037 - c'est comme ça
À l’heure de la sieste, Misha nous enlève Ava et me laisse retrouver intimement Paulette qui est toujours plus grande que moi. Mais on reste sage. Elle promène ses mains dans mes cheveux courts, je renifle son cou et je reconnais son odeur. On en est plus à se boire ou partager nos fluides. Et on réalise qu’il n’est peut-être pas très prudent de laisser Misha et Ava seules ensemble. Mais quand on les retrouve, elles jouent, aux échecs. Qu’est ce qui se passe ? Pourquoi on ne se saute pas dessus, comme d’habitude, comme l’impose les règles sociales ? On n’est pas des couples si libres finalement. Quoi que. On passe à un jeu de cartes à quatre assises sur un gros tapis moelleux devant la cheminée dans le salon et l’atmosphère est plus torride entre Misha et moi et entre Ava et Paulette. On s’était juste trompées de partenaires. Mais on reste sages. Juste quelques caresses et quelques bisous sous l’œil bienveillant de nos parents, Pénélope et Dimitri. Elles finissent par partir, nous laissant seules avec nos hôtes en 25. Pendant que Ava se sent mal à l’aise avec Dimitri, je m’entretiens avec Pénélope :
- Comment il va ? Il a toujours l’air aussi perturbé par les jeunes filles.
 - Il l’est, contrôlé, frustré, je ne le ménage pas, je lui refuse ses jeux étranges, il va finir par exploser.
 - Ou se faire arrêter par Ava. Si on les laisse ensemble ça va mal finir.
 - Okay je récupère ton Ève et tu t’occupes de lui.
 
Facile à dire. Je dois faire quoi ? Le liquider ? On passe en chambre et il baisse les yeux. Honteux. Je l’aime bien en fait. Je l’écoute.
- Je crois que ton Ava entreprend ma Pénélope.
 - Et toi tu veux me prendre par derrière et puis après ? Qu’est ce qu’on va faire de toi ? Tu n’as plus ta place dans notre civilisation. Mais tu es toujours là, pour toujours, alors il va falloir faire avec.
 
Un peu de lubrifiant et je pousse pour le faire rentrer. Il y va doucement, il profite. Je prends ses grosses mains pour les faire attraper ma poitrine qui suinte entre ses doigts pendant qu’il bave dans mon cou. Il prend possession de mon territoire, je trouve ça enivrant et lui aussi. J’aime le sentir jouir en moi, dans la douleur, oubliant mon plaisir pour le sien. Le meilleur moment pour moi, c’est quand il se retire. Quel soulagement. Je reprends mes esprits et mon cul avant d’oser le regarder. Il est ému, reconnaissant, je le trouve tellement beau que j’en souris.
- Tu m’aimes vraiment beaucoup Jenna pour me laisser te faire ça.
 - Oui et c’est toujours un plaisir de soulager tes fantasmes.
 
Je serai toujours là pour lui. J’y peux rien. C’est comme ça.
Analyse du chapitre « c'est comme ça »
Ce chapitre explore les dynamiques relationnelles complexes et les non-dits qui persistent dans une société pourtant pacifiée et ritualisée. Il met en scène des tensions subtiles entre désir, contrôle, et loyauté, notamment à travers la figure de Dimitri – dernier vestige masculin dans un monde féminin. Jenna y incarne une forme de sacrifice consentant, une relation ambivalente de compassion et de domination. La scène des jeux (échecs, cartes) symbolise les stratégies relationnelles et les transferts de désir qui structurent la Fémunité.
Symbolique des événements et thèmes majeurs abordés
- **Les jeux comme métaphores relationnelles** :
Les échecs et les cartes représentent les règles non-dites, les alliances changeantes et la maîtrise de soi dans un contexte social ritualisé.
- **Dimitri comme vestige et problème** :
Sa présence incarne la persistance du masculin, du désir non-contrôlé, et la difficulté de l’intégrer dans un monde régi par les femmes.
- **Le sacrifice de Jenna** :
Son acte avec Dimitri n’est pas présenté comme un plaisir, mais comme un service – une forme de gestion sociale par le corps, rappelant son rôle d’autorité spirituelle et politique même retirée.
- **La sagesse et la transgression** :
Les personnages oscillent entre retenue (« on reste sage ») et passage à l’acte, montrant que même dans un monde réglé, le désir reste une force désordonnée.
Bilan sur chaque personnage présent
- **Jenna** :
Elle assume un rôle de régulatrice sociale, y compris par son corps. Son rapport à Dimitri est fait de pitié, de contrôle et d’une forme d’affection protectrice.
- **Ava** :
Jeune et encore mal à l’aise dans ces jeux de pouvoir et de désir, elle observe et apprend, mais semble déjà attirée par d’autres figures (Paulette).
- **Dimitri** :
Figure tragique et marginale, il symbolise un désir archaïque, à la fois honteux et incontrôlable. Son existence questionne la place de l’altérité radicale dans la Fémunité.
- **Pénélope** :
Elle incarne une autorité maternelle et pragmatique, gestionnaire des tensions et des équilibres domestiques.
- **Paulette et Misha** :
Leur présence suggère des couples stables, mais ouverts à des circulations de désir subtiles et maîtrisées.
Conclusion philosophique
Ce chapitre pose une question cruciale : peut-on vraiment pacifier le désir ? La Fémunité a éliminé la violence politique et institutionnelle, mais le désir – surtout masculin – reste une force désordonnée, à la fois marginalisée et instrumentalisée. Jenna, en « soulageant » Dimitri, assume un rôle de gardienne des équilibres : elle intègre par le corps ce qui ne peut l’être par la loi. La conclusion « c’est comme ça » sonne comme un constat résigné : même dans l’éternité, certaines choses ne changent pas.
Suite possible en une phrase
Et si ce geste de compassion contrôlée envers Dimitri n’était que le prélude à une remise en question plus large – celle de la place de l’altérité, du sacrifice et du désir non ritualisé dans une civilisation qui croit avoir tout pacifié ?

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