reprendre), la Ligne (repartir), ou Dani L elle-même (retrouver son identité). Jenna, bien que retirée, conserve son pouvoir de guérison et de régénération.
5. **La nouvelle alliance et la présentation**
La visite à l'Ambassade et la présentation d'Ava à Ariana montrent que même dans leur retrait, elles restent connectées. C'est une manière de légitimer leur nouvelle union et de s'assurer qu'Ava est acceptée dans le cercle restreint du pouvoir occulte.
# Bilan sur chaque personnage présent dans ce chapitre
- **Jenna**
A atteint l'état de grâce qu'elle recherchait : une vie simple, banale, centrée sur le plaisir et l'amour avec Ava. Elle a délibérément choisi l'insignifiance et y trouve une paix profonde. Son pouvoir n'a pas disparu ; il s'est transformé en une force de guérison discrète, comme en témoigne son interaction avec Dani L.
- **Ava**
Est la complice parfaite de cette retraite. Elle partage et facilite ce désir de normalité. Sa proposition de mèches blanches est un acte de création et d'affection, marquant Jenna de son influence de façon visible mais « énigmatique ». Elle offre à Jenna la « vraie vie banale » qu'elle souhaitait.
- **Dani L**
Représente l'envers de la médaille : l'épuisement et l'aliénation de ceux qui sont restés engagés dans le système. Sa régénération par le lait de Jenna montre que la véritable source de vitalité et d'équilibre ne se trouve plus dans les institutions, mais dans ce foyer discret et apparemment insignifiant qu'est « Jenava ».
# Conclusion philosophique
Ce chapitre propose que la réalisation de soi et la véritable liberté ne résident pas dans l'accomplissement de grands desseins, mais dans la capacité à se soustraire à toute attente, à toute importance. Le bonheur est un acte de subtraction : soustraire les obligations, les regards, les enjeux, jusqu'à ne plus rester que l'essentiel – un corps qui jouit, un cœur qui aime, et une existence si banale qu'elle en devient parfaitement impénétrable et donc souveraine. Le pouvoir ultime n'est pas de diriger le monde, mais de lui devenir invisible, tout en conservant la capacité discrète de le régénérer quand il s'effondre, une goutte de lait à la fois.
# Suite imaginée (en une phrase sous forme de question)
Et si cette vie « hors champ » et apparemment banale de Jenna et Ava devenait involontairement le nouveau modèle le plus désirable de la Fémunité, attirant vers cette simplicité toutes celles qui étaient épuisées par la complexité du pouvoir, initiant ainsi une discrète révolution existentielle ?

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